« LE FRÈRE DE LA DAUPHINE » BIOGRAPHIE DU PRINCE XAVIER DE SAXE.
« Un personnage qui a traversé l’Histoire avec des pantoufles ».
J.-J. Vernier que nous avons déjà cité, écrivait dans l’introduction de l’Etude biographique [qu’il consacra au] prince Xavier de Saxe64 : « C’est une figure peu connue que celle du prince Xavier de Saxe. Les biographies ne font pas mention de ce personnage [… et] c’est un fait acquis à l’histoire […] que le prince de Saxe n’ait jamais joué dans le monde un rôle politique bien considérable, que jamais il n’ait occupé dans l’administration ou dans les armées une situation prépondérante et bien en vue, [… c’est un] personnage qui a ‘‘traversé l’histoire avec des pantoufles’’ ».
Le prince de Saxe a-t-il mérité une appréciation si sévère ? Et si la réponse est oui, pourquoi s’intéresser à lui ?
Si le prince Xavier de Saxe n’occupa jamais une fonction politique ou administrative de premier plan, il « se trouva mêlé et intéressé à la plupart des grands événements qui marquèrent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle65 ». Son grand-père et son père furent rois de Pologne de 1697 à 1763 ; le prince Xavier de Saxe fut pendant plusieurs années le candidat secret du roi Louis XV pour leur succéder ; il fut l’oncle de trois rois de France ; il assura la régence de l’électorat de Saxe à la mort de son frère aîné ; et il fut nommé lieutenant général, commandant en chef du corps saxon puis de l’aile droite dans l’armée française pendant la guerre de Sept ans où il « se distingua dans plusieurs actions66. » Il était « allié à la plupart des familles régnantes, il entretenait lui-même un commerce de lettres des plus actifs, non seulement avec les princes de sa famille, […] le roi de Pologne son père, […] celui d’Espagne son beau-frère, mais encore avec toutes les familles souveraines de l’Europe.67 ».
Cette « volumineuse correspondance qu’il a laissée et qui nous a été religieusement conservée dans toutes ses parties […] à défaut d’autres motifs [suffisent] » écrivit J.-J. Vernier68, « pour nous déterminer à consacrer à Xavier de Saxe quelques notes biographiques toutes tirées de ses archives particulières ». Ce sont ces « notes biographiques » que nous avons reprises et résumées dans le présent chapitre.
J.-J. Vernier avait peut-être raison d’écrire que le prince de Saxe « a traversé l’histoire avec des pantoufles ». Nous considérons cependant que ‘‘sa plume’’ et les documents exceptionnels par leur authenticité et leur volume qu’il a transmis à l’Histoire, justifient de lui réserver une place d’importance dans le rang des personnages historiques du XVIIIe siècle.
Premier cercle du réseau des relations du prince Xavier de Saxe, sa fratrie.
François-Xavier BENNON, prince de Saxe, naquit à Dresde le 25 août 1730. Il était le fils cadet et quatrième enfant69 de Frédéric-Auguste II (1696-1763), électeur de Saxe70 qui devint en 1733, roi de Pologne sous le nom d’Auguste III. Au moment de sa naissance, son grand-père, Auguste II dit le Fort (1670-1733) régnait sur la Pologne depuis 1697 et « Dresde [passait pour] la cour la plus brillante, la plus fastueuse et la plus dissolue de l’Allemagne71 ». Sa mère, Marie-Josèphe d’Autriche était la fille aînée de l’empereur Joseph Ier (1678-1705-1711)72.
Parmi ces oncles et tantes, nous pouvons citer :
Il eut quatre frères et six sœurs. L’une d’elles : sa cadette d’un an, Marie-Josèphe de Saxe (1731-1767) devint la dauphine de France en 1747. Cette année d’écart entre les deux enfants explique le lien fraternel profond qui les a toujours unis. Cette fratrie sera la base et le premier cercle du réseau de relations qu’établira le prince Xavier de Saxe. Aussi nous a-t-il semblé nécessaire de les citer en indiquant leurs futurs titres et positions :
Une nature « frivole » attirée par la carrière militaire.
Ce que nous savons de ses premières années peut se limiter au portrait que fit de lui son aide de camp qui était aussi « son ami et son confident intime74 », le général-major de Martange (1722-1806)75 : « Il a le meilleur fond qu’on puisse souhaiter ; il est essentiellement juste. Je n’entends pas nier qu’il n’y ait beaucoup de taches à l’extérieur, comme de l’empressement, de la timidité dans la conversation, de l’embarras dans la façon de se présenter, trop d’amour pour le particulier ; mais considérez tout cela comme des suites de son éducation. Il a eu le plus sot des gouverneurs possibles : […] le comte de Bellegarde. Il a été de plus, ce Prince, moins chéri que les autres : voilà son enfance. En croissant, des chevaux, des chiens et des valets : voilà sa jeunesse jusqu’à la guerre. C’est là où son éducation a vraiment commencé76 ».
Pour son éducation, deux noms de précepteurs nous sont parvenus : le baron de Forel, commandeur de l’ordre de Malte77 à qui succéda en 1748 le comte de Bellegarde pour lequel nous connaissons l’opinion du général Martange, opinion qui ne peut-être que celle du prince.
Pour compléter ce portrait, nous avons les témoignages du marquis d’Argenson78 et du duc de Choiseul79 : le prince Xavier de Saxe avait semble-t-il « de l’esprit et de la figure, de l’activité et de l’ambition » mais c’était avant tout « une nature assez frivole ». Il eut cependant une « irrésistible vocation pour le métier des armes ». La guerre de Sept ans lui offrit « un vaste champ ouvert » pour y développer « son ambition et son désir de se distinguer dans la carrière militaire80 ».
Le frère de la dauphine de France.
Événement important dans la vie du prince Xavier de Saxe, le 9 février 1747, sa sœur Marie-Josèphe épousa Louis, dauphin de France (1729-1765), fils du roi très chrétien Louis XV. À cette occasion, le prince Xavier de Saxe fut chargé de répondre pour toute la famille aux compliments des ambassadeurs de la cour de France. Un discours dont nous avons le texte Voir Fonds de Saxe, liasse E*1421 qui n’est ni de son style, ni de sa main précise J. J. Vernier. Pourquoi fut-il choisit pour cette tache hautement protocolaire, lui, le prince « frivole » « timide » et « embarrassé », habitué à évoluer au milieu « des chevaux, des chiens et des valets » ? La réponse est dans la lettre de Louis XV et dans la réponse du prince Xavier : « […] Je serai charmé que cette alliance entre nos deux familles rende indissolubles et perpétue l’union et la confiance mutuelle que je suis dans la résolution d’entretenir avec Votre Majesté. Elle doit être persuadée que ce sera un nouveau motif pour m’engager à regarder les intérêts de sa maison comme les miens propres […]81 ». Dans sa réponse, le prince Xavier de Saxe prend pour lui et pour ses frères, un engagement similaire vis-à-vis du roi de France, engagement qu’il tiendra personnellement jusqu’à l’effondrement de la royauté en 1791 : « Je vous prie donc, Messieurs, de rendre mes respects à Leurs Majestés Très Chrétiennes de même qu’à M. le Dauphin, et de les assurer que cette alliance de sang me fera désormais regarder le bonheur et la prospérité de la maison royale et de la couronne de France comme s’ils arrivaient à moi-même. Mes chers frères, qui sont ici, participent à tous ces sentiments et sont tout comme moi disposés à en donner des preuves lorsqu’ils auront atteint un âge plus avancé Voir Fonds de Saxe, liasse E*1421 ». Ainsi, il fut choisi pour répondre parce qu’il était le plus âgé des enfants mâles après son frère Frédéric-Christian-Auguste, l’héritier de l’Electorat. En se chargeant de la réponse, il ne s’engageait que pour ses frères présents et mineurs. Ce mariage alliait deux maisons, c'est-à-dire deux familles, mais ni l’Electorat de Saxe, ni le royaume de Pologne. C’eut été le cas si son père, le roi de Pologne, ou si son frère aîné, héritier de l’électorat de Saxe, eussent répondu.
La Dauphine avait pour son frère une affection profonde et partagée qu’elle ne dissimulait pas et qu’elle lui conserva jusqu’à sa mort. Le roi Louis XV lui-même, écrivant en 1758 à son ambassadeur à Varsovie, disait d’elle, « Madame la Dauphine n’aime réellement que le prince Xavier82 ». Avec une telle accréditation, le prince pouvait se rendre à Versailles, certain d’y trouver bon accueil. Il finit par s’attacher définitivement au service de la France, et en 1758, il fut nommé lieutenant général des armées du roi, et c’est à ce titre qu’il prit part à la guerre de Sept Ans.
La guerre de Sept Ans, « un vaste champ ouvert à son ambition ».
Le conflit opposa dans un renversement d’alliance, l’Angleterre de George II (1683-1727-1760) et de William Pitt (1708-1778) et la Prusse de Frédéric II (1712 1740-1786) à la France de Louis XV, l’Autriche de l’impératrice Marie-Thérèse (1717 1745 1780), la Russie de la tsarine Elisabeth (1709-1741-1762) et par extension, la Pologne et la Saxe d’Auguste III (1696-1733-1763) entraînées dans la guerre par l’invasion de l’Electorat par les troupes prussiennes sans déclaration de guerre83.
Immédiatement, sur le théâtre militaire européen, le succès des armes tourna à l’avantage de la Prusse. L’armée saxonne capitula après avoir résisté pendant plus de six semaines, sauvant l’Autriche et déjouant le plan prussien. Ce fut pour le prince Xavier de Saxe, âgé de vingt-six ans, un véritable déchirement qui apparaît dans sa correspondance avec sa mère. « À dater de ce moment » dit J.-J. Vernier84, « sa résolution fut irrévocablement prise de mettre son bras et son épée au service de sa patrie envahie et opprimée85 ». Plusieurs lettres furent échangées avec le roi son père et avec la reine sa mère, pour obtenir l’autorisation d’entrer en campagne. Il fit intervenir sa sœur l’électrice de Bavière. Cette autorisation lui fut donnée le 27 novembre 1756.
Nous n’avons aucune information quant à des faits d’armes qu’il aurait accomplis dans les armées saxonnes ou polonaises, ni sur des fonctions qu’il y aurait remplies. Nous savons simplement que lui et son frère Charles de Saxe (son cadet de trois ans) ne disposaient que de « 3000 écus par mois » pour eux deux, pour leur « compagnie et suite », pour l’entretien de leurs « chevaux », et pour leur « propre entretien86 ». Il fit de nombreux voyages à Paris ; on peut penser qu’il assura un rôle d’agent de liaison entre les rois de Pologne et de France, car par la Dauphine, il avait accès au roi Louis XV.
En septembre 175887, Le prince Xavier fut nommé lieutenant général des armées du roi de France à la grande satisfaction du roi de Pologne qui y vit une « marque de bienveillante estime donnée à un prince de la maison de Saxe88 ». À partir de cette date, il prit part à la guerre de Sept ans, d’abord à la tête du corps d’armée saxon, sous les ordres du maréchal Victor-François, duc de Broglie (1718-1804)89 qui assurait le commandement en chef des troupes françaises90, puis en tant que commandant en chef de l’aile droite de l’armée du même maréchal de Broglie.
Dès le 10 octobre, le corps saxon et son commandant en chef s’illustrèrent à la bataille de Luttenberg. Un succès similaire se renouvela à Bergen puis à Minden en 1759 où il protégea la retraite du maréchal de Contades, sérieusement battu par Ferdinand de Brunswick et les troupes prussiennes qui gardaient le Hanovre et les territoires prussiens de l’ouest de l’Empire. Dernier exploit militaire connu du prince Xavier de Saxe, la prise de Cassel, le 9 août 1760.
Le prince Xavier de Saxe fut-il un grand stratège ? Quelle part personnelle eut-il dans les succès du corps saxon ? Les documents du « Fonds de Saxe » (ceux que nous avons consultés, mais qu’en est-il des autres ?) sont muets sur les qualités militaires du prince. Il existe, bien sûr, des lettres de félicitations qui lui furent adressées après chaque victoire, mais on peut n’y voir que des démarches conventionnelles et mondaines. A contrario, il apparaît que ni le corps saxon, ni son chef le prince Xavier de Saxe, n’aient eu une part de responsabilité ou n’aient été parties prenantes dans les « rudes défaites91 » que les armées françaises connurent à partir de l’été 1758.
La seule appréciation négative que nous ayons trouvée, était de J.-J. Vernier. Elle concernait le caractère mondain et peut-être « frivole » de la vie militaire du prince où « on l’y voit […] cédant à l’exemple de tous, figurer avec une imposante suite d’aides de camp, d’écuyers, de chevaux, de carrosses dont le nombre paraît invraisemblable92 ».
Nous souhaitons faire partager au lecteur ‘’notre perception’’ de la participation du prince Xavier de Saxe à la guerre de Sept ans. Il s’engagea dans la guerre parce que c’était son rôle de prince de défendre la principauté familiale envahie. Il le fit pour l’honneur de ‘‘son sang’’ et certainement, par respect pour l’engagement de fidélité qu’il avait pris en 1747 en faveur de la maison royale de France. Mais il le fit aussi par ambition personnelle, guidé par son goût pour la vie mondaine et frivole. Il n’avait pas trente ans ; il était cadet d’une grande famille princière d’Europe ; il se trouvait à la tête d’une unité de dix mille hommes ; les armes pouvaient lui apporter la gloire. Il ne fut certainement pas un grand stratège comme l’avait été dix ans plus tôt, son oncle Maurice de Saxe, mais il espérait et il connut, des succès militaires majeurs pour lesquels il pouvait attendre une juste récompense.
« Une ambition sans borne », le trône de Pologne.
« La guerre […] ne fit point négliger au prince de Saxe, ni ses amours93Voir Fonds de Saxe, liasses E*1552 à E*1558, ni ses affaires, ni ses intérêts personnels qu’il mettait avant tout et au dessus de tout. Nous le savions ambitieux, d’une ambition sans bornes qui lui inspira les plus chimériques projets94 ». Il est vrai qu’il était placé par sa naissance au milieu des trônes. Il pouvait espérer sortir de son rang de cadet d’une famille princière à une époque où de nouvelles dynasties royales pouvaient se fonder. Le siècle précédent n’avait-il pas vu des princes accéder à des couronnes, souvent prestigieuses, alors que quelques années auparavant, une telle ambition eut été inconcevable avec leur rang initial dans les différentes successions. Ce fut le cas en Espagne et en Angleterre ; ce fut aussi le cas de l’électeur de Brandebourg devenu roi de Prusse ; ou celui du propre grand-père et du propre père du prince Xavier de Saxe ; ainsi, des empereurs d’Allemagne avaient reçu la charge impériale alors qu’ils n’étaient que duc de Lorraine, électeur de Bavière ou cadet de la maison d’Autriche. En août 1760, Xavier de Saxe avait trente ans, il était auréolé de « la part brillante [qu’il prit] à la prise de Cassel95 ». Il était connu à Versailles et avait accès au roi Louis XV. Son père, Auguste III, le roi de Pologne était âgé de soixante quatre ans. Il était sur le trône depuis vingt-sept ans. Il avait été un « monarque médiocre autant qu’orgueilleux, incapable de prendre une décision, aussi amateur de fêtes qu’insouciant de la politique et du militaire, il avait négligé complètement les affaires de son royaume. Bien que jaloux de son autorité, il avait abandonné tout le pouvoir à son Premier ministre, qui était en même temps son favori, le comte de Brühl. […] Jamais, en effet, les diètes ne furent plus nombreuses, plus importantes par les questions soulevées, par les sujets en discussion, plus inutiles aussi par l’entêtement de leurs membres et leurs dissolutions précipitées […]. Jamais n’apparut plus clairement le danger du liberum veto9697 ».
Il n’en fallait pas d’avantage pour que des manoeuvres secrètes préparatoires à la succession de ce vieux roi qui ne satisfaisait plus personne, soient entamées. Il fallait faire abdiquer Auguste III et préparer l’élection du candidat que l’on s’était choisi. Déjà en 1759, il avait été question de l’abdication du roi de Pologne, et à cette occasion, Louis XV « n’avait point dissimulé ses préférences pour le prince Xavier contre son frère le prince électeur Frédéric de Saxe98 ». L’influence de la Dauphine et du général de Martange99 à la cour de Versailles, avait été un facteur majeur dans le choix du roi100. La rivalité avec le frère aîné pouvait être (et avait certainement été) rapidement réglée en proposant une compensation sous la forme d’un « agrandissement de l’électorat de Saxe auquel on attacherait la dignité royale transmissible par voie d’hérédité à l’aîné de ses enfants101 ».
Restait un autre obstacle majeur en cette période de guerre de Sept ans, contraindre Frédéric II à accepter ce double arrangement : faire de l’électeur de Saxe le roi des Saxons et confier la couronne de Pologne à son frère. La Prusse et surtout la Russie songeaient-elles déjà à un partage de la Pologne ? La « République » apparaissant de plus en plus comme une proie facile. Il fallait donc orienter les opérations militaires des armées françaises, saxonnes et autrichiennes dans ce sens, faire plier l’ennemi commun, Frédéric II, « pour terminer heureusement cette guerre dont la Saxe était le principal théâtre et la Pologne l’enjeu102 ».
La France n’avait-elle pas intérêt dans le cadre de la ‘’révolution diplomatique’’ récente, à constituer un bloc allié solide à l’est qui comprendrait l’Autriche, une Saxe devenue plus puissante, une Pologne devenue politiquement stable autour d’un roi accepté de tous et gouvernant réellement et efficacement ‘’la République’’ et un empereur, pair et ami du roi de France ? Un tel bloc permettrait de juguler les ambitions du roi de Prusse qui devenait à la fois trop puissant, trop conquérant et trop imprévisible, et celles de la Russie de Catherine qui cessant de regarder vers la Mer Noire, se tournait vers l’ouest, c'est-à-dire vers l’Ukraine dont l’autonomie venait d’être supprimée et vers la Pologne, proie politique faible et attirante. ‘‘Le système du Nord’’ qui incluait aussi l’Angleterre et le Danemark, eut été favorablement contrebalancé par l’alliance des deux grandes puissances du Sud, la maison des Bourbons et la maison d’Autriche103 avec la Pologne et la Saxe comme alliés locaux.
Cette politique, les ambitions du prince et les moyens retenus pour les réaliser étaient explicités dans un mémoire du général de Martange adressé au prince Xavier de Saxe et contenu dans sa cassette. Celle-ci lui fut enlevée le 1er août 1759 à la malheureuse journée de Minden où « l’armée française d’Allemagne fut […] écrasée104 ». « Ce mémoire fit grand bruit à la cour de Varsovie et y causa avec la plus défavorable impression, le plus grand embarras105 ». Le roi de Pologne bien que de santé précaire, épuisé et accablé de voir la Saxe envahie par les troupes prussiennes, n’était ni agonisant, ni démissionnaire et donc les ambitions du prince Xavier, les plans pour les réaliser, y compris l’implication de Versailles, ne pouvaient que choquer Auguste III et le brouiller avec ses deux fils aînés et son Premier ministre et favori, le comte de Brühl qui était favorablement parti prenante dans le projet. Il fallait pourtant se hâter. Le prince Xavier ne pouvait agir que dans l’ombre, mais son homme de confiance et le concours de la Dauphine permettaient d’effectuer les démarches les plus pressantes pour gagner à la cause, les trois cours alliées : Versailles, Vienne et Madrid. Aussi, « le général de Martange, sans trêve ni repos, fit démarches sur démarches pour amener la réalisation de ses secrets désirs106 » qui étaient aussi ceux de son maître.
Le 29 juin 1762, Catherine II succéda à l’infortuné Pierre III. La cour de Saint-Pétersbourg devint un second foyer d’intrigues pour les prétendants au trône de Pologne. La tsarine aimait encourager des ambitions rivales et en être l’arbitre. Elle avait cependant décidé en secret qu’il « lui fallait un roi sans caractère, sans volonté, au dévouement servile : elle avait choisi [Stanislas] Poniatowski, le brillant neveu de Czartoryski, [et] l’amant préféré de sa jeunesse107 ». C’était un homme cultivé et de « manières aimables108 ». Il était à cette époque ambassadeur de Pologne en Russie depuis 1756109Voir Fonds de Saxe, liasse E*1450. Sa candidature fut rendue publique ; ni sa naissance, ni sa position ne justifiant une telle ambition. Il n’était, semble-t-il, le candidat de personne, ni de la noblesse de Pologne, ni du peuple, ni des cours européennes. Seule Catherine II avait mis tout son amour-propre dans son élection : « Je veux qu’il soit roi, et il le sera110 ».
Si le prince Xavier de Saxe était le candidat de la France, il semble que Louis XV, n’ait pas fait preuve d’un engagement visible, total et irréversible en sa faveur. Au contraire, dans de nombreux documents, les instructions du roi furent d’une grande imprécision. Que souhaitait-il réellement ? Ainsi, dans une lettre adressée au ministre des Affaires étrangères Tercier, Louis XV écrivait : « Ce que je désire premièrement pour l’élection prochaine en Pologne, c’est la liberté des Polonais dans leur choix ; ensuite un des frères de Madame la Dauphine, Xavier, préféré aux autres, […] s’ils prennent le prince de Conti, je ne m’y opposerai pas …111 ». De telles instructions ambiguës de la part du roi ou de son ministre, furent nombreuses112. « La situation était donc celle-ci : La France, qui, en 1733, avait pris fait et cause pour un polonais, Stanislas Leszczynski, contre le nouvel électeur de Saxe, Frédéric-Auguste II, fils du roi défunt, soutenait cette fois le candidat saxon contre Poniatowski. La Russie de son côté, qui avait combattu Stanislas Leszczynski, le beau-père de Louis XV, repoussait maintenant dans le saxon, un ami de la France et de l’Autriche113 ».
Cependant, aucune des grandes cours alliées, y compris Versailles, ne voulait visiblement s’engager en faveur du prince de Saxe. « Les blessures de la guerre de Sept ans étaient encore trop récentes et trop profondes pour courir de nouveaux risques à propos de la Pologne114 » face à l’agressivité des deux puissances alliées d’Europe de l’est, la Prusse et la Russie. Aussi, la France abandonna le terrain, avec elle l’Autriche et l’Espagne décidèrent de ne pas agir. Cela laissa la Russie libre d’intervenir comme elle le souhaitait sur cette élection. « C’est ainsi que, malgré les vœux contraires d’un grand nombre de Polonais qui s’indignaient de voir le sceptre des Jagellon devenir le prix d’une faiblesse de cœur et la récompense de l’immoralité, Stanislas Poniatowski, fort de l’appui des baïonnettes russes et se souciant peu du scandale que causait une élection faite sous la pression des troupes étrangères, fut proclamé roi de Pologne par la diète de Varsovie du 7 septembre 1764115 ». Une fois de plus, le dicton populaire polonais se vérifiait : ‘‘Dieu était trop haut et la France était trop loin pour protéger la Pologne’’.
En septembre 1767, le général de Martange mettant à profit des troubles soulevés par la noblesse polonaise contre Stanislas Poniatowski sur le statut des chrétiens polonais non romains, tenta de rouvrir la question de la couronne pour le prince Xavier. La Dauphine était morte depuis six mois et aucune cour européenne ne considéra la démarche comme sérieuse. Ce projet qualifié de « chimérique » par le duc de Choiseul, avorta en quelques jours116 .
L’administrateur de la Saxe et le tuteur du jeune électeur.
« La mort inopinée de son frère Frédéric-Christian, électeur de Saxe, survenue le 17 décembre 1763 après deux mois de règne – il avait succédé à son père le 5 octobre – donna au prince Xavier, en même temps que l’administration du pays, la tutelle de son neveu, l’électeur Frédéric-Auguste III, qui n’était âgé que de treize ans117 ». La tâche n’était pas simple, la guerre de Sept ans, l’occupation extrêmement brutale et dévastatrice118 par la Prusse, « l’incroyable incurie du premier ministre, [le] comte de Brühl [… avait] épuisé les forces vives de la Saxe ». Frédéric-Christian avait entrepris une grande œuvre nécessaire de réformes dès son avènement. Le prince Xavier de Saxe décida de continuer ces réformes. Il associa à cette régence, « le concours éclairé de l’électrice, sa belle-sœur119120 ». Il choisit pour conseillers, le général Martange et le comte de Fleming, ministre du cabinet à Dresde et représentant du roi de Pologne à la cour de Vienne pendant la guerre de Sept ans. Il surveilla de très près l’éducation de son neveu et désigna le baron de Forel comme précepteur et gouverneur du jeune électeur ; ce baron de Forel que le prince Xavier avait eu lui-même pour gouverneur. Ce fut un excellent choix ; « c’était un homme de grand mérite, au caractère franc et ouvert, d’une exquise politesse, de mœurs irréprochables, possédant à un haut degré la science du droit, parlant couramment les langues française et allemande […]. Il consacra à sa nouvelle mission tout ce qui lui restait de force et d’activité. Il se dépensa sans compter, avec un absolu désintéressement, une ténacité invincible et une foi ardente, à compléter et à parfaire l’éducation de l’électeur121 ».
« L’administration du prince Xavier de Saxe, soit par les réformes dont il fut lui-même l’auteur, soit par celles dont il fut l’inspirateur, quand son neveu, hors de tutelle, prit en mains le pouvoir, eut pour la Saxe d’heureux résultats122 ». Dans l’histoire de l’Electorat, le règne de Frédéric-Auguste III dit ‘‘le juste’’ vit la réalisation de grands progrès et ce prince a laissé à ses contemporains, une image extrêmement positive faite de « justice et de sagesse123 ». J.-J. Vernier124 estima que ces résultats sont aussi à porter au crédit du prince Xavier comme conséquences de ses propres réformes ou parce que directement liés à l’éducation qu’il avait fait donnée à son neveu.
Ces progrès ne pouvaient cependant, assurer l’avenir, la grandeur et la prospérité de la Saxe. L’Électorat était petit, ces voisins, Prusse, Autriche et plus loin Russie, étaient puissants. Il était nécessaire d’avoir d’excellentes relations avec ceux-ci, mais plus encore avec les grandes puissances d’Europe occidentale capables de les contrôler ; voire d’obtenir des subsides de l’Angleterre ou de la France qui disait le général de Martange « paient quelques fois les autres [puissances]125 ». Une politique de rapprochement avec Versailles fut conduite pendant toute la régence du prince Xavier. Des mariages furent envisagés entre l’électeur Frédéric-Auguste III et la princesse Marie-Adélaïde, fille du dauphin de France et entre le comte de Provence, son fils, et la princesse Amélie de Saxe, sœur du jeune électeur. La mort de la Dauphine en mars 1767, rendit la chose difficile voire impossible. Le général de Martange qui avait pour mission de faire progresser ce double mariage, était au plus mal avec le duc de Choiseul qui « nourrissait contre le général de Martange, un profond ressentiment126 ». Ce fut l’échec ; les princes et princesses de la maison de France s’unirent à la maison de Savoie ; l’électeur Frédéric-Auguste III prit pour épouse la sœur de l’électeur de Bavière. Le prince Xavier de Saxe avait échoué ; il n’avait pas réussi à lier l’Electorat à la France. La Saxe appartenait à la sphère de l’Empire, et restait sous la ‘‘bienveillance’’ ou la ‘‘menace’’ de la Prusse. Le mariage de Frédéric-Auguste fut célébré le 29 janvier 1969, et le prince Xavier de Saxe remit l’administration et la direction du gouvernement de l’Electorat à son neveu.
Mariage secret et Castitatem, le paradoxe des années 1765-1768.
Nous avons vu qu’à la mort de son frère, l’électeur de Saxe, en 1763, le prince Xavier décida d’associer sa belle-sœur, l’électrice Marie-Antoinette de Bavière à l’administration de l’Electorat. Est-ce, comme certains historiens l’ont avancé, pour avoir autorité sur le corégent127 que l’électrice favorisa ses amours avec l’une de ses demoiselles d’honneur, la comtesse Claire-Marie de Spinucci ? « C’était une italienne d’une [noblesse douteuse]128, mais d’une grande beauté129 ». À ce propos, le baron de Zuckmantel, ministre de France en Saxe, écrivit le 11 janvier 1765 au duc de Choiseul : « Cette fille, naturellement sage, n’a point encore jusqu’à présent cédé aux désirs du prince malgré toutes les tentatives honteuses qu’a fait Madame l’Electrice pour la faire succomber130 […] ». Il en résulta, le 9 mars 1765, un mariage morganatique. L’union fut tenue secrète, le prince Xavier allant même jusqu’à la nier formellement. Pourtant la comtesse donna naissance en 1766, en 1767 et en 1768 à quatre enfants qui furent baptisés sous le nom de ‘‘Saxe’’131.
Ce mariage créa un assez vif scandale à la cour de Dresde, et de nombreux et violents reproches de la famille du prince. Ne pouvait-il pas aspirer à la main de quelque future souveraine, à défaut, à celle de la fille d’un prince couronnée ? Pour faire taire ces reproches, le prince entreprit un voyage en Italie ou semble-t-il, il y trouva « un peu partout [des] aventures132 » dont J.-J. Vernier trouva la trace dans des « lettres galantes » contenues dans le « Fonds de Saxe ». La comtesse Spinucci eut de nombreuses rivales. « En termes énergiques et touchants elle se plaignit d’être abandonnée du prince et le qualifia volontiers de traître133 ».
En 1777, après de longues négociations avec Rome, le prince put faire reconnaître son mariage. Il chercha immédiatement à obtenir pour sa famille des lettres de naturalisation en s’adressant au ministre Maurepas et en sollicitant pour ses enfants la qualité de citoyens français. Les lettres patentes qui lui accordèrent la naturalisation demandée furent octroyées en octobre 1781 et enregistrées au Parlement de Paris le 27 novembre. Le prince avait choisi pour témoins : le duc de Narbonne, le marquis de Timbrune-Valence et le comte de Montaut. Il faut noter qu’en cette année 1777, le prince Xavier était brouillé depuis quelques années avec le général Martange, une rupture qui fut définitive.
Paradoxalement, vers la fin de l’année 1768, alors qu’il allait abandonner la régence de l’Electorat de Saxe, le prince Xavier chercha ce qu’il appela « un établissement convenable » pour son avenir. Il arrêta son choix sur la Grande Maîtrise de l’ordre des chevaliers Teutoniques. Pour cela, il s’adressa à l’empereur, à l’impératrice qui régnait aussi sur la Bohème et la Hongrie, au roi de France et au duc de Choiseul, pour obtenir leur soutien et leur intervention en sa faveur. Il n’était, bien sûr, pas le seul candidat. Traditionnellement, le Grand Maître de l’ordre était choisi parmi les électeurs ecclésiastiques sous réserve qu’ils fussent en très bons termes avec la cour de Vienne. Le prince Xavier de Saxe n’était pas l’un d’eux. Autre difficulté, la loi canonique imposait aux religieux le triple vœu : castitatem, paupertatem et obedientiam134. Sans ces conditions, pas de moine et donc pas de fonction de Grand Maître. Le prince Xavier de Saxe savait que les vœux de pauvreté et d’obéissance étaient exigés avec une certaine indulgence chez ces grands nobles, titulaires de la charge de grands maîtres qui menaient une vie royale et n’obéissaient à personne, pas même au pape, leur chef suprême. Mais les juges de l’ordre se montrèrent plus sévères sur le vœu de chasteté. Non sans humour (ou avec candeur ou hypocrisie) le prince Xavier de Saxe écrivit au général Martange qu’il ne se sentait aucune répugnance à prononcer les vœux, même celui de chasteté. Et quelque temps plus tard, il présenta et démontra au chapitre de l’ordre « l’état avéré de célibat dans lequel il vivait135 ». Il oubliait un peu vite la comtesse de Spinucci et les quatre enfants qu’elle lui avait déjà donnés. Le chapitre de l’ordre Teutonique fut sourd à ses arguments et à ses assurances, les refusant chaque fois d’un mot et « d’une voix inexorable : Castitatem136 ». Tous ses efforts furent inutiles. Ce fut une nouvelle déconvenue pour le prince Xavier de Saxe. Dans cette affaire, avait-il fait preuve de sincérité ou plus simplement de candeur ?
Le château de Pont-sur-Seine puis l’immigration.
Les déconvenues essuyées dans sa recherche d’une haute fonction « jetèrent le découragement et le dépit dans l’âme du prince137 ». Aussi « après un court séjour à Munich, puis dans la seigneurie de Zabeltitz dans le cercle de Misnie138, Xavier de Saxe entreprit, sur la fin de l’année 1769, un voyage en Italie sous le nom de comte de Goertzig en compagnie de la comtesse Spinucci et de quelques officiers. Pendant les années 1770-1771, il visita successivement Gênes, […] Rome, Naples, Sienne, Florence, Bologne […] Ferrare, Venise, Padoue, Vérone, Milan et Turin139 ». Ce voyage fit l’objet d’une importante correspondance du prince Xavier destinée plus particulièrement au colonel Saiffert et au père Boccard son confesseur. « Toutes les lettres » dit J. J. Vernier, « seraient à citer en entier, parce qu’on y trouve consignées ses impressions, dans un style parfois enjoué140 ».
Après ce voyage, le prince Xavier de Saxe décida de quitter définitivement l’Allemagne et vint se fixer en France sous le nom de comte de Lusace, une province orientale de la Saxe, mais conserva cependant son titre d’Altesse Royale dans la correspondance. Dans cette nouvelle patrie, il était maintenant, sans appui, seul et isolé, depuis le décès de la Dauphine. Il était plus que jamais ce « cher Jean sans terre » qui était le sobriquet qu’utilisait la Dauphine dans les lettres qu’elle lui adressait.
En 1771, il acheta à Madame Marie-Madeleine Delpech, veuve de Duplessis Le Lay, le domaine de Chaumot aux environs de Sens. Il s’en défit l’année suivante voulant une résidence à la fois plus importante et plus près de Paris. En 1775, il se décida pour le domaine et château de Pont-sur-Seine141, propriété de Ferdinand de Rohan, archevêque de Bordeaux qui l’avait lui-même acquis récemment des héritiers de Claude Bouthillier de Chauvigny (1581-1652), surintendant des finances de Louis XIII, qui l’avait fait construire entre 1632 et 1643. Il s’y installa avec sa famille et y vécut « au milieu de tous les agréments du bien-être et du luxe142 » vivant des revenus des apanages qu’il avait conservés en Pologne. Revenus insuffisants semble-t-il pour faire face à son train de vie et à son endettement. Son confident et ami, le comte de Montaut, lui donna en 1779, le sage conseil de réduire strictement les dépenses de sa maison aux 150 000 livres qu’il touchait du trésor de France de manière à rembourser ses dettes qui « pouvaient s’élever au chiffre respectable d’environ deux millions de livres143 ». À partir de cette année de 1775, commença réellement pour lui la vie de famille, partagée entre le domaine de Pont-sur-Seine en été, et un hôtel de la rue Saint-Honoré durant une partie de l’hiver afin de pouvoir assister aux fêtes et réceptions de la cour de Versailles.
En 1776, il entreprit un voyage de plusieurs mois d’abord en Suisse puis le long de la vallée du Rhône et enfin dans la partie ouest des Pyrénées ; Il visita Pau où il logea dans la chambre où naquit Henri IV. Ce voyage fit l’objet « d’un journal détaillé de ses pérégrinations144 » qui fut conservé.
En 1778, le maréchal de Broglie, devenu commandant en chef des troupes rassemblées en Bretagne et en Normandie pour faire face à la guerre entre la France et l’Angleterre qui venait d’être déclarée, fit appel au prince Xavier de Saxe qu’il choisit comme lieutenant et à qui il confia le commandement de la division de Bretagne. Cette unité ne fut jamais engagée dans le conflit. Quelque dix ans plus tard, en mars 1789, « en considération et en reconnaissance des services qu’il avait rendus à la France145 », le roi accorda au prince Xavier de Saxe, la propriété du régiment de hussards tenant garnison à Haguenau. Ce régiment porta désormais le nom de Saxe-Hussards146.
A la fin de l’année 1790, le prince Xavier de Saxe, comprit la gravité de « l’orage politique » qui secouait la France. Il avait semble-t-il « vite saisi la véritable portée de la révolution et prévu les dangers d’un plus long séjour en France147 ». Début 1791, il quitta Pont-sur-Seine dans la précipitation, n’emportant que « sa cassette et ses bijoux les plus précieux148 ». Le 6 novembre de la même année, par décret spécial, il fut sommé de rentrer dans un délai de deux mois. Sa qualité de prince étranger ne lui fut pas reconnue malgré les efforts de ses agents. En conséquence, il fut porté sur la liste des émigrés, ses biens furent confisqués et le 31 mars 1793, les scellés furent apposés dans le château de Pont-sur-Seine149.
Le chemin de l’émigration le conduisit directement à sa première patrie. Conséquence de cet exil, nous n’avons aucun élément sur sa vie après 1791. Nous pensons que sa correspondance et toute les documents relatifs aux années 1791-1806, sont conservés en Saxe. Lorsque l’on sait la richesse des archives que le prince nous a laissées à Pont-sur-Seine où il ne résida que seize ans, on peut espérer qu’un trésor historique similaire existe à Dresde ou à Leipzig portant sur les quinze dernières années de sa vie. C'est-à-dire, sur une période extrêmement bouleversée sur laquelle il serait passionnant d’avoir les observations d’un prince européen particulièrement imprégné de culture française150. Nous ne désespérons pas de pouvoir un jour localiser puis consulter ces archives d’exil.
Le 21 juin 1806, alors que la Saxe avait depuis 1803, choisi l’alliance avec Napoléon151, le prince François-Xavier de Saxe, comte de Lusace, mourait dans sa seigneurie de Zabeltitz152, près de Dresde.
La descendance du prince Xavier de Saxe.
De son mariage avec la comtesse de Spinucci, le prince Xavier de Saxe eut neuf enfants, deux fils et sept filles153. Tous cousins germains des rois de France Louis XVI, Louis XVIII et Charles X. Deux de ces enfants moururent en bas âge. Claire, l’année même de sa naissance en 1766, Cécile, à l’âge de dix-huit mois, en 1781. Nous ne savons rien de trois princesses : Béatrice, née le 1er février 1772 et décédée le 6 février 1806, Cunégonde, née le 18 mars 1774 et décédée le 18 octobre 1828, Christine, née 30 décembre 1781 et décédée le 20 août 1837.
Prince Louis de Saxe (présumé) (1766-1782). Musée de Troyes (cliché : Jean-Marie Protte).
Prince Joseph de Saxe (présumé) (1767-1802). Musée de Troyes (cliché : Jean-Marie Protte).
Princesse de Saxe (présumée Elisabeth) (1767-1802). Musée de Troyes (cliché : Jean-Marie Protte).
Les deux filles aînées, Elisabeth, née à Dresde le 22 octobre 1768, et Marie–Anne, née à Sienne le 20 octobre 1770, passèrent leurs premières années à Chaumot ou à Pont-sur-Seine. Elles furent envoyées en 1778 au couvent de la Visitation à Paris. Elles le quittèrent en 1782 pour entrer à l’abbaye de Panthémont. La princesse Elisabeth vit plusieurs de ses prétendants refusés car d’un rang incompatible avec celui d’une cousine germaine du roi. Elle se maria en 1787 avec le duc d’Esclignac après que le consentement de Versailles eut été obtenu.
La princesse Marie-Anne, comme pour son aînée Elisabeth, dut se plier aux décisions du roi et surtout de ses ministres quant au choix de ses prétendants. Elle épousa en 1790, le prince Saint-Severn de Naples.
Les deux princes de Saxe naquirent à Dresde. Le fils aîné, Louis, le 27 mars 1766 et son cadet Joseph, le 23 août 1767. Un précepteur « de grand talent et de beaucoup de mérite, l’abbé de Barruel154 » se chargea de leur éducation jusqu’en 1778155, date à laquelle ils rejoignirent le collège de Navarre à Paris.
Le prince Louis, après une prime jeunesse dissipée se destina à l’état ecclésiastique. Il fut tonsuré en 1780, mais la mort le surprit en 1782 au séminaire oratorien de Saint Magloire à Paris ; il n’avait que dix-sept ans.
Son cadet, le prince Joseph qui devint par la suite le chevalier de Saxe « « aima plus que tout le reste la poudre et le canon156 » ». Il entra en 1781, en qualité de cadet-gentilhomme à l’école militaire de Paris. L’année suivante, à l’âge de quinze ans, il fut fait chevalier de Malte. Il semblait peu doué et peu intéressé par les études, mais montra un penchant irrésistible pour l’activité physique, les exercices du corps et les parades militaires. En 1788, il fut nommé comme officier dans le régiment de cuirassiers du comte de Provence avec le titre d’aide de camp du maréchal de Broglie. Nous ne savons rien de sa vie après cette date si ce n’est qu’il mourut en Allemagne, le 22 juin 1802.
Conclusion.
Nous voici au terme de la vie du prince Xavier de Saxe. Malgré le vœu de Louis XV, il ne fut jamais couronné roi de Pologne. Il ne devint pas grand maître de l’ordre Teutonique. Dans la guerre contre la Prusse où les armées françaises connurent plus souvent la défaite que la victoire, le corps d’armée saxon qu’il commandait, apporta quelques-uns des succès militaires que les alliés obtinrent contre Frédéric II. Il fut, semble-t-il, un bon régent pour l’électorat de Saxe.
Ce serait peu s’il ne restait les cent mille documents, lettres, mémoires, inventaires, pièces comptables et les six mille sept cents livres qu’il a laissés. Un trésor qu’il faut maintenant découvrir, une étude qui ne pourra être que partielle et incomplète.
A-t-il vraiment « traversé l’Histoire avec des pantoufles » comme l’a écrit J. J. Vernier ? Nous laissons au lecteur le soin de répondre. Nous trouvons ce jugement un peu sévère157.
Nous pensons nécessaires de rappeler les grands événements de ces pages d’Histoire qu’il traversa « avec des pantoufles ». Ce sera l’objet du chapitre qui suit. Auparavant, il a semblé judicieux de compléter la biographie du prince Xavier de Saxe, par quelques informations sur le château de Pont-sur-Seine et sur la Chapelle qui le jouxte.
LE CHATEAU ET LA CHAPELLE DE PONT-SUR-SEINE158. COMPLEMENT A LA BIOGRAPHIE DU PRINCE XAVIER DE SAXE :
Le château de Pont-sur-Seine où vécut le prince Xavier de Saxe et où il accumula l’énorme quantité d’archives qui sont maintenant à notre disposition, a disparu depuis l’Empire. Son histoire mérite d’être contée.
Le village de Pont-sur-Seine portait au VIe siècle le nom de Duodecim Pontes, nom qu’il devait à sa position exceptionnelle sur le seul passage régional existant entre les rives droite et gauche de la Seine, dans cette zone de marais où le fleuve nouvellement grossi par l’Aube, son affluent le plus important, se ramifie en de nombreux bras. La voie romaine Caessaromagnus (Beauvais) à Augustodunum (Autun) traversait le village avec une bifurcation vers Augustabona (Troyes).
En 1632, Claude Bouthillier de Chavigny (1581-1652), surintendant des finances de Louis XIII entre 1632 et 1643, acheta la seigneurie de Pont. Il confia à l’architecte Le Muet (1591-1669), la construction d’un château qui fera l’admiration des contemporains. Ainsi la Grande Mademoiselle, après un court séjour en 1648, écrivit dans ses Mémoires « J’allai à Pont chez Madame Bouthillier. C’est une des plus belles maisons de France ; elle est située à mi-côte ; on y voit des fontaines, des canaux, et la rivière la Seine en bas des jardins qui sont en terrasse […]. J’y restai trois jours et j’y dansai fortement ; je me promenai à cheval. Il y avait un bateau, le plus joli du monde ; j’y allai peu, je crains l’eau159 ».
Le prince Ferdinand de Rohan, archevêque de Bordeaux l’acquit en 1773, pour le revendre au prince Xavier de Saxe en 1775. Celui-ci y dépensa une fortune en améliorations considérables, en ameublement de « grand luxe […] et en train de maison tout à fait princier » au point de mettre ses finances en difficultés. « Le trouvant probablement un peu gothique, il n’épargna rien pour l’embellir, le décorer et le meubler somptueusement ; il en voulait faire un des châteaux les plus élégants, une résidence des plus agréables, conçue et distribuée selon les idées de l’époque160 ». « À partir de ce moment, le prince Xavier de Saxe commença réellement à vivre de la vie de famille161 ».
Lorsqu’en 1791, le prince Xavier de Saxe quitta le pays pour ne jamais y revenir, ces biens furent confisqués, les scellés furent apposés dans le château le 31 mars 1793, et l’ameublement, les tableaux et gravures, la bibliothèque et les archives furent dispersés. En 1805, Napoléon offrit le domaine à sa mère Laetitia qui l’habita jusqu’à la chute de l’Empire. En 1914, le Prince de Wurtemberg occupa le château avec son état-major et certaines de ses troupes. À leur départ, il fut pillé, volontairement incendié et entièrement détruit.
En 1821, Casimir Perier (1777-1832), directeur de banque, régent de la Banque de France, député puis plus tard chef de gouvernement et ministre de l’intérieur sous Louis-Philippe (1831), acheta le domaine et les ruines du château qu’il reconstruisit sur les plans originaux qu’il possédait. En 1845, son fils, Auguste Casimir-Perier, le détruisit à la suite d’un différent avec la compagnie en charge du tracé de la ligne de chemin de fer Montereau-Troyes qui pour des raisons de résistance de sol, devait passer sur l’emplacement même du château. Parallèlement, il transforma les communs du grand ensemble du XVIIIe siècle, ceux du château de Xavier de Saxe, en maison d’habitation, véritable nouveau château tel qu’il existe actuellement. Jean Casimir-Perier, fils d’Auguste et président de la République, hérita du château où il mourut en 1907. Sa fille Germaine, épouse de l’industriel Sommier, l’habita jusqu’à sa mort en 1968. Il est depuis la propriété d’un médecin parisien, le docteur N…
« Le château des Casimir-Perier se présente sous la forme d’une belle façade qui donne sur un parc à l’anglaise. Le château aboutit de plain-pied sur une très belle cour fermée par des arcades en briques et pierres blanches. Elle est entourée de bâtiments en équerre, d’un seul étage, surmontés d’un toit d’ardoises à la française où s’ouvrent de multiples fenêtres à la Mansart162 ». Cernée d’une végétation importante, la façade du château orienté nord, est généralement peu visible de l’extérieur de la propriété. Cependant, au début de l’hiver, lorsque les arbres ont perdu leurs feuilles, le passager de la ligne Paris-Bâle en a une vue complète mais fugace. Elle peut être aussi observée à la même saison depuis le chemin de halage du canal latéral à la Seine dans sa sortie ouest du village.
Il nous faut dire quelques mots sur l’église de Pont-sur-Seine qui offre à l’intérieur « un ensemble exceptionnel de peintures163 ». Elle a la forme d’une croix latine. Le cœur et le transept ainsi qu’une petite tour sont du XIIe siècle. La nef composée de trois vaisseaux, est du XVIe siècle. L’intérieur de l’église est entièrement revêtu de peintures exécutées en 1636 par Eustache Le Sueur (1617-1655) d’après des cartons de Philippe de Champaigne (1602-1674), sur l’ordre de Claude Bouthillier de Chavigny. Sont représentés côté nord, les rois de la Bible, côté midi, les prophètes. Le retable du maître autel contient un tableau de Philippe de Champaigne : La Résurrection. La nef et les chapelles latérales sont décorées de pas moins de six tableaux ou panneaux peints par Philippe de Champaigne ou par son atelier. À noter dans la nef principale, l’une des trois copies connues de la Nativité de Luini (c.1480-1532). Les autres copies se trouvent au Louvres et à Florence. Les autorités de Ponts-sur-Seine, comme chacun des musées, sont convaincues de posséder l’original.
Généalogie simplifiée du prince Xavier de Saxe.
Dans la version finale et imprimée de ce mémoire, la présente page est remplacée par le document Excel référencé :
« 02A. Page 39. Généalogie de X. de Saxe. »