Une crèche sigillaire du XIIIe siècle
L’essor progressif de l’usage du sceau, aux XIIe et XIIIe siècles, confronte les donateurs et leurs bénéficiaires à la question de la preuve juridique des actes sur le long terme. À ce titre, l’abbaye de Clairvaux constitue un exemple particulièrement éclairant. En effet, devant la demande exponentielle d’un sceau réputé authentique pour la validation des donations, achats, échanges de terres, contrats et procès, l’abbaye, trop éloignée géographiquement de la chancellerie de l’évêque de Langres (58 km), doit recourir à une autorité locale capable de répondre au quotidien à ses besoins en la matière, notamment pour les actes regardant les biens les plus modestes. Cette réponse est trouvée auprès du doyen de chrétienté de Bar-sur-Aube, représentant local de l’autorité épiscopale et de son archidiacre, à la tête d’une circonscription ecclésiastique à l’intérieur de laquelle il fait le lien entre la communauté des fidèles et les curés de paroisses.
Le nombre considérable d’actes scellés par le doyen de chrétienté de Bar-sur-Aube dans le chartrier de Clairvaux atteste d’une spécificité locale, qui prospéra à la faveur des foires de Champagne, pour des actions juridiques multiples accomplies envers ou contre l’abbaye par une foule de personnages aux origines sociales variées, familles de paysans, de bourgeois, de clercs ou de lignages de la petite ou moyenne noblesse locale qui se trouvaient souvent eux-mêmes dépourvus d’une matrice de sceau. En témoigne ce document mettant un terme à un conflit qui oppose, au milieu des années 1240, les moines cisterciens à Gautier, seigneur de Nully[1], lequel contestait un droit donné à la fin du XIIe siècle par son ancêtre. L’annonce des signes de validation précise que, comme Gautier et son épouse n’ont pas de sceau propre (« Et qui sigilla non habemus … »), ils ont requis celui de Guiard, doyen de chrétienté de Bar-sur-Aube, et celui de son confrère Thierry, doyen de chrétienté de Margerie (« … sigilla venerabilium virorum Guiardi, decani christianitatis Barri super Albam, et Theodorici, decani christianiatis Sancte Margarete… »), afin qu’ils fussent apposés à ces lettres (« …presentibus litteris loco sigillorum nostrorum fecimus apponi »)[2].
Les sceaux de ces doyens donnent à voir une iconographie variée convoquant le plus souvent le registre christique et marial ou parfois des cultes diocésains. Pour autant, la représentation d’une crèche sur le sceau du doyen de la chrétienté de Margerie constitue un exemple quasi unique du point de vue sigillographique qui interroge sur le choix d’une image, le travail de gravure par des ateliers d’orfèvres ou d’artisans locaux et, plus globalement, sur le contexte de création de ces petits objets de prestige et de dévotion.
Arnaud Baudin
Décembre 2022
[1] Nully (Haute-Marne, arr. Saint-Dizier). Cette famille de la moyenne aristocratie champenoise était issue du lignage de Joinville et apparentée aux seigneurs de Villehardouin et d’Arzillières. Gautier, probablement le petit-fils du Vilain de Nully cité dans le document, participa à la septième croisade (1248-1254) aux côtés de Saint Louis.
[2] Margerie-Hancourt (Marne, arr. Vitry-le-François).
Analyse du document
Gautier, chevalier, seigneur de Montaillet et de Nully, et Agnès, sa femme, abandonnent les prétentions qu’ils formulaient contre l’abbaye de Clairvaux, reconnaissent le droit de pâturage sur tout le finage de Nully jadis donné à l’abbaye par feu Villain, seigneur dudit lieu, et s’engagent à le garantir contre Adélaïde et Adeline, sœurs dudit Gautier, et contre tous les autres héritiers qui pourraient le contester. Ils donnent de plus à l’abbaye 3 fauchées de pré au finage de Nully (janvier 1245).
Cote : Arch. dép. Aube, 3 H 734
Description
- Parchemin, scellé de deux empreintes de sceaux de cire verte sur écheveaux de laine rouges
- sceau de Guiard, doyen de la chrétienté de Bar-sur-Aube (55 × 37 mm) : un bar sur deux clés posées en sautoir, entouré du soleil et de la lune. Légende : + SIGI[LLVM VIARDI D]ECANI BARRI. Contre-sceau (23 mm) : un bar posé au-dessus du soleil et de la lune. Légende : + SECRETVM MEVM
- sceau de Thierry, doyen de la chrétienté de Margerie (35 × 24 mm) : dans une mangeoire surmontée par la lune et une étoile, l’Enfant Jésus, entouré du bœuf et de l’âne. Légende : S’THIERRICI DECANI S(an)C(t)E MARGARE[TE…]
En savoir plus
Jean-Luc Chassel, Sceaux et usages de sceaux. Images de la Champagne médiévale, Paris : Somogy-Editions d’Art, 2003.