Un inventaire tardif
Dans les quarante années qui suivent, le fonds de Saxe semble être resté en sommeil. Il accompagne les déménagements successifs des Archives départementales, mais demeure largement ignoré, tant des archivistes que des historiens locaux.
Auguste Vallet de Viriville, premier archiviste paléographe en poste aux Archives de l’Aube (1838-1841), est également le premier à souligner l’intérêt du fonds et à entreprendre, avec le concours d’un philologue d’origine polonaise, J.-L. Corvinus Iastrebski, un premier inventaire. Dans son rapport sur Les archives historique du département, il décrit les archives de Saxe comme un fonds encore considérable, mais déjà fort détérioré par les conditions de conservation, « l’incurie » des anciens archivistes et les diverses « déprédations » dont il a eu à souffrir. En conclusion, Vallet de Viriville appelle de ses vœux la poursuite du travail de classement qu’il a entrepris et propose que Corvinus Iastrebski en soit chargé.
Mais ce n’est qu’à partir de 1847 que Pierre Philippe Guignard, en poste de 1843 à 1852, peut reprendre le classement du fonds. Se heurtant à « une confusion complète des séries et des matières », il consacre quatre années à « diviser les diverses parties [du fonds] et à les mettre dans l’état régulier où elles se trouvent aujourd’hui ». Ce premier « catalogue », encore très sommaire, divise le fonds de Saxe en deux séries et huit sections thématiques.
A son départ, Guignard transmet le résultat de ses travaux au ministre de l’Instruction publique. Dans le rapport joint au catalogue, il demande que le classement soit poursuivi. Pour appuyer ses propos, il n’hésite pas à souligner que l’intérêt historique et stratégique du fonds est trop important pour justifier sa présence et son maintien en province : il préconise donc son déplacement à Paris !
Ce transfert ne sera jamais réalisé et le fonds demeure largement intouché entre 1853 et la fin du XIXe siècle. La seule modification majeure survient en 1864, lorsque les documents de la deuxième section sont entièrement soustraits du fonds. A cette date, s’appuyant sur un précédent datant de l’époque du Premier Consul, lorsque les « épaves » de la fortune de Xavier de Saxe avaient été rendues à ses héritiers, le baron Seebach, représentant le gouvernement saxon, demande en effet que lui soit remis l’ensemble des documents concernant le gouvernement de la Saxe et particulièrement l’administration de Xavier de Saxe pendant la minorité de son neveu Frédéric-Auguste III (1750-1763/1827), de 1763 à 1768.
Après examen de l’inventaire rédigé par Guignard, le Ministère de l’Intérieur cède à la requête de la Saxe et demande au Préfet de l’Aube de faire procéder à l’envoi, à Paris, de l’ensemble des « papiers se rapportant exclusivement à l’administration de la Saxe sous le Prince Xavier […] ». Le Ministère justifie sa décision par le fait que les diverses pièces, « d’une lecture très difficile, même pour des professeurs d’allemands, ne sont du reste d’aucune utilité à la France ». Sans souci du principe de respect des fonds, le Ministère demande d’ailleurs que soit joint à l’envoi « quelques lettres adressées par le Prince à sa famille, pourvu qu’elles ne concernent en rien les évènements qui se sont passés en France », ainsi que la pièce portant la mention « appartient à Madame la comtesse de Rutowska », à laquelle le Roi de Saxe « attache un très grand prix ». Malgré les réticences de l’archiviste départemental Henry d’Arbois de Jubainville (1852-1880), qui estime que le fond « appartient au département de l’Aube au même titre qu’il appartient à la France » et qu’il serait « convenable de demander l’avis du Conseil général », le Préfet accède rapidement à la demande du Ministère. La pièce appartenant « à Madame la comtesse de Rutowska », en latin, est envoyée à Paris dès le 4 juin 1864. Suivent, le 11 juin, 70 liasses de documents concernant l’administration de Xavier de Saxe. Seule la correspondance du Prince est finalement épargnée, grâce à d’Arbois de Jubainville.
Les projets de classement ne sont véritablement réalisés qu’au tournant du XXe siècle, grâce à Jules-Joseph Vernier (1898-1906). Confronté comme ses prédécesseurs à la barrière de la langue employée dans les documents, Vernier contourne cette difficulté grâce au soutien d’Ulysse Robert, inspecteur général des Archives. Ce dernier parvient en effet à obtenir qu’une équipe de cinq militaires germanistes, placés sous la direction du commandant Veling, ancien professeur d’allemand dans les écoles militaires de Fontainebleau et de Saint-Cyr, viennent travailler aux Archives départementales. Grâce à cette collaboration, le classement est réalisé en un temps record et le volumineux inventaire sommaire de la série E* est publié en trois tomes, de 1903 à 1910. Les auteurs de l’instrument de recherche ont adopté un mode de description des pièces conforme aux usages du temps, avec des analyses extrêmement fouillées. Certains documents font l’objet de larges citations, choisies souvent arbitrairement et donnant parfois une fausse idée du contenu en passant sous silence ce qui n’intéressait pas les archivistes.
L’inventaire sommaire de 1903-1910 est complété par un supplément rédigé en 1992 par Benoît Van Reeth, qui concerne 148 liasses « oubliées » au début du XXe siècle.