Histoire de la bonneterie dans le département de l'Aube
L’histoire de la bonneterie est intimement liée à celle du département de l’Aube. S‘appuyant sur une longue tradition de tisserands, de filateurs et de teinturiers, l’Aube a su faire preuve d’innovation technologique tout au long du XIXe siècle, au point d'être consacrée "capitale de la maille".
- Une longue tradition du textile en Champagne méridionale
Dès le Moyen Âge et au temps des foires de Champagne, Troyes et l’Aube constituent une plaque tournante du commerce des étoffes, au carrefour des Flandres et de l’Angleterre, des régions rhénanes, de l’Italie et de la Suisse.
La région auboise, où dominent l'agriculture et l'élevage de moutons, ne permet pas aux populations de vivre confortablement. La plupart des habitants sont tournés alors vers des activités de complément, principalement vers l’artisanat textile.
Au XVIIIe siècle, Troyes, ville de drapiers, subit une sévère crise du textile. Elle va alors se reconvertir dans la manufacture de bas. Les premiers métiers à tricoter apparaissent, d'abord à Arcis-sur-Aube dans les années 1727-1730, puis à Troyes en 1746. En 1778, on compte 2 000 métiers à tricoter dans l’Aube.
La Révolution, puis les guerres napoléoniennes étouffent ce premier développement, principalement par manque de matières premières. Après cette période difficile, de petits ateliers renaissent à Troyes, Arcis-sur-Aube et dans le pays d’Othe, pour produire bonnets, bas, chaussettes puis sous-vêtements et gants. En ce début du XIXe siècle, on travaille encore avec des « métiers à bas », à cadres de bois, maniés à la main et au pied, inventés par l’Anglais Lee. Ces métiers ne permettent de produire que deux ou trois bas par jour, ce qui convient bien à une activité de complément.
- Le tournant des années 1830
Ce sont les années 1830 qui vont tout changer pour la bonneterie troyenne, à l’image de la création de la Halle de la bonneterie à Troyes en 1837. Les filatures Douine commencent à utiliser la vapeur pour mécaniser la production. Plusieurs ingénieurs troyens fabriquent de nouveaux métiers ou perfectionnent ceux existants. Joseph-Auguste Delarothière, un mécanicien, élabore un métier à chaîne, qui combine métier à tricoter et métier à tisser (1828). Ce nouveau métier à chaîne permet de réaliser des tricots indémaillables. L’horloger Joseph-Julien Jacquin développe en 1841 un métier circulaire, à partir des premiers essais britanniques. Ce métier permet d’accroître la productivité en montant la maille en « tube ».
Plusieurs inventeurs originaires de l'Aube, issus de la serrurerie, de la mécanique, déposent de nombreux brevets et font de Troyes l’un des pôles technologiques majeurs de la bonneterie française. Ils inventent des métiers plus lourds, en fonte, mais aussi plus grands. Cette nouvelle technologie pousse les fabricants à occuper des locaux plus vastes et à utiliser la vapeur. Les opérations sont progressivement regroupées : bobinage, finition, teinture, couture… Les premières usines, proches de l’eau et des voies ferrées, apparaissent, parallèlement aux filatures.
- L'expansion du second Empire
Le second Empire offre une expansion économique d’envergure. L’exposition de Troyes, en 1860, couronne les ingénieurs troyens : si les Anglais produisent bien plus, la production auboise se distingue par sa qualité. Deux ans plus tard, le métier inventé par l’Anglais Arthur Paget, dit « métier hollandais », est perfectionné par les frères Poron dans l’Aube. Tous les autres grands acteurs du secteur, tels que Guivet, Mauchauffée, Lange ou Chauvin, suivent et achètent ou développent ce métier rectiligne, dont l’automatisme et la vitesse transforment complètement la production.
La bonneterie supplante désormais les filatures ; Troyes devient le centre névralgique de cette industrie. Toute la production du département y transite.
Progressivement, la complexité des machines exige une main d’œuvre spécialisée et le lien entre travail rural et bonneterie s’estompe. Le travail du coton devient l’activité exclusive de nombreux habitants, principalement à Arcis-sur-Aube, à Romilly-sur-Seine et dans le pays d’Othe. Cette conversion du monde rural est notamment la clé du succès de la firme Doré-Doré, née en 1819 à Fontaine-les-Grès, qui s’appuie sur un réseau de fabricants à domicile.
- L'âge d'or de la bonneterie
A partir de 1860, l’industrie commence à se concentrer. Des dynasties patronales se forment. L’arrivée du métier britannique de William Cotton, breveté en 1864, révolutionne encore la bonneterie auboise. Ces outils nouveaux exigent des capitaux importants. Aussi passe-t-on au règne des industriels : concentration d’entreprises, première société anonyme (Mauchauffée, 1876), création d’une Chambre syndicale des ouvriers (1877), création de la Chambre syndicale des fabricants en bonneterie (1883), participation aux expositions universelles (1878, 1889, 1900), fêtes de la bonneterie (1909)… mais aussi premières grèves générales (1900). En 1914, Troyes, sur 55 000 habitants, compte 13 000 ouvriers de bonneterie.
Cet âge d’or industriel voit aussi l’invention des premières marques, comme Petit Bateau, créée par les Établissements Valton. En 1914, la bonneterie auboise représente la moitié de la bonneterie nationale, en chiffre d’affaires comme en effectifs. En 1930, le département compte 40 000 personnes employées dans ce secteur d’activité.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Institut français du textile et de l’habillement est fondé à Troyes. Il accompagne les entreprises vers les avancées scientifiques en chimie et les nouvelles techniques.
- Le déclin de la bonneterie et le renouveau du textile dans l’Aube
Les années 1970 marquent le début du déclin de ce secteur qui emploie alors 25 000 personnes. L’industrialisation progressive des pays en voie de développement et l’importation de produits textiles à bas prix mettent en grande difficulté ce secteur. En 2006, celui-ci ne compte plus que 1754 salariés.
Toutefois, ce secteur perdure en se renouvelant et en se diversifiant (textiles techniques, textiles de l’habillement). Le textile de l’habillement est aujourd’hui une des premières filières industrielle du département. De plus, le département a su favoriser une forte activité commerciale connexe en favorisant le développement des magasins d’usine. Simple mode d’écoulement des invendus des usines au début du XXe siècle, ils deviennent à la fin du XXe siècle de vraies boutiques ouvertes au public, proposant des prix de 30 % à 70 % moins élevés par rapport au circuit classique de distribution. Situés principalement à Saint-Julien-les-Villas et à Pont-Sainte-Marie, ils accueillent de nombreux visiteurs venant du département ou d’autres régions (5 millions à la fin de la décennie 2000 – 2009, dont 3,8 millions extérieurs au département de l’Aube).
La mémoire de la bonneterie auboise est également valorisée, en particulier grâce au musée de la bonneterie à Troyes. Celle-ci est également mise en valeur, d’une certaine manière, par des marques reconnues en France et à l’étranger comme Le Coq Sportif, célèbre marque de sport originaire de Romilly-sur-Seine, ou comme Lacoste et Petit Bateau.
Le déclin de la bonneterie a laissé un patrimoine bâti important. Aujourd’hui, des usines sont reconverties et connaissent une nouvelle vie, par exemple, à Sainte-Savine, l’usine de bonneterie Journé-Lefèvre accueille désormais des logements, à Troyes, les locaux de Troyes Champagne Métropole sont situés dans l’ancienne usine Devanlay & Recoing ou à Estissac, l’ancienne usine Bruley accueille un foyer de vie pour personnes handicapées.
Pour en savoir plus
8 Fi - Cartes postales sur le thème de la bonneterie
57 PL 7 - Regard sur la bonneterie auboise; d'hier à aujourd'hui. La Vie en Chammpagne. Avril-juin 2008, n°54. Troyes : La Vie en Champagne.