Charles Maurras, un collaborateur emprisonné et hospitalisé dans l’Aube
Charles Maurras, né à Martigues le 20 avril 1868, est un homme politique, journaliste et essayiste. Ses idées traditionalistes et conservatrices l’amènent à rejeter toute forme de démocratie. En 1899, il fonde l’Action française, parti politique d’inspiration nationaliste et royaliste d’extrême-droite. Charles Maurras crée également un quotidien du même nom dont le premier numéro est édité le 21 mars 1908. Le journal s’oppose ouvertement au gouvernement de la Troisième République et connaît un succès grandissant dans les années 1930. Cela n’empêche pas Maurras d’être élu au fauteuil n° 16 de l’Académie Française le 9 juin 1938 et d’y être reçu le 8 juin 1939.
À l’issu de la Première Guerre mondiale, il condamne le traité de Versailles et la paix avec l’Allemagne. Mais au début de la Seconde Guerre mondiale il se montre cette fois favorable au régime de Vichy et à la politique de Collaboration.
Il est jugé pour trahison par la Cour de justice de Lyon le 27 janvier 1945. Condamné aux travaux forcés, sa peine est commuée en prison à perpétuité et à la dégradation nationale. Commencée au Centre pénitentiaire de Riom, sa détention se poursuit à Clairvaux. Il y fait son entrée le 18 mars 1947 sous le numéro d’écrou 8321.
Âgé de 80 ans, il est hospitalisé une première fois à l’Hôtel-Dieu-le-Comte à Troyes du 12 au 15 janvier 1948. Sa santé se dégrade progressivement. Les médecins Breton, de la Maison centrale de Clairvaux, et Blouet, de l’Hôtel-Dieu, se montrent inquiets en observant un amaigrissement et une faiblesse générale. Un courrier daté du 3 août 1951 conseille donc son départ de prison et son retrait en clinique spécialisée.
Il est d’abord hospitalisé dans une chambre indépendante de l’Hôtel-Dieu et placé sous surveillance jour et nuit. Les gardiens doivent lui « apporter toute la correction due à un vieillard ». Il est autorisé à lire Le Figaro et Le Monde et à recevoir la visite de Jacques et Hélène, deux de ses trois enfants adoptifs. Le dimanche 8 août 1951, deux journalistes de Paris-Match essaient d’entrer en contact avec lui à quatre reprises. Et le 8 février 1952, ce sont deux journalistes de Libération-Champagne qui tentent, sans succès, de le photographier. Il faut attendre de visualiser la Une de Radar – magazine spécialisé dans les faits divers et la presse à scandale – du 16 mars 1952 pour apprendre qu’un journaliste a pu l’approcher le 28 septembre 1951. Cet article provoque l’étonnement du commissaire central de police chargé de la sécurité de Maurras puisqu’il n’a pas donné son accord, et l’incompréhension du personnel médical qui n’était pas au courant de cet évènement.
Dans un courrier daté du 19 novembre 1951, le directeur de l’Hôtel-Dieu, Jean Schiffer, autorise Charles Maurras à assister aux offices religieux dans la chapelle tout en s’inquiétant du manque de chauffage dans ce lieu. Les médecins y sont quant à eux, défavorables. Le Préfet de l’Aube, qui reçoit quotidiennement ou presque les bulletins de santé du malade avant de les transférer au ministre de la justice, se range du côté des médecins.
Charles Maurras est transféré à la clinique privée du docteur Gorecki, rue Ambroise Cottet à Troyes, le 9 février 1952. Il y mène une vie plus apaisée et sereine qu’à l’Hôtel-Dieu, faite de lecture, d’écriture et de visites des personnes autorisées à le voir dont fait partie monseigneur Le Couedic, évêque de Troyes, qui peut le visiter à titre permanent.
Charles Maurras quitte Troyes le 19 mars 1952 pour se retirer dans la clinique de Saint-Symphorien-lès-Tours (l’Indre-et Loire est le seul département non concerné par l’interdiction de séjour émis le 25 mars 1952 par le Ministère de l’Intérieur). Le voyage est minutieusement relaté par le commissaire de police, chef de la sûreté, dans un rapport écrit au Commissaire central trois jours plus tard.
Aurélie Gauthier
Novembre 2023
Pavé technique :
Titre : Charles Maurras, un collaborateur emprisonné et hospitalisé dans l’Aube
Cote : 1360 W 351
Date : 1947
Description : Registre d’écrou de Charles Maurras (n° 8321) à la Maison Centrale de Clairvaux
Pour aller plus loin :
- Aux Archives départementales de l’Aube :
HD 387 : fonds des hospices de Troyes-hôpital des Hauts-Clos (1227-1997) et particulièrement la cote HD 387 2367 (hospitalisation des détenus, 1915-1959).
262 W : Préfecture de l’Aube, Cabinet du Préfet. Bureau spécialisé de Défense nationale (1907-1972) et particulièrement les cotes 262 W 38 à 45 (internement de Charles Maurras dans l’Aube, 1951-1952).
1360 W : Maison Centrale de Clairvaux. Administration pénitentiaire et population carcérale (1879-2007) et particulièrement les cotes 1360 W 351 (registre d’écrou, 1945-1947) et 1360 W 980 à 985 (coupures de presse, notes et manuscrits, articles et publications, procès et régime spécial, 1946-1952).
1596 W : Sous-Préfecture de Bar-sur-Aube, logement, affaires forestières et Maison Centrale de Clairvaux (1941-1993) et particulièrement la cote 1596 W 92 (arrêtés ministériels, 1952-1955).
Voir aussi les journaux locaux qui ont relayé les évènements concernant Charles Maurras, particulièrement sur la période 1951 et 1952 (L’Est-Éclair, 1239 PL 14 à 20 ; Libération Champagne, 1241 PL 16 à 23 ; l’Indépendant de l’Aube, 1202 PL 11 à 14).
- Aux Archives départementales du Rhône :
394 W : Juridictions d’exception à la Libération : cours martiales, tribunal militaire et cour de justice de Lyon (1944-1970).
- Aux Archives départementales de Haute-Savoie :
135 J 168 : Procès de Charles Maurras : correspondance du procureur général près la cour d'appel de Lyon au garde des Sceaux (février 1945), revues de presse (23-29 janvier 1945).
- Aux Archives Nationales :
576AP/1-576AP/302 : fonds Charles Maurras (1745-1976).
- Site Internet de l’Académie française, Charles Maurras : https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/charles-maurras?fauteuil=16&election=09-06-1938
- Voir aussi la bibliographie de Charles Maurras : https://data.bnf.fr/fr/11915277/charles_maurras/