Alexandre Rousselin, Commissaire civil national durant la Terreur à Troyes
En 2022, les Archives départementales de l’Aube ont acquis en vente publique un recueil de 4 documents relatifs à Alexandre Rousselin, envoyé à Troyes par le Comité de salut public avec la qualité de commissaire civil national en l’an II de la République (1793-1794). L’action d’Alexandre Rousselin à Troyes prend place en pleine Terreur révolutionnaire et a laissé un souvenir négatif durable dans le département de l’Aube. Dès l’année suivant son départ est publié un mémoire intitulé Histoire du terrorisme exercé à Troyes par Alexandre Rousselin et son comité révolutionnaire, pendant la tyrannie de l'ancien Comité de salut public. Ce titre illustre l’opinion publique auboise vis-à-vis d’Alexandre Rousselin. Un exemplaire de ce mémoire constitue le premier document du recueil acquis par les Archives départementales. Ce document est suivi par la version publiée d’un discours d’Alexandre Rousselin, son rapport rédigé à l’issue de sa mission à Troyes, et enfin un rapport du représentant du peuple Jean Bernard Albert qui s’est rendu dans l’Aube quelques mois après le départ de Rousselin.
Ce recueil factice – ces documents n’étaient pas destinés à être reliés ensemble – présente l’intérêt de rassembler deux documents émanant directement d’Alexandre Rousselin avec deux documents faisant un bilan très critique de son action. L’assemblage de ces documents facilite ainsi le travail de l’historien cherchant à trouver et confronter des sources contradictoires.
Alexandre Rousselin est né le 11 mars 1773 à Paris. Il adhère très rapidement à la cause révolutionnaire en 1789. Il débute sa carrière politique en tant que secrétaire de Danton puis, en 1793, il intègre la police secrète du ministère de l’Intérieur. Parallèlement à son activité policière, il est rédacteur dans plusieurs journaux révolutionnaires.
Le 17 brumaire de l’an II (6 novembre 1793), il est envoyé à Troyes avec l’ordre de mission suivant : « Le Comité de salut Public, instruit que l’aristocratie domine dans la commune de Troyes par la mauvaise composition des corps administratifs, de la force publique et la présence de beaucoup de gens suspects, arrête que le conseil exécutif enverra à Troyes un commissaire civil revêtu des pouvoirs nécessaires pour renouveler les autorités constituées, faire arrêter les malveillants et prendre les mesures propres à rétablir l’esprit public dans cette commune. » La suite de la décision attribue la mission à Alexandre Rousselin et lui adjoint 200 hommes de l’armée révolutionnaire.
Alexandre Rousselin partage l’interprétation faite par le Comité de salut public de la situation à Troyes. Il déclare dans son discours qu’il ne sait « si l’on doit attribuer à la nature des hommes ou du climat champenois la marche lente et tardive du département de l’Aube ; toujours est-il vrai et universellement constaté que ce pays n’a encore rien enfanté ni de grand ni de républicain ». Il reproche particulièrement leur « modérantisme » aux habitants et à l’administration de Troyes et de l’Aube et il entend y mettre fin. Il annonce dans son discours que « Le règne de la modération est fini ; celui de la vigueur est enfin arrivé ».
Alexandre Rousselin a déployé une intense activité de brumaire à nivôse de l’an II (octobre à décembre 1793), s’attirant par là l’inimitié d’une large part de la population. Ses premières mesures ont été contre les cultes en faisant fermer les églises et convertir la cathédrale en un temple de la Raison. Le second volet de son action reprend les termes de la décision du Comité de salut public, il destitue et remplace de nombreux membres des administrations locales : les membres du conseil général, du district de Troyes, de la municipalité de Troyes et de la gendarmerie sont ainsi largement remplacés par des hommes désignés par Rousselin. Le rapport du représentant du peuple Albert désigne ces administrateurs nommés par Rousselin comme des individus « aussi ineptes qu’immoraux ».
Il décide également de prélever d’importants impôts exceptionnels, auxquels s’ajoute la saisie des matériaux précieux portant des armoiries. L’argenterie est particulièrement visée et des visites domiciliaires sont organisées afin de procéder aux confiscations.
Alexandre Rousselin souhaite également faire appliquer la justice révolutionnaire à Troyes et fait édifier une guillotine, symbole de la Terreur, devant la cathédrale. Il n’obtient cependant pas l’autorisation de créer un tribunal à Troyes, et les justiciables doivent être envoyées à Paris pour y être jugés. De ce fait, la Terreur a fait peu de victimes dans l’Aube. Lors de son départ du département, Rousselin emmène avec lui quatre prisonniers qui furent jugés à Paris le 2 février et exécutés le lendemain.
Pour organiser son action, Alexandre Rousselin s’appuie sur un Comité révolutionnaire. Lorsque cette institution est supprimée par une loi du 14 frimaire, il se rend brièvement à Paris pour chercher le soutien du Comité de salut public. A son retour, il se heurte à une forte opposition, tout particulièrement des conseils des huit sections de la ville de Troyes. Rousselin obtient alors le renfort du représentant du peuple Jean Baptiste Jérôme Bô envoyé de Paris pour restaurer son autorité.
A l’issue de sa mission, le soutien dont bénéficiait Rousselin s’amoindrit rapidement. Des dépenses excessives et de possibles détournements du produit des confiscations lui sont reprochés et il fait face au tribunal révolutionnaire en juillet 1794. Il est finalement acquitté et parvient à traverser les péripéties de la fin de la Révolution. Il affronte de multiples difficultés judiciaires sous le Consulat et l’Empire. La Restauration est pour lui une période moins agitée, durant laquelle il se consacre essentiellement au journalisme. Il meurt à Paris en 1847.
Tanguy Le Roux
Avril 2024
Pavé technique
Cote : BP 4673
Titre (factice) du recueil : Recueil de quatre documents relatifs à Alexandre Rousselin, Commissaire civil national du Comité de salut public
Document 1 : Histoire du terrorisme exercé à Troyes par Alexandre Rousselin et son comité révolutionnaire, pendant la tyrannie de l'ancien Comité de salut public
Document 2 : Discours d'Alexandre Rousselin
Document 3 : Rapport de la Mission d'Alexandre Rousselin
Document 4 : Compte rendu à la Convention nationale, par le Représentant Albert, sur le département de l'Aube
Pour aller plus loin
Archives :
Archives municipales déposées par la ville de Troyes, BOITE 1063 (cote provisoire), dossier « Rousselin, Commissaire civil »
Archives départementales de l’Aube, sous-série 1 J – Documents isolés entrés par voie extraordinaire : 1 J 1381, Rapport de Rousselin annoté par Jean-Baptiste Dorgemont, notaire à Troyes qui fut emprisonné par Rousselin.
Bibliographie :
Prévost Arthur, « Le régime de la séparation de l'Église et de l'État dans la ville de Troyes en 1794 », Revue d'histoire de l'Église de France, 1912, n° 15, p. 249-275. Cote 52 PG 3. Accessible en ligne : https://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1912_num_3_15_2024
Horn Jeff, The Making of a Terrorist, Alexandre Rousselin and the French Revolution, Oxford University Press, 2023. (En cours d’acquisition)
Babeau Albert, Histoire de Troyes pendant la Révolution, Dumoulin, 1873-1874. Cote PP 398
Lepart Jean, Alexandre Rousselin-Corbeau de Saint-Albin (1773-1847), Un candidat député de la Sarthe sous Louis-Philippe, Imprimerie Madiot, 1965. Cote BP 771
Répertoires des représentants du peuple en mission, mis en ligne par le GRHis (Groupe de Recherche d’Histoire - Université de Rouen) : https://grhis.univ-rouen.fr/grhis/?page_id=10155