Les foires de Champagne

La foire de Bar-sur-Aube

Archives de l'Aube (Fonds de l'abbaye de Clairvaux - 3 H 972)
Archives de l'Aube (Fonds de l'abbaye de Clairvaux - 3 H 972)

Sentence d’arbitrage rendue par Robert de Champagne et Jean de Saint-Verain, gardes des foires de Champagne [1]

Mai 1294

Le 4 octobre 2024, le CRECIM organise sa journée d’étude annuelle à Bar-sur-Aube sur le thème du commerce de la vigne : 8e journée d’étude du CRECIM.

Le choix de Bar-sur-Aube n’est pas dû au hasard. Outre sa localisation dans une zone de production viticole ancienne, la cité baralbine a accueilli au Moyen Âge l’un des six rendez-vous annuels des foires de Champagne, temps fort du commerce international médiéval, faisant du comté un carrefour commercial à la rencontre des marchands du Nord et du Sud du continent européen.

Pourquoi ces foires en Champagne

Deux grands pôles économiques existaient dans l’Occident du XIIe siècle. Au nord, les Flandres, avec les cités de Gand, Bruges ou Ypres, deviennent l’un des territoires les plus riches d’Europe grâce notamment à l’industrie drapière. Au sud, les cités italiennes de Gênes, Pise ou Sienne dominent les routes de Méditerranée et font le lien avec l’Orient pour le commerce des épices et des soieries. Les banquiers italiens développent par ailleurs les principes de la comptabilité actuelle.

Les comtes de Champagne comprennent dès le milieu du XIIe siècle l’intérêt stratégique de leur territoire à la rencontre de ces deux pôles. En détournant les marchands des foires existantes, à Châlons et Reims notamment, ils favorisent leur venue grâce à un ensemble de mesures garantissant la confiance nécessaire à la bonne marche des affaires. Parmi elles, le comte Henri Ier le Libéral (1152-1181) institue la garde des foires, qui assure la police et veille à la sécurité des marchands et au respect des usages commerciaux.

En parallèle, les foires sont organisées de manière à proposer un cycle régulier de rencontres tout au long de l’année à Lagny-sur-Marne, Bar-sur-Aube puis alternativement à Provins et à Troyes où se déroulent deux foires chaudes et froides.

Ainsi, les marchands occitans, flamands, italiens, ibériques, allemands et scandinaves sont présents en Champagne tout au long de l’année dans une rotation continue.

Cette activité économique constitue pour le prince une source fiscale considérable grâce aux droits levés sur les marchandises et les péages, engendrant des donations de rentes constituées sur les revenus de ces foires.

Donations d'une partie des revenus des foires
Donations d'une partie des revenus des foires

Archives de l'Aube (Fonds de l’hôpital Saint-Nicolas de Bar-sur-Aube - cote HD 33 / 50)

Extraits de l'article : Donations diverses par des dignitaires, d'une partie du péage des foires (1169-1179)

Archives de l'Aube (Fonds du chapitre de Saint-Maclou, cote 7 G 247)
Archives de l'Aube (Fonds du chapitre de Saint-Maclou, cote 7 G 247)

Le chapitre Saint-Maclou acquiert une rente de 6 sous provinois annuels, à prendre sur le droit d'aunage dans les foires de Bar, et la garde de Vignevalle (custodie Gignevallis). Le vendeur est Aymon de Malismo, et Rabelin, son fils. La vente est annoncée par Guiard, doyen de la chrétienté de Bar-sur-Aube; Guiard annonce apposer son sceau.

1237

La foire de Bar-sur-Aube

Bar-sur-Aube était dès 1114 le siège de l’une des six grandes foires de Champagne. On peut supposer que ce choix s’explique en raison du contrôle direct des comtes sur la cité et sur la position clé de la ville, à proximité des grands axes de circulation depuis la période antique[2]. En 1160, la foire de Bar-sur-Aube dure deux semaines puis six semaines en 1250.

Ayant pour centre le pôle politico-religieux constitué par le château comtal et le chapitre Saint-Maclou, elle accueille des marchands originaires du nord de la France et des Flandres (Arras, Douai ou encore Ypres) - les « Halles de Douai[3]» -, du midi de la France (Montpellier, Orange et Marseille). Allemands et cités italiennes (Gênes, Asti, Lucques, Sienne) y disposent de halles. La maison dite « de la cour » derrière Saint-Maclou accueille des marchands de Gênes, de Lucques et d’autres cités italiennes. Une « court aux allemands » est connue depuis la seconde moitié du XIIIe siècle. Une vingtaine de halles sont recensées à Bar-sur-Aube[4]. Des changeurs sont également présents à Bar-sur-Aube. Le change, alors dominé par les Lombards, va prendre peu à peu une place importante lorsque, au milieu du XIIIe siècle, les foires vont évoluer, se transformant en marché international des espèces et du change.

Archives de l'Aube (Fonds du Chapitre Saint-Maclou, cote 7 G 353, pièce n°1)
Archives de l'Aube (Fonds du Chapitre Saint-Maclou, cote 7 G 353, pièce n°1)

Guillaume du Chatelet, bailli de Sézanne et de Beaufort, en présence de Jacques d'Isle, et Guillot Leclerc de Sézanne, jurés de la châtellenie de Sézanne, reçoit Damoiselle Agnès, fille de feu Hue de Broyes, 162 écuyer, femme de Ansel de Lanoe, écuyer, qui confirme la vente de deux maisons sises à Bar-sur-Aube, au lieudit Lespicerie "quand la foire siet devant les changes" (une place où « les changes » (comptoirs de changes de monnaies) s’étaient installés), à Jean dit Payen, chanoine de Saint-Maclou de Bar. Guillaume du Chatelet annonce sceller l'acte du sceau du bailliage et de son propre sceau en contre-sceau. Les témoins sont Perrin, fils de Morandat, Jeannot dit Maurroi de Sézanne.

1291

La plupart des bénéfices rapportés par les maisons des marchands étrangers profitent aux comtes de Champagne, aux maisons religieuses, aux membres de la noblesse, de la petite chevalerie urbaine et de la bourgeoisie, permettant à certains d’entre eux de se hisser au-dessus de leur condition sociale.

Toutefois, certains bourgeois subissent peut-être le même sort que Thibaut de Bayel et son épouse à qui, en 1275, les nonnes de Foissy louent une maison pour une somme modique à condition qu’ils quittent le logement chaque année à l’époque de la foire[5].

Archives de l'Aube (Fonds du prieuré Notre-Dame de Foissy, cote 27 H 5, pièce n°16)[5]
Archives de l'Aube (Fonds du prieuré Notre-Dame de Foissy, cote 27 H 5, pièce n°16)[5]

Le logement des marchands se fait en auberge, en location de maison ou sous tente. Des champs et sans doute aussi des caravansérails, comme à Lagny, accueillent ceux qui n’ont pas trouvé de place en ville pour se loger. Quand, au début du XIIIe siècle, le trouvère Bertrand de Bar-sur-Aube[6] évoque les tentes des marchands dressées hors des murs de Vienne, on peut supposer qu’il s’inspire de ce qu’il a observé à l’époque des foires dans sa ville d’origine : « Defors la vile se loge enz es prez, et ont lor tres et paveilons fermez ».

Le déclin des foires

La fin du XIIIe siècle marque le déclin des foires de Champagne. Plusieurs causes ont été évoquées : hausse des taxes, concurrence de Paris (foire du Lendit) et de Lyon, nouvelles routes commerciales (flux directs entre l’Italie et les Flandres) ou recrudescence des conflits armés. Néanmoins, des foires de moindre importance subsistent en Champagne, comme la foire aux malades à Bar-sur-Aube.

Archives de l'Aube (Fonds du chapitre de Saint-Maclou, cote 7 G 85)
Archives de l'Aube (Fonds du chapitre de Saint-Maclou, cote 7 G 85)

Extrait de l'article : Procédures et sentences entre le chapitre Saint-Maclou et la Maison des Malades, relatives aux droits lors des jours de la Foire des Malades (1534).

Des vestiges

Les vestiges des foires de Champagne sont relativement rares. A Provins, la place au Change avec sa croix où les marchands promettaient de faire bon commerce, à Lagny-sur-Marne, les Cinq Pignons, édifice du XIIIe siècle, accueillaient les marchands originaires de la ville d’Ypres. Le bâtiment rappelle d’ailleurs l’architecture des villes des Flandres : Carte postale (Archives départementales de Seine-et-Marne, 2 Fi 3945). A Bar-sur-Aube, une ancienne rue de la cité, la « rue des Angoisselles », tire aussi son nom des italiens Anguissoli qui avaient peut-être leur comptoir dans cette rue. L’ordre du Temple possédait une maison dans la cité pour leur commerce aux foires (XII-XIIIe siècle), toujours présente aujourd’hui[7]. Enfin, les sous-sols de Bar-sur-Aube conservent de vastes espaces de stockage.

Adrien FLAMME

Octobre 2024

[1]Transcription complète de l'acte présente dans VAN REENEN, Pieter, WATTEL, Evert (Collab.), VAN MULKEN, Margot (Collab.), Chartes de Champagne en français conservées aux Archives de l'Aube. 1270-1300, Orléans : Editions Paradigme, 2007. Page 105

[2]Bar-sur-Aube était une cité romaine connue sous le nom de Segessera

[3] Consulter la note de bas de page n°1 (document 3 H 972)

[4] Il faut noter que les sources sont très diverses (documents diplomatiques, actes publics et privés, registres des comptes…), elles ne citent généralement que des mentions fortuites, celles par exemple d’un voisinage.

[5] Transcription présente dans Elizabeth CHAPIN, Les villes des foires de Champagne (pièce annexe n°17)

[6] Bertrand de Bar-sur-Aube (fin du XIIe siècle - début du XIIIe siècle) est un poète champenois qui a écrit en ancien français un certain nombre de chansons de geste.

[7] Voir YANTE (Jean-Marie), Les templiers et les foires de Champagne. In BAUDIN (Arnaud), BRUNEL (Ghislain) et DOHRMANN (Nicolas) (dir), L'Economie templière en Occident. Patrimoines, commerce, finances. Langres : éditions Gueniot, 2013. Pages 225 à 236.

Pavé technique

Description : Fonds de l’abbaye de Clairvaux – Sentence d’arbitrage rendue par Robert de Champagne et Jean de Saint-Verain, gardes des foires de Champagne.

Cote : 3 H 972

Date : mai 1294

Description : Fonds de l’hôpital Saint-Nicolas de Bar-sur-Aube - Donations diverses par des dignitaires, d'une partie du péage des foires.

Cote : HD 33 / 50

Dates : 1169 - 1179

Description : Fonds du Chapitre Saint-Maclou de Bar-sur-Aube – Droits sur les marchands - Le chapitre Saint-Maclou acquière une rente de 6 sous provinois annuels, à prendre sur le droit d'aunage dans les foires de Bar, et la garde de Vignevalle (custodie Gignevallis). Le vendeur est Aymon de Malismo, et Rabelin, son fils. La vente est annoncée par Guiard, doyen de la chrétienté de Bar-sur-Aube; Guiard annonce apposer son sceau.

Cote : 7 G 247

Date : 1237

Description : Fonds du Chapitre Saint-Maclou de Bar-sur-Aube – Lieu-dit L'Epicerie - Guillaume du Chatelet, bailli de Sézanne et de Beaufort, en présence de Jacques d'Isle, et Guillot Leclerc de Sézanne, jurés de la chatellenie de Sézanne, reçoit Damoiselle Agnès, fille de feu Hue de Broyes, écuyer, femme de Ansel de Lanoe, écuyer, qui confirme la vente de deux maisons sises à Bar-sur-Aube, au lieu-dit lespicerie quand la foire siet devant les changes, à Jean dit Payen, chanoine de Saint-Maclou de Bar.

Guillaume du Chatelet annonce sceller l'acte du sceau du bailliage et de son propre sceau en contre-sceau.

Les témoins sont Perrin, fils de Morandat, Jeannot dit Maurroi de Sézanne.Cote : 7 G 353 (pièce n°1)

Cote 7 G 353

Date : 1291

Description : Fonds du prieuré Notre-Dame de Foissy (Saint-Parres-aux-Tertres) - Location annuelle d’une maison à Bar-sur-Aube.

Cote 27 H 5 (pièce n°16)

Date : 1275

Description : Fonds du Chapitre Saint-Maclou de Bar-sur-Aube – Maison des Malades ou La Maladière de Bar-sur-Aube - Maison des Malades ou La Maladière de Bar-sur-Aube.

Cote 7 G 85

Date : 1534

Bibliographie

Ouvrages consultables aux Archives départementales

CHAPIN (Elizabeth), Les Villes de foires de Champagne des origines au début du XIV° siècle, Paris : Champion, H., 1937. BP 2793

BAUTIER (Robert-Henri), Les foires de Champagne, Bruxelles : Editions de la librairie encyclopédique (Les), 1953. HB 1396

VAN REENEN (Pieter), WATTEL (Evert - Collab.), VAN MULKEN (Margot - Collab.), Chartes de Champagne en français conservées aux Archives de l'Aube. 1270-1300, Orléans : Editions Paradigme, 2007. BP 3582

YANTE (Jean-Marie), Les templiers et les foires de Champagne. In BAUDIN (Arnaud), BRUNEL (Ghislain) et DOHRMANN (Nicolas) (dir), L'Economie templière en Occident. Patrimoines, commerce, finances. Langres : éditions Gueniot, 2013. P. 225 à 236. BP 4007

DUCHAMP (Luc), LACOMME (Thomas), Provins et les foires de Champagne : des origines à l’inscription sur la liste du patrimoine mondial, Provins : SHAAP, 2022. Non disponible au Archives départementales

La Vie en Champagne (revue consultable aux Archives départementales)

RACINE Pierre, Les foires de Champagne, carrefour du crédit international (1280-1320). La Vie en Champagne. Janvier 2017, n°89, pages 29 - 35.

YANTE, Jean-Marie, Les halles des marchands étrangers dans les villes des foires de Champagne (XIIe– XIVe siècle). La Vie en Champagne. Janvier 2017, n°89, pages 37- 43.

Foires et topographie urbaine au Moyen Âge. La Vie en Champagne. Juillet 2018, n°95.

Sur la route des foires (XIIe – XVIe siècle) . La Vie en Champagne. Juillet 2019, n°99.

Site internet des Archives départementales

Dictionnaire historique de la Champagne méridionale (Aube) des origines à 1790 : Bar-sur-Aube

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