SYNTHÈSES DES ANALYSES ET CRITIQUES DE L’ÉTUDE.
L’objectif que nous nous étions fixé au début de cette étude, consistait à identifier à travers sa correspondance, le réseau
d’un prince allemand vivant en
France pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Sommes nous arrivés à nos fins ? C’est ce que nous allons tenter de vérifier dans
le présent chapitre.
Identifier à travers une correspondance, impliquait d’abord de l’étudier. Cela fut fait en trois phases. La première consista
à lire l’ensemble de la
correspondance de la fratrie. Avons-nous lu les quatre mille quatre cents lettres de ses frères et sœurs
que le prince Xavier de Saxe conserva dans ses archives
? Certainement pas. Pourtant nous les avons toutes manipulées, et pour la plupart d’entre elles, nous
avons rapidement parcouru les premières phrases, et avons
survolé l’ensemble du texte cherchant à accrocher des mots qui justifieraient une lecture plus en profondeur.
Celle-ci fut faite pour un grand nombre de ces
lettres, certainement plus de la moitié.
Ces lectures permirent de déterminer chez chaque correspondant, les grands thèmes qui revenaient le plus souvent, voire constamment
dans leurs lettres et une
ébauche de ce que devait être le réseau de la fratrie, put être dessinée. La personnalité de certains
correspondants se dévoila dans leur courrier. On put
identifier pour certains princes et princesses de la maison de Saxe, leur capacité d’intervention, mais
aussi l’orientation générale que prenaient leurs
ambitions à travers leurs demandes. C’est à ce point de l’étude que put être rédigé le chapitre V sur
l’analyse qualitative de la correspondance.
La troisième phase consista à identifier, dans les trois cent seize lettres que nous avions sélectionnées, les mots-clefs
qui pouvaient caractériser le contenu
de ces lettres. Cela permit de construire la « base de données » sur lequel fut appliquer un travail d’analyse
statistique qui fit l’objet d’un chapitre
spécifique.
Place de chaque membre de la fratrie dans le réseau, une représentation polaire.
Deux structures géométriques pourraient être utilisées pour dessiner un réseau de relations d’un prince ou d’une fratrie.
La première consisterait à définir
des pôles qui seraient reliés par des lignes de force dont les épaisseurs pourraient être proportionnelles
à la fréquence et à l’intensité des échanges et
des interventions. C’est ce qui fut tenté dans la représentation simplifiée suivante :
À la fin des années soixante chaque prince et princesse de la maison de Saxe, avait ou était en passe de trouver « son établissement
», c’est-à-dire sa place
dans la société des princes que formait l’Europe du dernier tiers du XVIII
e siècle. Ainsi la Dauphine, avant sa disparition, forte
de l’autorité que lui donnaient ses enfants et bénéficiant de l’amitié du roi et de ses filles, avait
ouvert la cour de Versailles et la maison des Bourbons
de France à la fratrie. Ce rôle fut-il repris par le prince Xavier après 1767 ? On peut le penser
en observant combien et comment les princes et princesses
de Saxe furent reçus à la cour du roi de France, et cela jusqu’à la Révolution
432. Autour de ce noyau français, gravitaient deux éléments
importants qui ne doivent pas être négligés : le général de Martange et Jean-Baptiste Rivière
433.
La princesse Christine, liée dans un premier temps au vieux roi Stanislas et aux filles de France, fut au centre d’un nouveau
pôle pour le réseau de la
fratrie ; un pôle qui s’organisa autour de Lunéville, puis Coblence avec l’archevêque électeur et
sa sœur Cunégonde, mais aussi à Brussels avec le vice-roi
des Pays-Bas autrichiens, le prince Albert. Celui-ci à la fois gendre de l’impératrice, beau-frère
de Joseph II, mais aussi de Marie Antoinette, la reine de
France, assurait la liaison avec la maison d’Autriche et l’Empire germanique. Ce nouveau pôle pour
le réseau était naturellement lié avec la ville de Dresde
et l’électorat de Saxe où résidaient leur neveu l’électeur Frédéric Auguste et Charles de Saxe, duc
de Courlande qui étendait son propre réseau vers l’est,
c’est-à-dire, en Pologne et en Livonie (Lettonie).
Définition du réseau par cercles concentriques434.
Si la représentation polaire utilisée est un moyen simple pour illustrer l’étendue d’un réseau de relations, surtout si celles-ci
s’étendent géographiquement
sur plusieurs structures politiques différentes, elle donne une image simpliste et ne permet pas d’appréhender
toute sa complexité. Il fut mentionné que
l’importance des liaisons pouvait être figurée par l’épaisseur des traits, la figure qui fut retenue,
passait cependant sous silence les liaisons directes
entre les pôles extérieurs. Une autre approche était nécessaire. Elle consista à définir le réseau
par cercles concentriques. Elle offrait l’avantage de
pouvoir construire la représentation à partir d’un critère précis auquel il était possible de donner
la priorité. À titre d’exemple, le volume de
correspondance échangée, pouvait être un tel critère, même si dans le cas présent, seule la correspondance
reçue, était connue. Dans ce cas particulier, le
réseau put se définir ainsi : (le nombre des lettres reçues est indiqué entre parenthèses).
- Premier cercle : Elisabeth (1527), Marie-Anne (1013), la Dauphine (305435 ).
- Cercle intermédiaire : Clément (478), Christine (449), Cunégonde (259), Albert (198), Frédéric Christian (101436).
- Cercle extérieur : Charles (35), Marie-Amélie (aucune).
Cette représentation répondait à une réalité. Lorsque Elisabeth souhaita obtenir la fonction de coadjutrice de l’abbaye de
Remiremont, elle ne s’adressa pas
directement à sa sœur Christine, mais demanda à Xavier de Saxe, d’intervenir en sa faveur. Le réseau
était plus resserré entre le prince Xavier et ses sœurs
qu’entre les sœurs elles mêmes.
Pénétrant dans les détails
437, il fut possible en se référant à d’autres critères, de préciser les contours du réseau. Par exemple, quels furent les membres
de la
fratrie qui firent le plus souvent appel ou utilisèrent le plus fréquemment, le réseau ? Les deux
graphiques des pages 140 et 141 apportèrent une réponse,
et il fut possible de dessiner les cercles concentriques suivants :
- Premier cercle : Elisabeth et Marie-Anne.
- Cercle intermédiaire : Cunégonde, Christine et Clément.
- Cercle extérieur : Charles et Albert.
Autre exemple : qui abordait le plus souvent les sujets politiques dans sa correspondance ? Une nouvelle série de cercles
concentriques fut déterminée,
toujours à partir des graphiques déjà utilisés :
- Cercle intérieur : Elisabeth et la Dauphine. Les autres membres de la fratrie, n’abordant jamais de telles questions.
Dernier exemple avant de conclure ce paragraphe : qui aimait rapporter des « ragots » ? Donnait des nouvelles de la cour ?
Là encore, les graphiques
permirent de construire un dernier réseau :
- Cercle intérieur : Elisabeth et Marie-Anne.
- Cercle intermédiaire : Christine, Clément et Charles,
- Cercle extérieur : Cunégonde.
Cette vie de cour, nous l’avons vu, fut le thème le plus souvent traité dans la correspondance de la fratrie. Était-elle l’élément
principal de la vie de ces
princes de Saxe ? Et fut-il possible de découvrir un peu plus cette société des princes à travers
l’étude de leur correspondance ?
La société des princes de Saxe vue à travers leurs correspondances.
Toute correspondance échangée dans un groupe de personnes, aussi volumineuse et riche soit-elle, n’est pas nécessairement
représentative de sa structure
sociale et son étude ne permet pas d’avoir une image exhaustive de la société à laquelle appartiennent
ces personnes ; ce point fit l’objet d’un
développement dans la seconde partie du présent chapitre dans laquelle fut critiquée la méthodologie
utilisée. Cependant, une correspondance si volumineuse
pouvait dévoiler de nombreux aspects de la vie de ces princes ; la lecture de leurs lettres permettant
de pénétrer et connaître un peu mieux leur cadre de
vie et leur société.
Nous avons déjà fait remarqué que l’échange de lettres dans une famille avait pour objectif principal de donner des nouvelles
à l’absent, des nouvelles de la
famille, mais aussi des nouvelles de cadre de vie de ses membres, c’est-à-dire, pour une société appartenant
à la haute aristocratie européenne du
XVIIIe siècle, des nouvelles des cours dans lesquelles ses membres évoluaient. Ce point fut développé dans l’étude statistique
de la correspondance, et nous ne reviendrons pas sur le fait que les mots-clefs « Mondanités », «
Famille », « Décès », « Santé » et « Enfants » furent
parmi les dix thèmes les plus souvent identifiés. De même nous ne reviendrons pas sur l’existence
et le développement géographique du réseau que la fratrie
avait construit dans une partie de l’Europe.
Par contre, certains aspects de cette société que nous n’attendions pas, se dévoilèrent dans notre étude. Le premier fut certainement
l’existence d’une
profonde culture française dans laquelle évoluait cette fratrie. Si Christine de Saxe, plus que tout
autre, égrena des formules ou des citations allemandes
dans ses lettres, elles restèrent relativement peu fréquentes et elles furent extrêmement rares chez
les autres princes et princesses. Autre exemple, quatre
ans après sa parution, le prince Xavier citait Candide de Voltaire dans une lettre à sa belle-sœur.
Une référence surprenante lorsque l’on considérait
l’année, 1763, le lieu géographique de la citation, la Saxe sortant de cinq ans d’occupation militaire,
et le destinataire de ce courrier, une princesse
bavaroise. Dernier exemple relatif à l’imprégnation de la fratrie dans la culture française : le style,
les tournures et le vocabulaire employés par la
fratrie ; cela fut particulièrement remarqué et signalé lorsque fut étudiée la correspondance du prince
Albert qui était paradoxalement le membre de la
fratrie le moins lié à Versailles et le plus attaché à Vienne. Pour conclure sur ce point, on peut
remarquer qu’à la veille de la révolution, il y avait eu
déplacement du centre de gravité de la fratrie. Physiquement, elle s’était rapprochée de Versailles,
le point central de sa culture. Elle avait commencé à
migrer hors de Dresde et de Varsovie avec les mariages de Marie-Amélie et de Marie-Joseph en 1738
et 1747, pour finalement se centrer en 1771 à l’ouest du
Rhin. À cette date, seuls Charles, Elisabeth et l’électeur de Saxe, leur neveu, résidaient encore
à Dresde.
Autres éléments découverts au fil de la correspondance de la fratrie, cause ou conséquence du point précédent, les entrées
et facilités que possédaient les
princes et princesses de Saxe à la cour de Versailles. Nous n’insisterons pas sur ce sujet qui fut
développé par ailleurs ; nous rappellerons cependant,
pour illustrer ce point, la réception des princes Charles et Albert, à Marly, l’un en 1770, l’autre
en 1786. Autre illustration de ces excellentes relations
avec Versailles, celles qui existaient avec le Versailles des ministres, la mention dans une lettre
du prince Xavier, que la princesse Christine, abbesse de
Remiremont, entretenait de bonnes relations avec le duc d’Aiguillon et Madame de Barry, et qu’elle
pouvait espérer leur intervention pour faciliter la
nomination de sa sœur, Elisabeth, comme coadjutrice. Une intervention que Xavier deSaxe espérait plus
efficace que celle de la future reine Marie
Antoinette.
La Dauphine Marie-Josèphe par ses vingt ans de présence à la cour avait ouvert ces entrées et établi ces relations privilégiées.
Ses lettres permirent de
découvrir un personnage différent de celui que nous attendions après la lecture de l’ouvrage de Casimir
Stryienski
438.
Elle fut une princesse
« aussi bonne française que saxonne » qui consacra, semble-t-il, toute la correspondance qu’elle échangea avec son frère Xavier, à
défendre ou servir sa patrie d’origine.
L’étude de la correspondance ne fit pas aborder que des sujets sérieux et politiques, des questions de portée plus légère
apparurent au fil des lectures. Ce
fut, par exemple, la passion des princesses de Saxe pour la chasse
439. Cunégonde indiqua dans une de ses lettres que
« 200 lièvres, 9 renards, 5 chevreuils » furent tirés au cours d’une partie de chasse à
laquelle elle participa. Autre tableau, celui décrit par sa sœur, l’épouse de l’électeur de Bavière,
dans une lettre datée du 31 octobre 1774
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1500 :
« 612 pièces furent tuées dont 290 renards, 290 lièvres, 7 brocards, 7 faons, 6 biches, 2 cerfs, 9 bécasses et 1 geai440 ». Ce fut aussi la princesse Elisabeth avouant
441Voir Fonds de Saxe, liasse E*1517
qu’elle avait
« été assez maladroite, en tirant avant hier aux corneilles, de [se] brûler avec la poudre à l’œil droit » et d’ajouter :
« ce qui m’a
fait si mal que j’ai cru que je serais borgne ». De tels tableaux de chasse appelèrent plusieurs remarques qui allaient bien au-delà de la
confirmation d’une passion pour cette activité dans la société des princes. Ils permirent de percevoir
et évaluer d’autres aspects de la vie rurale du
XVIIIe siècle : Ainsi se posa la question de l’abondance du gibier disponible, près de trois cents
renards tirés, combien survivaient ? Quelle pouvait être
la population avant le prélèvement ? Quelle quantité de petits rongeurs fallait-il pour assurer la
nourriture de ces prédateurs ? Quels étaient les
prélèvements sur les cultures effectués par cette petite faune ? Quelles superficies fallait il pour
que la chaîne alimentaire aboutissant aux renards pût
se développer
442 ? L’adresse des chasseurs et la précision
des armes utilisées étaient-elles si bonnes ?
De telles distractions ne pouvaient se faire sans accident. Bien qu’elles ne fussent pas nécessairement liées à la chasse,
trois exemples de chute de cheval
furent retenus. La princesse Elisabeth mentionna
443Voir Fonds de Saxe, liasse E*1517
celle de son frère le duc Charles :
« Il est tombé avec le cheval qui lui est tombé sur la jambe qu’il a cru qu’elle était cassée ». Quelques années plus
tard, Marie-Anne de Saxe
444Voir Fonds de Saxe, liasse E*1500,
annonça l’accident survenu
« à l’électrice de Saxe445 qui eut la jambe
fracturée par une barrière ».
Enfin nous citerons Thomas Nicklas qui rappela que l’électeur Frédéric Christian était handicapé de naissance
446 ; sa mère Marie-Joseph était tombée de cheval alors
qu’enceinte, elle chassait à courre ; elle se le reprocha sévèrement.
La correspondance ne rapporta pas que des accidents de chasse. Les blessures et surtout les problèmes de santé occupèrent
une place relativement importante.
Plusieurs maladies apparurent régulièrement dans les lettres. D’abord la variole dont les épidémies
étaient fréquentes, très graves et au pronostic vital
très mauvais. Après la mort du roi Louis XV, plusieurs princes et princesses de France se firent «
inoculer »
447Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514.
Second problème de santé par sa fréquence, les infections intestinales dont on se plaignait souvent
dans les lettres. Il ne sembla pas qu’elles eussent
toujours des conséquences graves. Sur ce sujet nous renvoyons le lecteur au chapitre V
448, qui contient une
lettre
449Voir Fonds de Saxe, liasse E*1510
de Madame Adélaïde dans laquelle elle indiqua que sa sœur « Victoire […] a encore eu une attaque de
colique assez vive, mais courte, elle se porte très bien
aujourd’hui ». Ce qui permit au prince Xavier de répondre : « Je suis enchanté d’apprendre le meilleur
état de Mad
e Victoire, je
suis assez vain pour croire d’avoir contribué un peu à sa guérison par les vœux ardents que je faisais
journellement pour Elle
450Voir Fonds de Saxe, liasse E*1510
». Même niveau de sévérité, les rhumes et grippes qui apparurent régulièrement dans la correspondance
mais dont les suites parurent rester bénignes. Il fut
aussi souvent question de « fièvres putrides », toujours mortelles sembla-t-il. Cela fut interprété
comme des infections graves généralisées de type
septicémique. Il fut facile de concevoir qu’en l’absence de chirurgie efficace, de pratiques aseptiques
et de pharmacie antibiotique disponible, les
incidents touchant les appareils digestifs ou respiratoires et les blessures évoluaient souvent vers
des situations dramatiques. L’autodéfense des
organismes restant la seule arme qui pouvait combattre les infections. Deux cas méritèrent un commentaire
particulier. Une autopsie fut pratiquée sur le duc
de Bourgogne, le premier fils de Louis XVI. Une lettre de Christine de Saxe indiqua qui souffrit d’une
grave infection osseuse, tuberculose ou cancer. Le
second cas dont il fut possible de suivre l’évolution à travers la correspondance, et en particulier,
à travers celles de Madame Adélaïde et de Christine de
Saxe, fut la maladie mortelle de la Dauphine. En 1766, la fille du roi Louis XV ne manqua pas de donner
dans ses lettres des nouvelles de sa belle-sœur.
Elle y commenta sa capacité de participer à la vie de cour qui s’amenuisait au fil du temps, le teint
de son visage dont la moindre coloration était
relevée, la fièvre qu’elle pouvait avoir ou ne plus avoir, son alimentation qui dans les derniers
mois de l’année sembla se réduire à l’absorption de lait.
À l’hiver 1767, les mots terribles furent employés, la Dauphine avait du sang dans ses crachats. Nous
en conclûmes, faute d’expertise médicale, que la
princesse était terrassée par la tuberculose. Elle mourut le 13 mars. D’autres informations sur les
causes supposées des décès annoncés se retrouvèrent
périodiquement dans la correspondance ; pourtant, il n’y eut aucune explication quant à la disparition
des autres membres de la fratrie : Marie Amélie, la
reine d’Espagne (1760), Frédéric Christian, l’électeur de Saxe (1763), ou la princesse Christine (1782).
Cette dernière remarque conduit à mentionner et éventuellement à étudier les événements contemporains et certains aspects
de leur environnement social que
les princes de Saxe ne mentionnèrent pas dans leur correspondance. Cette question fera l’objet du
prochain paragraphe. Pourtant et pour ne pas quitter le
présent développement sur la triste note apportée par la disparition de la Dauphine, nous avons souhaité
revenir sur un point plus léger et plus souriant,
les amours du prince Xavier et de certains membres de la fratrie, telles qu’elles apparurent dans
leur correspondance. Les archives du prince Xavier
contenaient cent soixante et onze lettres de ses maîtresses. Elles furent majoritairement écrites
pendant les années 1758-1763. À l’exclusion de la
correspondance avec « Madame Trente-quatre » qui fit l’objet d’une attention particulière, aucune
de ces lettres ne fut étudiée ni même lue. Restaient les
traces de ses amours ou ceux des membres de la fratrie dans la correspondance de tous les jours. Nous
ne reviendrons pas sur le « marivaudage » ou peut-être
la liaison, qui exista entre le prince et sa belle-sœur, l’électrice de Saxe, ni sur « les sentiments
de tendresse » puis « d’éternelle amitié » qui
transparurent dans les lettres de Madame Adélaïde et dans les réponses du prince Xavier. Cependant
nous savons qu’avant son mariage avec l’archiduchesse
Marie Christine, le prince Albert entretint une liaison amoureuse pendant plusieurs années avec une
personne non identifiée de Dresde ; son frère Xavier lui
rendant quelques menus services dans la transmission du courier. La correspondance ne laissa apparaître
aucun flirt ni liaison pour les princes Charles,
Clément ou les deux électeurs de Saxe, Frédéric-Christian et Frédéric-Auguste. Pourtant, dans une
lettre datée du 25 novembre 1763
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489.
/>, le prince Albert écrivit :
« Je serais bien curieux aussi de savoir si les amourettes de mes sœurs avec Ysembourg et Zinzendorf vont encore leur
train ». La princesse Cunégonde eut semble-t-il, d’autres flirts ; dans une correspondance entre Albert et Xavier, les deux frères
se posaient la
question de savoir lequel aurait le plus d’autorités sur leur sœur et pourrait obtenir qu’elle changeât
son attitude lors de fêtes de carnaval, attitude
qu’il trouvait incompatible avec son rang de princesse : ne dansait-elle pas sans masque parmi les
femmes du peuples et les prostituées ? Devenue
trentenaire, aucune princesse n’apparut dans la correspondance pour une liaison ni pour une amourette
qu’elle aurait entretenues. Les « fiançailles » de
Christine de Saxe avec le roi Stanislas n’y furent jamais mentionnées, par contre la correspondance
signala un certain Miltitz, peut-être l’aide de camp du
prince Albert en 1767, qui fut à deux doigts de l’épouser. La rupture créa un fort ressentiment contre
le prétendant inconstant. Dernier élément qui
transparut dans la correspondance, la princesse Elisabeth dans les années quatre-vingt termina toutes
ses lettres en présentant au prince Xavier, après sa
signature, les compliments d’un certain Pflugk
451. Cette manière de procéder était identique à celle qu’utilisaient les autres membres
de la fratrie pour présenter de tels compliments adressés à la comtesse Spinucci. Peut-on en conclure
que la princesse Elisabeth aurait contracté un mariage
morganatique ? Mariage qui expliquerait son long célibat et sa résidence constante dans l’électorat
de Dresde.
Les Thèmes attendus et absents de la correspondance.
Il a déjà été indiqué qu’aucune information à caractère politique ne fut réellement identifiée dans la correspondance. Une
explication fut fournie
452. Pourtant, plusieurs conflits se développèrent durant ce dernier tiers du XVIIIe siècle. Si dans ces conflits, les
membres de la fratrie ne furent plus militairement impliqués, des personnages comme Albert de Saxe,
très proche du pouvoir impérial, son frère Charles très
présent à Dresde, le prince Xavier qui reprit du service actif pendant la guerre d’indépendance américaine,
n’échangèrent jamais leur point de vue dans les
documents qui furent conservés.
L’orage politique que fut la victoire des « insurgés » américains sur la couronne britannique, la déclaration d’indépendance,
marquée par l’esprit des
lumières et un retour aux valeurs de la République de la Rome antique, ne put laisser les membres
de la fratrie indifférents. Pourtant, à aucun moment cet
événement ne fut mentionné par la fratrie dans sa correspondance. Le mot même d’Amérique en était
absent. Une situation similaire exista pour l’Angleterre,
ni le nom du souverain, ni la ville de Londres, ni même le Hanovre, encore moins les développements
politiques et économiques des îles Britanniques ne
furent mentionnés dans les lettres des princes de Saxe. Des remarques identiques pourraient être faites
en ce qui concernait la Russie, la Tsarine Catherine
II, ou les partages de la Pologne.
D’une manière similaire, les sujets touchant l’administration des états n’apparurent pas beaucoup plus. Il ne fut jamais mention
des réformes entreprises par
Joseph II ; les changements de ministres à Paris ne furent pas plus commentés
453 ; l’évolution de la situation de l’électorat de Bavière à la mort du Maximilien Joseph ne
fit l’objet d’aucune remarque.
Autres aspects de la vie princière européenne qui furent absents de toute correspondance : la vie économique et l’accélération
de son développement.
Pourtant, l’ouvrage de Pierre Gaxotte, Frédéric II
454 consacre sa première partie aux efforts constants que fit
Frédéric Guillaume I
er pour continuer le développement de l’agriculture et de la proto industrie sur le territoire de la Prusse ;
parallèlement, la couronne autrichienne chercha à faciliter la création d’activité de manufactures,
de mines et de commerce ; enfin, en France, les
recherches des Physiocrates, le développement du commerce atlantique, les travaux des encyclopédistes,
tous ces éléments furent passés sous silence dans la
correspondance de la fratrie.
Dernier élément qui fut peu présent dans les lettres des princes et princesses : la vie artistique. S’il est vrai qu’il fut
parfois fait mention de troupes
théâtrales ou d’opéras bouffes, attachées à la cour de Dresde ou à celle de Munich, les grands compositeurs
germaniques du XVIII
e
siècle ne furent jamais cités : Pourtant Jean-Sébastien Bach et ses deux fils Guillaume Friedmann
et Philippe Emmanuel furent liés à la Saxe et à la
Thuringe voisine, et Joseph Haydn ou Mozart étaient tous les deux très présents à Vienne
455. Il ne fut pas non plus fait mention d’œuvres d’art, si ce n’est quelques
lettres relatives à l’achat d’une collection complète de médailles représentant les papes, achat effectué
en Saxe par le prince Xavier à la demande de son
frère Albert que résidait à Vienne. Le prince Xavier posséda pourtant une collection de tableaux importante,
vingt-six furent saisis par le Directoire dont
un Philippe de Champaigne et un Bernado Belloto
456. On sait aussi que le Musée de Saint-Quentin possède un portrait du prince
Xavier peint par de la Tour.
La bibliothèque du prince Xavier comportait en 1791 six mille sept cent quarante-sept volumes. Si sa correspondance fit plusieurs
fois mention de Voltaire,
aucun autre auteur ne fut mentionné.
Conclusion sur les analyses effectuées sur la correspondance.
Plusieurs milliers de lettres parcourues, dont plus de deux mille furent lues et quelque trois cents étudiées analytiquement
avec une méthodologie
statistique, pour une population limitée à huit frères et sœurs, nous a permis d’obtenir une certaine
(à défaut de bonne) représentation de la vie des
princes de cette maison de Saxe, de reconstruire leur(s) réseau(x), et d’estimer ce que pouvait être
la société de ces princes européens non souverains
n’appartenant pas à l’une des trois grandes couronnes. Pourtant ce serait une erreur de penser que
l’image obtenue serait complète ni même « relativement »
représentative de la réalité. Cette image fut celle que projetait leur correspondance et il fut nécessaire
de garder un esprit critique face à cette
représentation. Ainsi, la place prise par les « Mondanités », c’est-à-dire par la cour, leur passion
pour la chasse, sont des réalités ; mais l’absence de
commentaires sur les questions politiques ou économiques, ou une vie culturelle limitée au théâtre
et à l’opéra, ne peuvent être considérées comme
réellement représentatives. Il est évident que de grands pans de leur vie n’étaient pas présents dans
leur correspondance. Ainsi, il est certain que Madame
Adélaïde et le prince Xavier furent officieusement fiancés, pourtant quelque ait été la tendresse
contenue dans certaines de leurs lettres, aucune ne
mentionna le projet matrimonial et nous ne l’apprîmes qu’à la lecture des historiens.
Notre méthodologie était-elle responsable de cette représentation incomplète ? L’échantillon de correspondance sélectionnée
fut-il le bon ? Il est évident
que ces deux questions doivent constamment rester présentes dans l’esprit de l’historien qui aborde
des sources originales. C’est que nous fîmes dans la
seconde partie de ce chapitre.
Remarque préliminaire sur les critiques de l’étude.
Les résultats obtenus et critiqués dans la première partie de ce chapitre, posaient deux questions : La source pouvait-elle
permettre de répondre à la
problématique posée ? La méthodologie utilisée avait-elle été un outil efficace ? Ces questions ne
sont pas spécifiques à la présente étude, elles se posent
à tout historien abordant une source originale ; nombreux furent les cas, où faute de posséder des
documents ou des données en nombres suffisants, les
chercheurs se trouvèrent dans l’obligation de considérer, « un peu hâtivement » diraient les statisticiens,
un échantillon comme représentatif d’une
situation. Ainsi, « La loi des Alamans » du VIIe siècle ou « le polyptique d’Irminon » du IXe, sont-ils
représentatifs de la société rurale du haut Moyen Age ? Certainement pas, aucun historien n’accepterait
de les considérer comme tels. Ces sources ne
représentent qu’une image de certains groupes sociaux de la société rurale de cette époque. Cela n’enlève
rien à leur authenticité, ni à leur intérêt
historique. Qu’en était-il pour notre étude ? Avions-nous sélectionné les bons documents ?
Critiques de l’échantillonnage des lettres retenues pour l’étude.
La sélection des lettres porta sur une population : la fratrie, une période de temps : 1770-1791, et un échantillonnage déjà
effectué par un tiers : les
lettres pour lesquelles J. J. Vernier et son équipe avaient rédigé une analyse dans leur Inventaire.
Le choix de lettres déjà sélectionnées par un tiers, fut-il judicieux ? Rétrospectivement on peut en douter. En effet, si
J.-J. Vernier ne sélectionna et
n’inclut une analyse que pour 12 % des lettres de la fratrie ; un chiffre qui est, en pourcentage
et en valeur absolue
457, statistiquement représentatif de la correspondance ; la position de ces
lettres dans l’
Inventaire, c’est-à-dire, dans le milieu du troisième tome, aurait dû nous alarmer. A posteriori, nous pensons que
cette correspondance ne fut pas la partie des archives qui reçut le plus d’attention
458 de la part
de son équipe. Il faut se souvenir que J. J. Vernier rédigea en complément à l’
Inventaire, trois ouvrages ou publications dont
aucun n’eut pour objet, la fratrie ou sa correspondance ; c’est une indication de l’orientation naturelle
de ses inclinaisons intellectuelles et de ses
recherches. D’autre part, la lecture des lettres qui ne firent pas l’objet d’une analyse, laissa apparaître
que plusieurs aspects de leur contenu, étaient
ignorés par l’équipe de l’
Inventaire. Ainsi les données sociologiques, les informations sur l’organisation et le fonctionnement
de cette société des princes ne présentaient pour eux, sembla-t-il, qu’un intérêt mineur. Une constatation
qui ne doit pas surprendre si l’on considère
l’évolution de l’historiographie entre les dernières années du XIX
e siècle et l’époque actuelle. Qu’aurait-il fallu faire ?
Peut-être faire abstraction de l’
Inventaire et des « analyses » de J.-J. Vernier, et effectuer notre sélection sur d’autres
critères que nous aurions définis durant le processus de lecture.
Le choix de la période de temps sélectionnée fut-il le meilleur qui pouvait être fait ? Là encore, la réponse est négative.
L’histoire de la fratrie peut se
diviser en trois grandes périodes (si nous excluons leur adolescence). D’abord la guerre de Sept ans
pendant laquelle les princes remplirent leurs devoirs
de jeunes nobles et servirent leur roi et leur pays dans les armées alliées. Durant cette guerre,
les princesses étaient soit mariées et donc participèrent
indirectement par leurs contacts à la défense de leur patrie, soit encore célibataires et se réfugièrent
à la cour de Bavière. À la fin de cette guerre, le
plus jeune membre de la fratrie avait vingt-trois ans (princesse Cunégonde). Il était temps pour eux
de trouver un établissement et ce fut durant cette
période que le réseau se mit en place et fonctionna. La troisième période se situe dans les années
soixante-dix – soixante-quinze et après. À l’exclusion du
prince Xavier et de sa sœur Elisabeth, tous les membres de la fratrie avaient déjà obtenu un établissement.
Le réseau devenait moins nécessaire et fut moins
sollicité. Et pourtant ce fut cette période qui fut retenue. Il eût été plus judicieux pour notre
étude de retenir les décennies 1760-1780.
Autre question relative à la représentativité de notre échantillonnage : Dans la correspondance étudiée statistiquement, le
pourcentage de lettres reçues de
ses sœurs, fut supérieur et de très loin, à celui des lettres de ses frères, 87 % contre 13 %. Des
chiffres très voisins et donc très représentatifs à ceux
de l’ensemble de la correspondance de la fratrie toutes périodes confondues, qui étaient de 81 % et
19 %. Pourtant la disproportion en faveur des lettres
d’origine féminine, ne correspondait pas à la répartition des correspondants ; le prince Xavier reçut
des lettres de douze personnes appartenant directement
à sa fratrie, soit six frères et six soeurs
459. Cette différence entre les deux
rapports, sources masculines - sources féminines et nombre de correspondants dans chaque sexe, ne
pouvait que poser problème. Il fallait s’attendre à ce que
les répartitions entre les thèmes abordés dans la correspondance et identifiés dans l’étude statistique,
montrassent un déséquilibre identique quant à leur
orientation générale et que les « questions plutôt masculines » fussent moins présentes que les sujets
intéressants une population féminine fut-elle
princière. Avions-nous cette remarque en tête lorsque nous analysâmes les résultats statistiques et
que furent rédigées les synthèses correspondantes ? La
disproportion des sources d’origine féminine avait été remarquée. En avons-nous tenu compte dans nos
commentaires ? Non, alors que cela eut été nécessaire.
Pour éviter cette difficulté, une méthodologie complémentaire aurait pu être employée. Elle aurait
consisté à sélectionner un échantillonnage de
lettres
460 dans lequel le rapport nombre de lettres d’origine masculine – nombre de lettres féminines, eut été
égal à « 1 ». Cela eut-il été plus représentatif de la réalité ? Peut-être pas, mais cela eut été
statistiquement satisfaisant. Si cette étude devait être
prolongée, un chapitre spécifique, basé sur un tel échantillonnage assurant une répartition égale
entre les deux populations de la fratrie, sera rédigé.
Dernier critère de notre sélection, le choix de la fratrie était-il le groupe de correspondants dont on pouvait espérer les
meilleurs résultats ? Quelles
autres alternatives existaient : Étudier la correspondance avec un ou plusieurs ministres français
? Sélectionner l’échange de courrier avec l’un des agents
du prince Xavier ? Ainsi, il eut été possible de retenir celui du général Martange ou les sept cent
quatre vingt-deux lettres de Jean-Baptiste Rivière. Les
résultats eurent été différents. Le premier correspondant aurait permis de pénétrer dans les « ambitions
personnelles » du prince Xavier, dans sa recherche
d’un établissement, dans sa tentative d’obtenir la couronne de Pologne, dans ses démarches pour être
élu grand maître de l’ordre des chevaliers Teutoniques.
Avec Jean-Baptiste Rivière la problématique eut été différente. La vie princière se serait éclipsée
au profit de la vie politique française. Un autre choix
aurait pu consister à se limiter à un seul correspondant, la Dauphine par exemple, et rapprocher les
lettres reçues par le prince et les minutes des
réponses envoyées.
Pourquoi ne pas avoir fait ces choix basés sur d’autres critères de sélection et avoir reconduit l’étude ? Tout simplement
parce que les limites apportées
par l’échantillonnage initialement retenu, n’apparurent qu’aux moments de la rédaction des résultats
des analyses. C’est-à-dire, alors que plus des deux
tiers du temps que nous souhaitions consacrer à ce mémoire, aient été consommés. Une nouvelle étude
aurait nécessité la lecture de nouvelles lettres, une
nouvelle analyse c'est-à-dire près d’une année de recherche complémentaire.
Critiques de la méthodologie utilisée.
La partie la plus importante et la plus originale de la méthodologie fut l’analyse statistique des lettres par identification
de mots-clefs. La méthodologie
utilisée n’apporta pas tous les résultats que nous attendions et leur analyse fut plus difficile que
prévue, conduisant souvent à des évidences. Cette
méthodologie avait été utilisée vingt ans plus tôt pour analyser plusieurs centaines d’événements
techniques à apparition aléatoire dont les causes étaient
difficilement identifiables et qui présentaient un aspect fortement négatif dans leurs conséquences
461. Les
résultats obtenus avaient été satisfaisants ; ils avaient permis l’identification des causes, la définition
de stratégies de prévention et à terme, la
diminution de ces événements non souhaités.
Pourquoi, la méthode ne donna pas les mêmes résultats ? Les différences entre les deux applications étaient multiples. Dans
la précédente étude, les éléments
recherchés, s’ils n’étaient pas toujours identifiés, existaient cependant et obligatoirement dans
l’échantillonnage étudié. Ce n’était pas le cas pour la
correspondance du prince Xavier. S’il était possible d’avoir à priori une « certaine idée » sur ce
qui pouvait exister dans les lettres et sur « ce que l’on
pouvait s’attendre à trouver », il n’y avait aucune certitude. Ainsi, il était probable que la correspondance
contenait des demandes d’intervention de la
fratrie en faveur de tel ou tel de ses membres ; mais, dans combien de lettres, « un appel à une telle
intervention de la fratrie » serait-il trouvé ? Et
cela permettrait-il d’identifier et de dessiner un réseau d’assistance entre les frères et sœurs ?
Deuxième élément de différence entre les deux études : dans la première il avait été possible de construire une hiérarchie,
une arborescence entre les
mots-clefs recherchés car ceux-ci bien que caractérisant des événements aléatoires étaient liés entre
eux « par une certaine logique ». Cela n’était pas le
cas dans la seconde étude, il n’y avait aucune liaison entre une demande de prêt de quarante mille
livres et un tableau de chasse de deux cent
quatre-vingt-dix renards. Cette absence de logique dans l’apparition des mots-clefs, l’impossibilité
de les organiser dans une arborescence, compliqua leur
analyse.
Troisième différence entre les mots-clefs des deux études. Leurs nombres ne furent pas comparables. Dans les deux cas, une
cinquantaine de mots-clefs furent
identifiés, mais dans la première étude, ils se répartissaient en plusieurs sous-groupes, chacun comportant
moins de dix mots-clefs. L’analyse statistique
s’en trouvait facilitée.
Dernier élément de différence, le processus d’identification des mots-clefs. Dans l’étude technique, si ceux-ci furent choisis
et identifiés à priori, ils le
furent à partir des connaissances et des expériences que l’on avait sur les événements à étudier ;
cela ne présentait aucune difficulté puisqu’ils se
rapportaient à des phénomènes physiques bien connus y compris dans leurs causes et leurs conséquences,
même si l’apparition, l’importance relative de chaque
cause et la gravité de chaque conséquence, y compris en cas de causes et (ou) de conséquences multiples,
étaient essentiellement aléatoires. Dans l’étude
historique, le choix et l’identification des mots-clefs se firent pendant le processus de lecture.
Une difficulté potentielle dans cette phase
d’identification existait ; elle avait été détectée dès la conception de la méthodologie, à savoir
qu’il se produirait chez le lecteur entre le début du
processus de lecture et donc d’identification et la fin de ce processus, une modification continue
et finalement importante des critères de sélection,
critères qui ne pouvaient être que subjectifs. Par exemple, avait-on attribué le mot-clef « Réseau
» sur la base des mêmes critères à la lecture de la
première lettre et à celle de la trois cent seizième ? La réponse ne peut être que non. Pour éviter
cet écueil, il eut fallu après une première analyse et
une première attribution de mots-clefs, recommencer le processus de lecture et refaire un nouveau
choix de ces mots-clefs. Cette remarque pose la grande
question, quel prolongement et quelle suite donner à cette étude ? Quelques directions seront proposées
dans le paragraphe qui suit.
L’identification des personnages cités.
Durant l’établissement de la « base de données » et pendant le processus d’analyses du contenu des lettres par identification
de « mots-clefs », il fut
établit une liste de tous les personnages qui apparaissaient dans les trois cents seize lettres étudiées.
L’objectif initial prévoyait de les identifier, et
de tenter d’établir un nouveau réseau autour du prince Xavier et de sa fratrie, un réseau qui serait
celui du deuxième cercle de leur correspondance.
Deux raisons firent abandonner ce projet. L’identification des personnages s’avéra être un processus extrêmement long, bien
plus long que le travail sur la
population des mots-clefs. Il fallait d’abord s’assurer que différentes orthographes désignaient un
même personnage qui apparaissait aussi sous des titres
différents ; ainsi, celui que la Dauphine appelait « ce gros cochon de Martange » était parfois désigné
par cette même Dauphine sous le titre de « Vicomte »
sans mention de nom ; à la même époque, le prince Xavier l’appela « le colonel » puis « le général
», voire Martange. Seul le contexte nous permit de
l’identifier.
Il fut aussi, indispensable de contrôler que deux personnages différents portant des noms ou des titres voisins, n’étaient
pas une seule et même personne.
Ainsi au début de l’étude, plusieurs semaines furent nécessaires pour s’apercevoir que le maréchal
de Broglie qui servait en Saxe et son frère le comte qui
résidait au même moment à Varsovie, avaient été systématiquement confondus dans les premiers temps
de l’étude
462. Ce fut aussi le cas avec les Brühl dont le père était ministre du roi de Pologne Auguste III, dont le fils servit l’électeur
de
Saxe Frédéric Auguste III, et dont une comtesse du même nom fut au service de la Dauphine à Versailles.
La confusion étant facilitée par l’utilisation du
nom de famille, sans titre ni article. Nous mîmes plusieurs semaines à identifier le prince Henri,
frère du roi de Prusse. Les duc Charles, celui de
Courlande, c’est-à-dire le frère du prince Xavier, et celui de Deux-Ponts, l’époux de sa nièce Marie-Amélie,
furent longtemps confondus. Nous eûmes les
mêmes difficultés avec Flem(m)ing qui fut ministre du prince Xavier pendant son administration de
l’électorat de Saxe, et représentant de cet électorat à
Vienne à peu près à la même époque
463 ; il était le descendant
supposé du comte Jakob Heinrichs von Flemming (1667-1728),
Kabinettsminister (Premier ministre) du roi Auguste II le fort.
L’établissement du deuxième cercle du réseau des princes de Saxe, exigeant l’identification des personnages cités dans la
correspondance, demandait une
culture historique de la seconde moitié du XVIIIe siècle, que nous ne possédions pas. Cette culture n’aurait pas dû s’étendre
seulement sur l’électorat de Saxe et sur la cour de Versailles, mais aussi sur tout l’Empire et sur
les différents états de la couronne autrichienne :
Bohême et Hongrie.
En conséquence, une liste de tous les personnages cités dans la présente étude fut cependant établie. Certains furent identifiés
et ces identifications
furent indiquées ainsi que les numéros des pages dans lesquelles ces personnages apparaissaient. Pour
les noms relevés durant l’analyse du courrier étudié,
ils furent caractérisés par le nom de l’auteur de la lettre (ou des lettres) dans laquelle ils apparurent,
les dates de ces lettres lorsque celles-ci
étaient connues et les numéros des liasses du Fonds de Saxe contenant ces lettres. Une identification plus complète de ces
personnages n’est pas exclue dans le temps, cela pourrait être l’objet d’un des prolongements qui
pourraient être donnés à cette étude.
Cela conduisit à rédiger un dernier paragraphe dans lequel furent indiquées les suites au présent mémoire et les recherches
complémentaires qui pourraient
être menées sur le Fonds de Saxe.
Quels prolongements donnés à l’étude ?
Au fil de ce travail de recherche et à plusieurs occasions, furent identifiés des prolongements possibles à la présente étude.
Ainsi, la sélection des
lettres étudiées fut remise en question. Nous avons suggéré que l’utilisation de l’inventaire de J.-J.
Vernier qui consista à retenir les lettres que son
équipe avait déjà remarquées, ne nous avait pas permis de faire une sélection basée sur nos propres
pôles d’intérêts. Il fut aussi noté que la période de
temps retenue n’était peut-être pas la plus favorable à l’identification d’un réseau et que les décennies
1760-1780 auraient pu donner de meilleurs
résultats. Enfin, nous avons signalé le déséquilibre qu’il y avait dans notre sélection entre les
lettres reçues de ses sœurs et celles qui avaient été
envoyées par ses frères. En conséquence, nous pensons qu’une nouvelle étude donnerait des résultats
peut-être différents, mais surtout théoriquement plus
proches de la réalité si elle était conduite suivant de nouveaux critères de sélection des lettres
étudiées. Nous avons aussi retenu de cette expérience que
pour des recherches conduites sur une période de deux ans, l’étude statistique d’un millier de lettres
sélectionnées sur une population de deux mille
documents paraissait possible.
Nous avons aussi fait remarquer, combien la correspondance de la Dauphine était différente dans sa présentation et surtout
dans son contenu, de celles des
autres membres de la fratrie. Il y eut, signale Casimir Stryienski
464, plusieurs biographies de Marie-Josèphe de Saxe rédigées avant la sienne. Mais s’agissant de documents publiés pendant
la Restauration sur la mère du souverain régnant, ils s’apparentaient, dit-il, à des hagiographies.
Cette princesse mérite-t-elle d’autres biographies, et
plus que « la ligne et demie » qu’elle occupent généralement dans les ouvrages traitant de cette période
465. Nous ne le pensons pas. Nous croyons cependant que
Stryienski n’eut pas accès aux documents du
Fonds de Saxe, que pourtant il nota l’existence de ce qu’il appelle « un secret de la
Dauphine » auquel il consacre un chapitre et qui aurait été parallèle « au secret du roi » avec le
même objectif, la couronne de Pologne. La Dauphine
fut-elle complice du roi ? Nous ne le pensons pas. Louis XV aima beaucoup sa belle fille qui donnait
plus d’héritiers à la couronne qu’il n’en avait
espérés. Mais une complicité politique n’eut pas été conforme à sa manière de gouverner. Reste une
hypothèse qui mériterait d’être étudiée : La Dauphine
fut-elle un agent de l’électorat de Saxe à la cour de Versailles ? Et si comme nous le pensons, la
réponse est oui, cela fut-il volontaire ? Et jusqu’à quel
degré fut son engagement.
Notre étude portait sur la correspondance d’une quinzaine de personnages appartenant ou alliés à une même fratrie. Il eut
été possible de se concentrer sur
une seule personne, d’étudier voire de transcrire toute sa correspondance, et y associant les minutes
des réponses que le prince Xavier lui aurait rédigées
et qu’il aurait conservées. Trois personnages pourraient justifier une telle étude : La Dauphine et
nous avons expliqué pourquoi dans le paragraphe
précédent ; Le général de Martange qui fit déjà l’objet d’un ouvrage
466 mais pour lequel l’auteur n’eut semble-t-il pas accès au
Fonds de Saxe car n’y faisant pas ou très
peu référence ; et surtout Jean-Baptiste Rivière et ses sept cent quatre-vingt-deux lettres très éclectiques
dans les sujets traités
467.
Dans un prolongement éventuel de la présente étude, devrait-on remettre en question la méthodologie statistique utilisée ?
Nous ne le pensons pas, bien que
les résultats ne fussent pas au niveau de ce que nous espérions. Celle-ci serait cependant à modifier.
L’expérience du présent mémoire nous conduirait à
affiner la procédure d’analyse sans que celle-ci fût différente. Cela conviendrait, semble-t-il, pour
une étude de la correspondance de Jean-Baptiste
Rivière. Cette procédure comprendrait plusieurs phases. Dans la première, une arborescence de grands
thèmes serait construite « a priori » ; et pour chacun
de ces grands thèmes, une liste de mots-clefs serait établie. Dans une seconde phase, une centaine,
voire deux cents lettres serait lue et sur ces lettres
serait appliqué un processus d’identification de mots-clefs, basée sur la liste établie à priori,
tout en restant ouvert à l’addition de mots-clefs
nouveaux. À partir des résultats et de l’expérience acquis pendant cette phase de lecture, une troisième
étape serait entamée. Elle consisterait à
reconstruire « l’arborescence » des grands thèmes avec la volonté de savoir éliminer (ou ajouter)
certains thèmes qui seraient peu (ou très) présents ; et
de rétablir les listes de mots-clefs associés à chacun de ces thèmes. Viendrait ensuite une quatrième
phase : l’ensemble de la correspondance serait lu, y
compris les lettres ayant fait l’objet des phases initiales, et un nouveau processus d’identification
de mots-clefs serait recommencé. Suivrait ensuite le
traitement statistique de ces mots-clefs qui resterait identique à celui utilisé pour le présent mémoire.
En parallèle, une étude qualitative de la
correspondance serait menée. Dans celle-ci la priorité serait donnée au contenu ; ainsi pour une lettre
traitant d’un combat naval, l’étude qualitative
serait principalement axée sur les enseignements historiques apportés par les facteurs politiques,
causes ou conséquences, associés à ce combat, et aussi
sur les données de techniques militaires navales que l’on pourrait découvrir dans une telle lettre.
La correspondance de Jean-Baptiste Rivière à laquelle
nous pensons, pourrait-elle justifier un travail universitaire de troisième cycle ? Ce n’est pas certain.
Par contre, cela pourrait, peut-être, servir de
support à un mémoire de maîtrise
468.
Reste un dernier élément que nous n’avons pu mener à terme : Construire le réseau de la fratrie à partir de la liste des personnages
rencontrés dans les
correspondances étudiées. Cela nous semble possible, et nous serions prêt à tenter l’expérience.
Dernier prolongement possible dans l’exploitation du
Fonds de Saxe, revenir sur la suggestion du Professeur Thomas Nicklas
469 et étudier à partir de ces archives le rôle joué par la Maison de Saxe en Europe dans la seconde moitié du XVIII
e siècle. Cette proposition étant la dernière de ce chapitre, il ne reste plus qu’à conclure cette étude.