Introduction
‘‘Des princes européens’’ ?
« L’Europe d’aujourd’hui est-elle […] issue de L’Europe des rois ? » questionne le professeur Lucien Bely dans l’avant-propos de son ouvrage : La société des princes1Lucien Bély, La société des princes XVIe-XVIIIe siècle. Paris, Fayard, 1999. Page 7.. Peut-être pas répond-t-il, et de développer que si « […] dans la plupart des pays européens, l’affirmation d’une maison souveraine avait favorisé la naissance d’une nation », ces maisons se construisirent sur la rivalité qui les opposait aux autres princes souverains. Plus tard, lorsque les nations l’emportèrent sur les monarques, elles reprirent à leur compte de tels affrontements2Lucien Bély, La société des princes XVIe-XVIIIe siècle. Paris, Fayard, 1999. Page 7.. Les peuples participèrent par contrainte, par obéissance ou par amour, à ces affrontements. Dégagés des liens qui les unissaient aux souverains, ils créèrent des nations qui s’imposèrent contre la volonté des rois 3Lucien Bély, La société des princes XVIe-XVIIIe siècle. Paris, Fayard, 1999. Page 7.. L’Europe contemporaine se construisit en se dégageant à son tour de l’affrontement des nations4Lucien Bély, La société des princes XVIe-XVIIIe siècle. Paris, Fayard, 1999. Page 7..
Ces rivalités, ces affrontements ou ces alliances ne se limitèrent pas aux maisons souveraines ; ils impliquèrent les alliés, vassaux et principautés feudataires ; ils maintinrent ou renforcèrent les liens qui unissaient les petits princes aux grands souverains. Des liens devenus si étroits qu’ils finirent par créer des conditions de dépendance qui entraînèrent l’absorption des petites principautés. La construction de l’unité allemande au XIXe siècle en fut l’illustration5Bismarck était convaincu que l’unité allemande ne pouvait se réaliser que dans « le feu et le sang » et qu’elle nécessitait, non seulement un ennemi commun mais aussi une victoire commune. Sadowa prépara cette unité que Sedan cimenta.. Elle se fit en réunissant de gré ou de force, les petits états allemands autour de la Prusse et des Hohenzollern, et contre l’Autriche puis la France.
Parfois, le poids des grands monarques, le jeu des alliances matrimoniales ou politiques, faisaient hésiter et osciller les petites principautés, dans des systèmes d’alliances opposées bâties entre grands souverains rivaux. Ainsi, si tous les princes allemands [étaient] feudataires de l’Empire6In Lucien Bély, op. cit., page 10, citant le Dictionnaire de Trévoux. » certains tel l’électeur de Cologne ou celui de Bavière furent aux XVIIe et XVIIIe siècles plus souvent les alliés des Bourbons de France que ceux des Habsbourg d’Autriche. Ce fut aussi le cas pour la maison de Saxe qui, après le mariage de la princesse Marie-Josèphe avec le dauphin de France en 1747, s’allia pour soixante-dix ans avec la France, une alliance qui survécut à la Révolution française et qui ne pris fin qu’avec l’effondrement du Premier Empire. L’Europe qu’elle ait été celle des principautés ou celle des grandes maisons souveraines, ne fut qu’un vaste espace de rivalités se transformant périodiquement en champ de bataille.
À partir du XVIIe siècle, les monarques ne se rencontrèrent plus guère7In Lucien Bély, op. cit., page 385.. Un autre ‘‘Camp du Drap d’or’’, une visite semblable à celle que fit à l’hiver 1539, Charles Quint à François 1er au château de Fontainebleau8Visite qui fit dire au bouffon Triboulet s’adressant à François 1er : « Si Charles venait chez lui, il le fallait coiffer de son bonnet de fol, mais que si le Roi l’en laissait ressortir, il le devait coiffer lui-même ». Léon Deroy, Les chroniques du château de Fontainebleau, Paris, Librairie Pierre Roger, 1925, page 17., n’étaient plus possibles. Si Louis XIV salua Philippe IV sur l’île des faisans, chaque souverain resta de part et d’autre d’une frontière matérialisée jusque sur leur table de travail. En 1777, Joseph II fit un périple en France ; il rencontra son beau-frère Louis XVI pour des raisons familiales mais aussi politiques9« Joseph II avait déjà la succession de Bavière en tête ». Lucien Bély, op. cit., page 515.. L’empereur cacha son incognito sous le nom de comte de Falkenstein. Lucien Bély précise10« Joseph II avait déjà la succession de Bavière en tête ». Lucien Bély, op. cit., page 520. que l’empereur fit de son voyage une expérience personnelle, et non politique, et d’expliquer, citant l’abbé Duval-Pyrau11Cf. Ibid. où Lucien Bély fait référence à l’ouvrage de l’Abbé Duval-Pyrau, Journal et anecdotes intéressantes du voyage de Monsieur le comte de Falkenstein, Francfort et Leipzig, 1777., qu’une rencontre officielle de souverains assujetties à ces précautions qui naissent de la défiance [… ;] on posait des barrières, on réglait les suites, on mesurait les distances, on comptait jusqu’aux pas, ne pouvait plus être organisée. Sauf campagnes miliaires, les souverains une fois couronnés ne quittaient plus leur ‘‘pré carré’’.
Cette pratique ne s’appliquait pas aux princes non couronnés. L’héritier du roi de Prusse, le futur Frédéric II, aurait souhaité se rendre en Angleterre. Son père, le Roi Sergent Frédéric-Guillaume Ier, ne le permit pas et son départ avorta dans un dénouement shakespearien. D’autres princes, promis par leur rang de naissance à des fonctions plus modestes, dans la recherche d’un ‘‘établissement’’ qui leur convint, débordaient volontiers l’espace géographique et politique de leur principauté d’origine. Ils étaient avant l’heure des citoyens européens disposant déjà du droit – sous réserve qu’ils fussent gentilshommes – de libre circulation des hommes et des capitaux12La guerre de 1870 puis et surtout, le premier conflit mondial, fermèrent les frontières ‘‘à cette libre circulation des hommes et des capitaux’’. Les princes n’eurent plus librement accès qu’aux pays alliés ou neutres. La « société des princes » n’existait plus.. La maison de Saxe de la seconde moitié du XVIIIe siècle usa de ce privilège ; les enfants d’Auguste III, roi de Pologne entre 1733 et 1763, se dispersèrent dans les états des Habsbourg ou des deux maisons des Bourbons. Le prince Xavier de Saxe à qui nous consacrons cette étude, était l’un d’entre eux.
Objectif de l’étude.
En 1756, avant la « Révolution diplomatique » franco autrichienne, sur les onze enfants vivants d’Auguste III, roi de Pologne et électeur de Saxe, quatre avaient choisi ou s’étaient attachés aux Bourbons de France ou d’Espagne, trois paraissaient définitivement liés à l’Autriche, et deux, sans avoir rejoint le camp autrichien, appartenaient à la fraction polonaise opposée à la France. Après 1756, la guerre de Sept ans, réunit tous ces princes et princesses dans le même camp, et il y eut pendant trente ans, un membre de cette ‘’fratrie13Néologisme apparu en 1970 (Petit Robert, édition de 1993) et utilisé fréquemment dans ce mémoire car désignant exactement le groupe princier étudié.’’ dans chaque grande capitale de l’Europe continentale : Paris, Madrid, Bruxelles, Vienne, Varsovie, Munich, Dresde ou Trèves, et dans deux abbayes établies à l’ouest de l’Empire. C’est cette distribution14Nous donnons au mot ‘‘distribution’’ l’un de ses sens mathématiques, à savoir, l’ensemble des espaces dans lesquels un élément considéré peut apparaître. européenne de la famille de Saxe, qui justifia la présente étude : Existait-il dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, un réseau européen pour la maison de Saxe, et était-il possible de l’identifier à partir du Fonds de Saxe, cette somme de documents conservés à Troyes, aux Archives départementales de l’Aube15Archives départementales de l’Aube, 131, rue Etienne Pédron, 10000 – Troyes : Fonds de Saxe, série E*, deuxième section : Correspondance particulière du Prince Xavier de Saxe. et rassemblés sous la forme de quelque cinquante mille lettres reçues ou envoyées par le prince François-Xavier de Saxe, fils cadet d’Auguste III.
Dans sa phase préliminaire, cette étude consista à découvrir et à se familiariser avec le Fonds de Saxe. Devant le volume des sources disponibles, il fallut définir les limites d’investigation. Ce fut seulement après cette opération qu’il fut procédé aux travaux de recherche et que furent étudiées les sources appartenant au domaine retenu. L’ultime étape fut la rédaction du présent mémoire.
Plan du mémoire.
Sans qu’elles soient formellement indiquées, le présent mémoire est construit autour de trois grandes parties. La première a la forme d’une longue introduction dans laquelle sont présentés en trois chapitres différents : la source utilisée, l’auteur des documents étudiés et le contexte historique de la période considérée.
Le premier chapitre décrit la source principale : Le Fonds de Saxe, ainsi que son histoire depuis la confiscation des documents par le Directoire en avril 1798, jusqu’aux derniers travaux universitaires entrepris actuellement sur les documents qui composent le Fonds.
Le deuxième chapitre consiste en une longue bibliographie du prince Xavier de Saxe qui fut à l’origine et rassembla ces archives.
Le troisième chapitre sous-titré : une fratrie princière en Europe, présente un court rappel du contexte historique existant dans le dernier quart du XVIIIe siècle, période pendant laquelle furent créés et rassemblés les documents qui composent le Fonds de Saxe. Ce chapitre est complété par une chronologie historique de l’Europe et de la vie du prince Xavier de Saxe.
La seconde partie du développement comprend un premier chapitre16Numéroté Chapitre IV pour des raisons de continuité et de cohérence. dans lequel sont définis les critères qui furent utilisés pour limiter et sélectionner les sources à étudier. La seconde section de ce chapitre consiste en un exposé de la méthodologie qui fut adoptée. Y ont été définis les outils informatiques, que furent utilisés pour étudier cette correspondance.
Dans le chapitre V fut effectuée une présentation qualitative de la correspondance des différents membres de la fratrie. C’est dans ce chapitre que furent exposées les remarques et les hypothèses qui furent faites lorsque furent rencontrées des lettres au contenu particulier qui laissaient deviner des événements ou des situations exceptionnelles.
Le chapitre suivant présente sous forme de tableaux, les résultats des analyses des documents étudiés. Les premiers tableaux donnent la répartition de la correspondance reçue par le prince Xavier de Saxe, entre les différents expéditeurs, ses frères et sœurs. Ils indiquent la distribution des pièces retenues dans « l’ensemble17Dans toute notre étude, nous utilisons le mot « ensemble » dans son sens mathématique, à savoir : « une collection d’éléments susceptibles de posséder certaines propriétés et d’avoir entre eux ou avec d’autres ensembles, certaines relations ». » de cette correspondance. Apparaît ensuite le tableau principal qui est constitué par une ‘‘base de données’’, élément central de l’étude. Il est complété par quelques tableaux complémentaires, étapes intermédiaires de l’analyse. Tous ces tableaux sont commentés.
La troisième partie, beaucoup plus courte que les précédentes, puisqu’elle ne comporte qu’un chapitre, est constituée par la synthèse des analyses et des études, l’inventaire des thèmes que l’on espérait rencontrer dans la correspondance et qui ne furent jamais identifiés, et une critique des travaux : critique de la sélection des sources retenues, mais aussi critique de la méthodologie utilisée. Pour terminer ce dernier chapitre, il est indiqué la suite qui pourrait être donnée à cette étude. Y est faite une tentative de définition d’un nouvel ‘‘ensemble’’ de documents ; c’est-à-dire, d’autres éléments de la correspondance conservée dans le Fonds de Saxe, dont l’étude permettrait (ou aurait permis) de compléter avec plus de précision, la définition du réseau européen d’un prince allemand, résidant en France.
Une conclusion, complète ce mémoire. Sont indiqués en annexe : les sources, la bibliographie et un index des personnages cités.