De Troie à Troyes

Le nom de la ville de Troyes fait immédiatement penser à la cité de l’lliade : Troie, homonymie qui doit tout au hasard de l’Histoire puisqu’aucun lien ne relie la cité antique, située à l’ouest de la Turquie actuelle[1], à la cité champenoise.

Néanmoins, les origines de Troyes sont anciennes. La ville est occupée par les Celtes au moins depuis le VIe siècle avant notre ère comme en attestent la tombe princière de Lavau ou les monuments funéraires de Bouranton et de Barberey-Saint-Sulpice. Une bourgade existait sans doute dont nous n’avons connaissance ni du nom, ni du peuple qui l’occupait, Trikass, qui n’apparaît qu’au moment de la conquête romaine au Ier siècle avant notre ère et dont le nom renverrait à « ceux qui portent une coiffure à trois boucles de cheveux » ou aux « trois lignées aristocratiques ».

Chef-lieu du territoire des Tricasses, Troyes est nommée Augustobona au IIe siècle, probablement en l’honneur d’un empereur romain. Toutefois, ce nom est abandonné dès le IIIe siècle au profit du nom des Tricasses.

Au fil des siècles, le nom de la cité évolue. En 355-356, nous trouvons Tricassini, ad Tricasinos chez Ammien Marcellin, (Histoire) ou Trecas Campanie urbem à la fin du VIe siècle chez Grégoire de Tours (Histoire des Francs). Au cours du second Moyen Âge, le nom de Troyes se rapproche peu à peu du nom de la cité de l’Iliade. Plusieurs documents des Archives de l’Aube confirment cette évolution, avec de nombreuses occurrences du nom « Troies » dans les fonds épiscopaux ou du bailliage, ou par exemple accolé à des noms, comme dans la référence 4 H 79 - 2.

Le « s » final disparaît parfois. Sur le document 3 H 2403, la légende du sceau de Michel de Paris mentionne « LA BAILLIE DE TROIE" (scel de la baillie de Troie).

Cette évolution toponymique amène peu à peu à relier Troyes à la cité antique. Ce rapprochement n'est peut-être pas le fruit du hasard car Troie incarne, pour les Champenois du Moyen Âge, un passé prestigieux, source de tous les savoirs, dans cette « Renaissance du XIIe siècle » qui cherche à s’inscrire dans une translatio studii et imperii. Ainsi, vers 1130-1135, le chroniqueur Geoffroy de Monmouth invente aux rois d'Angleterre une descendance avec Brut, le petit-fils d'Enée, héros troyen et fondateur légendaire de la civilisation romaine.

Chez Chrétien de Troyes - Crestïens de Troies - (né vers 1140- mort après 1180), Troies évoque peut-être une origine champenoise mais aussi la volonté de nouer un lien avec la cité de l’Iliade, passeur de la connaissance de l’Antiquité. La notion de translatio studii et imperii est ainsi présente dans son Cligès (v 28-33) et l’on peut imaginer qu’il ait cherché à faire rayonner la capitale du comté de Champagne à travers son œuvre en jouant sur cette homonymie, d’autant plus que son protecteur, le comte Henri Ier le Libéral (1152-1181), a été adoubé à Constantinople par l’empereur lui-même au cours de la deuxième croisade et collectionne dans sa bibliothèque les manuscrits des auteurs et historiens grecs.

Enfin, les références à la cité antique de Troie marquent également la pierre puisque deux tours des fortifications troyennes portaient le nom de héros homériques, la tour “Hector”, située près de l'abbaye Saint-Martin-ès-Aires, et la tour “Troïlos”, le frère d’Hector, située près de la porte de la tannerie. Celle-ci apparaît sur un plan du XVIe siècle malheureusement lacunaire.

Ces deux tours ont disparu avec l'ensemble des fortifications au XIXe siècle. Toutefois, les références à l'Iliade persistèrent encore à Troyes au siècle suivant. Ainsi, en 1937, lors de travaux à l'Hôtel de Ville, Félicien Balley, architecte du gouvernement, propose au maire de Troyes, René Plard, de représenter sur une glace aurée et gravée de la salle des fêtes Le jugement de Pâris, épisode important de la mythologie grecque qui préfigure la guerre de Troie. Réalisée, l'œuvre est toujours visible à l'Hôtel de Ville.

Le récit d'Homère a aussi été repris à l'occasion de plusieurs manifestations. En 1912, le célèbre cheval de Troie défile dans les rues de la ville à l'occasion de la cavalcade de Mardi gras.

Plus récemment, le 8 juillet 1988, dans le cadre du jeu Intervilles, Troyes affronte Créteil à domicile et un “Cheval de Troyes” est réalisé à cette occasion. Celui-ci, contrairement au Cheval de Troie, n'entraîne pas la chute de la cité champenoise qui, au contraire, remporte la partie !

Des restaurants, des boutiques ou des entreprises troyennes ont aussi joué sur cette homonymie pour nommer un produit ou lors de campagnes publicitaires, comme L'Odyssée, devant l’Hôtel de Ville, qui rappelle le récit du long retour d'Ulysse à Ithaque après la guerre de Troie.

Adrien FLAMME

Octobre 2023

[1] Si le doute existe au sujet de l’historicité des faits contés par Homère, la cité de Troie a réellement existé.