L’évêque Jean Léguisé : un conflit d’héritage qui dure 30 ans

L’évêque de Troyes Jean Léguisé décède le 3 août 1450. Par un testament aujourd’hui perdu, il lègue ses biens à sa mère Guillemette de la Garmoise, héritage qu’autorise la coutume de Champagne. Celle-ci avait alors confié certains objets liturgiques à Jacques de Roffey, lieutenant général du bailli de Troyes « pour et ou nom de Révérend père en Dieu monseigneur l’évesque de Troyes ».

Mais une charte du 9 janvier 1480 porte un conflit d’héritage à notre connaissance. Les descendants de la mère de l’évêque, décédée, souhaitent en effet récupérer les biens transmis au bailliage et appartenant soi-disant au défunt.

Cote G464 (Archives départementales de l'Aube)
Cote G464 (Archives départementales de l'Aube)

S’engage alors, trente ans après la disparition de Jean Léguisé, un procès qui va durer huit années. Dans une cédule datée du 25 février 1450 [1451 n. st.] et recopiée dans la présente charte, Jacques de Roffey confessait avoir reçu de la mère de l’évêque :

« une mictre ensemble les deux lambeaulx servans à ladite mictre garnye de plusieurs pierres fines et pelles pesant ensemble douze marcs six onces et demye. Item une crosse ensemble trois bartons dargent fin à ladite crosse en laquelle y a des pierres et pelles fines pesant ensemble vingt et quatre marcs une once d’argent. Item deux agneaulx pontificaulx d’argent dorez où il y a des pelles et des pierres. Item les sandales et les soulers pontificaulx. Item deux paires de guans esquels a deux esmaulx d’argent dorez et esmaillez avec la tonaille. Item deux mictres blanches de boucassin ayens deux pendens. Item une chasuble de lin garnye d’estolle et manipulon. Item une tunique et dalmatique blanchez. Toutes ces choses dessus dites servans à un évesque et appartenant à ladite vesve ».

Les héritiers somment Jacques de Roffey de répondre de cette affaire. Ce dernier affirme avoir gardé les objets liturgiques pour l’exercice du culte de Louis Raguier, successeur de Jean Léguisé ; ce que Jean Pinette, procureur de l’évêque, confirme, avançant tous deux que

 « lesdites crosses et mictres estoient des biens de feu maistre Estienne de Givry jadis évesque dudit Troyes prédécesseur immédiat de feu maistre Jehan Lesguisé ». 

Les objets en question sont en effet dédiés au culte ecclésiastique, certains pouvant même faire partie du trésor de la cathédrale de Troyes.

Après plusieurs rebondissements, c’est finalement le Parlement de Paris qui statue en faveur de Louis Raguier, l’évêque pouvant conserver les objets de la querelle. Mais la famille Léguisé fait appel de cette décision, considérant qu’ils sont les « vrais héritiers de ladite Guillemectre et dudit feu maistre Jehan Lesguisé ».

L’affaire est définitivement close en 1488. D’autres membres de la parentèle Léguisé affirment avoir :

« bonne et vraye amour » pour leur nouvel évêque Jacques Raguier, successeur de Louis Raguier. Pour cette raison, « ilz ont donné, cédé, quinté, transporté et délaissé et par ces présentes donnent, cèdent, quinctent, transportent et délaissent par donacion irrévocable faicte entre vifz et sans le povoir ou vouloir jamais rappeller en aucune manière ». L’évêque peut désormais posséder ces biens « pour en faire et disposer comme des biens meubles appartenant audit évesché ».

Ce procès montre que la frontière entre les domaines privé et public est ténue. Elle est bien comprise des hommes d’Église et d’État : Jean Léguisé et sa mère, Louis Raguier et Jacques de Roffey ont conscience que ces biens appartiennent à l’évêché. Mais pour les Léguisé, cette frontière est plus floue.

Ironie du sort, Louis Raguier meurt le 19 août 1488, au moment de la rédaction des deux dernières chartes et de l’entière renonciation de la famille à hériter. Cette affaire aura donc durée 38 ans, de 1450 à 1488, sur une période de quatre épiscopats.

Aurélie Gauthier

Février 2025

Parentèle de Jean Léguisé
Parentèle de Jean Léguisé

Pavé technique

Titre : L’évêque Jean Léguisé : un conflit d’héritage qui dure 30 ans

Cote : G 464

Date : 9 janvier 1480, 3 août 1488, 9 octobre 1488

Description : Charte d’acquisition faite de la perception de monseigneur Léguisé, évêque de Troyes. Pièces réputées inutiles avant 1789. Papiers concernant les ornements et habits pontificaux.

Pour aller plus loin : Arch. dép. Aube, G 2645 (inventaire après décès d’Étienne de Givry, 1426). Arch. dép. Aube, G 2598 trésor de la cathédrale, 1429).

Partager sur