Conclusion
‘‘Des princes européens’’ ?
Existait-il dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, un réseau européen pour la maison de Saxe, et était-il possible de
l’identifier à partir du Fonds de Saxe, cette somme de documents conservés à Troyes, aux Archives départementales de l’Aube ?
C’était la question qui fut posée dans les premières lignes du présent mémoire. Au moment de rédiger
la conclusion, il est possible de répondre par
l’affirmative. Un tel réseau existait bien ; il mettait la fratrie au contact direct avec les deux
plus grands souverains du temps, avec à chaque fois un
intermédiaire très en cour : la Dauphine chez les Bourbons, et le vice-roi des Pays-Bas, le prince
Albert chez les Habsbourg. Pourtant, et sans qu’il fût
possible d’en expliquer la raison, ce réseau fut incapable de fournir un établissement de premier
plan au « prince [Xavier] de Saxe qui [dira J. J. Vernier
…] a traversé l’histoire avec des pantoufles ».
Une seconde question resta sans réponse : Pourquoi le prince Xavier de Saxe rassembla-t-il de telles archives ? Le fit-il
en prévision de la couronne de
Pologne ? Pensait-il ensuite les utiliser s’il obtenait le siège de grand maître de l’Ordre des chevaliers
Teutoniques ? Avait-il d’autres projets en tête :
Espérait-il rejoindre le « secret du roi » et en bénéficier ? Avait-il l’espoir de devenir l’un des
ministres de son neveu Louis XVI ? Aucun élément de la
correspondance ne permit de répondre et nous finîmes par penser qu’il aimait les archives bien organisées
et appartenant à cette catégorie de personnes qui
ne peuvent rien éliminer.
S’il fut possible de déterminer les contours du réseau des princes de Saxe, le volume et la variété des documents disponibles,
permirent de dépasser cette
problématique. À travers la correspondance, l’étude pénétra dans ce qu’il est possible de qualifier
de « premier cercle de l’intimité » d’une famille
princière du XVIIIe siècle. Nous fûmes constamment au contact d’une certaine « Société de Princes ».
Non pas celle des souverains, de ces personnages qui ne pouvaient ni se déplacer hors de leur royaume,
ni épouser ceux ou celles qu’ils aimaient ou auraient
pu aimer, ni pouvoir dans leur vie de tous les jours, éviter d’être constamment en représentation,
et avoir à l’esprit que chaque mot, chaque phrase, chaque
sourire seraient remarqués, notés et communiqués à toute l’Europe et aux générations futures. La société
que nous avons observée était celle des princes
non-couronnés, ceux qui gravitaient dans les cours de Versailles, de Viennes ou de Munich, autour
des grands souverains dont ils étaient les beaux-frères,
les oncles, les cousins, vivant des bienfaits et de la générosité des grands monarques.
Ayant choisit d’étudier une fratrie princière, nous n’avons pas rencontré les autres pans de ce XVIII
e siècle, cette autre société
qui entourait, servait, approvisionnait la
Société de Princes, c'est-à-dire les ministres, les juristes, les marchands, ou les
paysans qui par cercles concentriques gravitaient autour des princes. A l’opposé, nous avons découvert
que les onze membres de cette maison de Saxe, dans
leur recherche d’un ‘‘établissement’’ qui leur convint, débordèrent volontiers l’espace géographique
et politique de leur principauté d’origine. Ils étaient
avant l’heure des citoyens européens disposant déjà du droit de libre circulation pour eux, leurs
gens et leurs capitaux. Un privilège qu’ils perdirent
« lorsque les nations l’emportèrent sur les monarques470 ». Cette Europe des princes, qu’elle fût celle des souverains ou plus simplement, celle des membres
des maisons princières, avait une culture unique. Elle était née trois cents ans plus tôt à Florence
et à Venise, elle s’était développée vers l’Europe du
nord, notamment à Dresde, Prague, Vienne et surtout Versailles. Les terribles affrontements de l’Europe
des nations lui portèrent les premiers coups. Elle
disparut après les deux grands conflits du XX
e siècle. Les tentatives d’unification des nations européennes, la chute du mur de
Berlin, laissent espérer sa réapparition progressive. L’Europe ne sera plus jamais celle de la « société
des princes » mais semble-t-il, un compromis entre
une Europe des peuples et une Europe des nations.