SYNTHÈSES DES ANALYSES ET CRITIQUES DE L’ÉTUDE.
L’objectif que nous nous étions fixé au début de cette étude, consistait à identifier à travers sa correspondance, le réseau d’un prince allemand vivant en France pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle. Sommes nous arrivés à nos fins ? C’est ce que nous allons tenter de vérifier dans le présent chapitre.
Identifier à travers une correspondance, impliquait d’abord de l’étudier. Cela fut fait en trois phases. La première consista à lire l’ensemble de la correspondance de la fratrie. Avons-nous lu les quatre mille quatre cents lettres de ses frères et sœurs que le prince Xavier de Saxe conserva dans ses archives ? Certainement pas. Pourtant nous les avons toutes manipulées, et pour la plupart d’entre elles, nous avons rapidement parcouru les premières phrases, et avons survolé l’ensemble du texte cherchant à accrocher des mots qui justifieraient une lecture plus en profondeur. Celle-ci fut faite pour un grand nombre de ces lettres, certainement plus de la moitié.
Ces lectures permirent de déterminer chez chaque correspondant, les grands thèmes qui revenaient le plus souvent, voire constamment dans leurs lettres et une ébauche de ce que devait être le réseau de la fratrie, put être dessinée. La personnalité de certains correspondants se dévoila dans leur courrier. On put identifier pour certains princes et princesses de la maison de Saxe, leur capacité d’intervention, mais aussi l’orientation générale que prenaient leurs ambitions à travers leurs demandes. C’est à ce point de l’étude que put être rédigé le chapitre V sur l’analyse qualitative de la correspondance.
La troisième phase consista à identifier, dans les trois cent seize lettres que nous avions sélectionnées, les mots-clefs qui pouvaient caractériser le contenu de ces lettres. Cela permit de construire la « base de données » sur lequel fut appliquer un travail d’analyse statistique qui fit l’objet d’un chapitre spécifique.
Place de chaque membre de la fratrie dans le réseau, une représentation polaire.
Deux structures géométriques pourraient être utilisées pour dessiner un réseau de relations d’un prince ou d’une fratrie. La première consisterait à définir des pôles qui seraient reliés par des lignes de force dont les épaisseurs pourraient être proportionnelles à la fréquence et à l’intensité des échanges et des interventions. C’est ce qui fut tenté dans la représentation simplifiée suivante :
À la fin des années soixante chaque prince et princesse de la maison de Saxe, avait ou était en passe de trouver « son établissement », c’est-à-dire sa place dans la société des princes que formait l’Europe du dernier tiers du XVIIIe siècle. Ainsi la Dauphine, avant sa disparition, forte de l’autorité que lui donnaient ses enfants et bénéficiant de l’amitié du roi et de ses filles, avait ouvert la cour de Versailles et la maison des Bourbons de France à la fratrie. Ce rôle fut-il repris par le prince Xavier après 1767 ? On peut le penser en observant combien et comment les princes et princesses de Saxe furent reçus à la cour du roi de France, et cela jusqu’à la Révolution432. Autour de ce noyau français, gravitaient deux éléments importants qui ne doivent pas être négligés : le général de Martange et Jean-Baptiste Rivière433.
La princesse Christine, liée dans un premier temps au vieux roi Stanislas et aux filles de France, fut au centre d’un nouveau pôle pour le réseau de la fratrie ; un pôle qui s’organisa autour de Lunéville, puis Coblence avec l’archevêque électeur et sa sœur Cunégonde, mais aussi à Brussels avec le vice-roi des Pays-Bas autrichiens, le prince Albert. Celui-ci à la fois gendre de l’impératrice, beau-frère de Joseph II, mais aussi de Marie Antoinette, la reine de France, assurait la liaison avec la maison d’Autriche et l’Empire germanique. Ce nouveau pôle pour le réseau était naturellement lié avec la ville de Dresde et l’électorat de Saxe où résidaient leur neveu l’électeur Frédéric Auguste et Charles de Saxe, duc de Courlande qui étendait son propre réseau vers l’est, c’est-à-dire, en Pologne et en Livonie (Lettonie).
Définition du réseau par cercles concentriques434.
Si la représentation polaire utilisée est un moyen simple pour illustrer l’étendue d’un réseau de relations, surtout si celles-ci s’étendent géographiquement sur plusieurs structures politiques différentes, elle donne une image simpliste et ne permet pas d’appréhender toute sa complexité. Il fut mentionné que l’importance des liaisons pouvait être figurée par l’épaisseur des traits, la figure qui fut retenue, passait cependant sous silence les liaisons directes entre les pôles extérieurs. Une autre approche était nécessaire. Elle consista à définir le réseau par cercles concentriques. Elle offrait l’avantage de pouvoir construire la représentation à partir d’un critère précis auquel il était possible de donner la priorité. À titre d’exemple, le volume de correspondance échangée, pouvait être un tel critère, même si dans le cas présent, seule la correspondance reçue, était connue. Dans ce cas particulier, le réseau put se définir ainsi : (le nombre des lettres reçues est indiqué entre parenthèses).
Cette représentation répondait à une réalité. Lorsque Elisabeth souhaita obtenir la fonction de coadjutrice de l’abbaye de Remiremont, elle ne s’adressa pas directement à sa sœur Christine, mais demanda à Xavier de Saxe, d’intervenir en sa faveur. Le réseau était plus resserré entre le prince Xavier et ses sœurs qu’entre les sœurs elles mêmes.
Pénétrant dans les détails437, il fut possible en se référant à d’autres critères, de préciser les contours du réseau. Par exemple, quels furent les membres de la fratrie qui firent le plus souvent appel ou utilisèrent le plus fréquemment, le réseau ? Les deux graphiques des pages 140 et 141 apportèrent une réponse, et il fut possible de dessiner les cercles concentriques suivants :
Autre exemple : qui abordait le plus souvent les sujets politiques dans sa correspondance ? Une nouvelle série de cercles concentriques fut déterminée, toujours à partir des graphiques déjà utilisés :
Dernier exemple avant de conclure ce paragraphe : qui aimait rapporter des « ragots » ? Donnait des nouvelles de la cour ? Là encore, les graphiques permirent de construire un dernier réseau :
Cette vie de cour, nous l’avons vu, fut le thème le plus souvent traité dans la correspondance de la fratrie. Était-elle l’élément principal de la vie de ces princes de Saxe ? Et fut-il possible de découvrir un peu plus cette société des princes à travers l’étude de leur correspondance ?
La société des princes de Saxe vue à travers leurs correspondances.
Toute correspondance échangée dans un groupe de personnes, aussi volumineuse et riche soit-elle, n’est pas nécessairement représentative de sa structure sociale et son étude ne permet pas d’avoir une image exhaustive de la société à laquelle appartiennent ces personnes ; ce point fit l’objet d’un développement dans la seconde partie du présent chapitre dans laquelle fut critiquée la méthodologie utilisée. Cependant, une correspondance si volumineuse pouvait dévoiler de nombreux aspects de la vie de ces princes ; la lecture de leurs lettres permettant de pénétrer et connaître un peu mieux leur cadre de vie et leur société.
Nous avons déjà fait remarqué que l’échange de lettres dans une famille avait pour objectif principal de donner des nouvelles à l’absent, des nouvelles de la famille, mais aussi des nouvelles de cadre de vie de ses membres, c’est-à-dire, pour une société appartenant à la haute aristocratie européenne du XVIIIe siècle, des nouvelles des cours dans lesquelles ses membres évoluaient. Ce point fut développé dans l’étude statistique de la correspondance, et nous ne reviendrons pas sur le fait que les mots-clefs « Mondanités », « Famille », « Décès », « Santé » et « Enfants » furent parmi les dix thèmes les plus souvent identifiés. De même nous ne reviendrons pas sur l’existence et le développement géographique du réseau que la fratrie avait construit dans une partie de l’Europe.
Par contre, certains aspects de cette société que nous n’attendions pas, se dévoilèrent dans notre étude. Le premier fut certainement l’existence d’une profonde culture française dans laquelle évoluait cette fratrie. Si Christine de Saxe, plus que tout autre, égrena des formules ou des citations allemandes dans ses lettres, elles restèrent relativement peu fréquentes et elles furent extrêmement rares chez les autres princes et princesses. Autre exemple, quatre ans après sa parution, le prince Xavier citait Candide de Voltaire dans une lettre à sa belle-sœur. Une référence surprenante lorsque l’on considérait l’année, 1763, le lieu géographique de la citation, la Saxe sortant de cinq ans d’occupation militaire, et le destinataire de ce courrier, une princesse bavaroise. Dernier exemple relatif à l’imprégnation de la fratrie dans la culture française : le style, les tournures et le vocabulaire employés par la fratrie ; cela fut particulièrement remarqué et signalé lorsque fut étudiée la correspondance du prince Albert qui était paradoxalement le membre de la fratrie le moins lié à Versailles et le plus attaché à Vienne. Pour conclure sur ce point, on peut remarquer qu’à la veille de la révolution, il y avait eu déplacement du centre de gravité de la fratrie. Physiquement, elle s’était rapprochée de Versailles, le point central de sa culture. Elle avait commencé à migrer hors de Dresde et de Varsovie avec les mariages de Marie-Amélie et de Marie-Joseph en 1738 et 1747, pour finalement se centrer en 1771 à l’ouest du Rhin. À cette date, seuls Charles, Elisabeth et l’électeur de Saxe, leur neveu, résidaient encore à Dresde.
Autres éléments découverts au fil de la correspondance de la fratrie, cause ou conséquence du point précédent, les entrées et facilités que possédaient les princes et princesses de Saxe à la cour de Versailles. Nous n’insisterons pas sur ce sujet qui fut développé par ailleurs ; nous rappellerons cependant, pour illustrer ce point, la réception des princes Charles et Albert, à Marly, l’un en 1770, l’autre en 1786. Autre illustration de ces excellentes relations avec Versailles, celles qui existaient avec le Versailles des ministres, la mention dans une lettre du prince Xavier, que la princesse Christine, abbesse de Remiremont, entretenait de bonnes relations avec le duc d’Aiguillon et Madame de Barry, et qu’elle pouvait espérer leur intervention pour faciliter la nomination de sa sœur, Elisabeth, comme coadjutrice. Une intervention que Xavier deSaxe espérait plus efficace que celle de la future reine Marie Antoinette.
La Dauphine Marie-Josèphe par ses vingt ans de présence à la cour avait ouvert ces entrées et établi ces relations privilégiées. Ses lettres permirent de découvrir un personnage différent de celui que nous attendions après la lecture de l’ouvrage de Casimir Stryienski438. Elle fut une princesse « aussi bonne française que saxonne » qui consacra, semble-t-il, toute la correspondance qu’elle échangea avec son frère Xavier, à défendre ou servir sa patrie d’origine.
L’étude de la correspondance ne fit pas aborder que des sujets sérieux et politiques, des questions de portée plus légère apparurent au fil des lectures. Ce fut, par exemple, la passion des princesses de Saxe pour la chasse439. Cunégonde indiqua dans une de ses lettres que « 200 lièvres, 9 renards, 5 chevreuils » furent tirés au cours d’une partie de chasse à laquelle elle participa. Autre tableau, celui décrit par sa sœur, l’épouse de l’électeur de Bavière, dans une lettre datée du 31 octobre 1774 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1500 : « 612 pièces furent tuées dont 290 renards, 290 lièvres, 7 brocards, 7 faons, 6 biches, 2 cerfs, 9 bécasses et 1 geai440 ». Ce fut aussi la princesse Elisabeth avouant441Voir Fonds de Saxe, liasse E*1517 qu’elle avait « été assez maladroite, en tirant avant hier aux corneilles, de [se] brûler avec la poudre à l’œil droit » et d’ajouter : « ce qui m’a fait si mal que j’ai cru que je serais borgne ». De tels tableaux de chasse appelèrent plusieurs remarques qui allaient bien au-delà de la confirmation d’une passion pour cette activité dans la société des princes. Ils permirent de percevoir et évaluer d’autres aspects de la vie rurale du XVIIIe siècle : Ainsi se posa la question de l’abondance du gibier disponible, près de trois cents renards tirés, combien survivaient ? Quelle pouvait être la population avant le prélèvement ? Quelle quantité de petits rongeurs fallait-il pour assurer la nourriture de ces prédateurs ? Quels étaient les prélèvements sur les cultures effectués par cette petite faune ? Quelles superficies fallait il pour que la chaîne alimentaire aboutissant aux renards pût se développer442 ? L’adresse des chasseurs et la précision des armes utilisées étaient-elles si bonnes ?
De telles distractions ne pouvaient se faire sans accident. Bien qu’elles ne fussent pas nécessairement liées à la chasse, trois exemples de chute de cheval furent retenus. La princesse Elisabeth mentionna443Voir Fonds de Saxe, liasse E*1517 celle de son frère le duc Charles : « Il est tombé avec le cheval qui lui est tombé sur la jambe qu’il a cru qu’elle était cassée ». Quelques années plus tard, Marie-Anne de Saxe444Voir Fonds de Saxe, liasse E*1500, annonça l’accident survenu « à l’électrice de Saxe445 qui eut la jambe fracturée par une barrière ».
Enfin nous citerons Thomas Nicklas qui rappela que l’électeur Frédéric Christian était handicapé de naissance446 ; sa mère Marie-Joseph était tombée de cheval alors qu’enceinte, elle chassait à courre ; elle se le reprocha sévèrement.
La correspondance ne rapporta pas que des accidents de chasse. Les blessures et surtout les problèmes de santé occupèrent une place relativement importante. Plusieurs maladies apparurent régulièrement dans les lettres. D’abord la variole dont les épidémies étaient fréquentes, très graves et au pronostic vital très mauvais. Après la mort du roi Louis XV, plusieurs princes et princesses de France se firent « inoculer »447Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514. Second problème de santé par sa fréquence, les infections intestinales dont on se plaignait souvent dans les lettres. Il ne sembla pas qu’elles eussent toujours des conséquences graves. Sur ce sujet nous renvoyons le lecteur au chapitre V448, qui contient une lettre449Voir Fonds de Saxe, liasse E*1510 de Madame Adélaïde dans laquelle elle indiqua que sa sœur « Victoire […] a encore eu une attaque de colique assez vive, mais courte, elle se porte très bien aujourd’hui ». Ce qui permit au prince Xavier de répondre : « Je suis enchanté d’apprendre le meilleur état de Made Victoire, je suis assez vain pour croire d’avoir contribué un peu à sa guérison par les vœux ardents que je faisais journellement pour Elle450Voir Fonds de Saxe, liasse E*1510 ». Même niveau de sévérité, les rhumes et grippes qui apparurent régulièrement dans la correspondance mais dont les suites parurent rester bénignes. Il fut aussi souvent question de « fièvres putrides », toujours mortelles sembla-t-il. Cela fut interprété comme des infections graves généralisées de type septicémique. Il fut facile de concevoir qu’en l’absence de chirurgie efficace, de pratiques aseptiques et de pharmacie antibiotique disponible, les incidents touchant les appareils digestifs ou respiratoires et les blessures évoluaient souvent vers des situations dramatiques. L’autodéfense des organismes restant la seule arme qui pouvait combattre les infections. Deux cas méritèrent un commentaire particulier. Une autopsie fut pratiquée sur le duc de Bourgogne, le premier fils de Louis XVI. Une lettre de Christine de Saxe indiqua qui souffrit d’une grave infection osseuse, tuberculose ou cancer. Le second cas dont il fut possible de suivre l’évolution à travers la correspondance, et en particulier, à travers celles de Madame Adélaïde et de Christine de Saxe, fut la maladie mortelle de la Dauphine. En 1766, la fille du roi Louis XV ne manqua pas de donner dans ses lettres des nouvelles de sa belle-sœur. Elle y commenta sa capacité de participer à la vie de cour qui s’amenuisait au fil du temps, le teint de son visage dont la moindre coloration était relevée, la fièvre qu’elle pouvait avoir ou ne plus avoir, son alimentation qui dans les derniers mois de l’année sembla se réduire à l’absorption de lait. À l’hiver 1767, les mots terribles furent employés, la Dauphine avait du sang dans ses crachats. Nous en conclûmes, faute d’expertise médicale, que la princesse était terrassée par la tuberculose. Elle mourut le 13 mars. D’autres informations sur les causes supposées des décès annoncés se retrouvèrent périodiquement dans la correspondance ; pourtant, il n’y eut aucune explication quant à la disparition des autres membres de la fratrie : Marie Amélie, la reine d’Espagne (1760), Frédéric Christian, l’électeur de Saxe (1763), ou la princesse Christine (1782).
Cette dernière remarque conduit à mentionner et éventuellement à étudier les événements contemporains et certains aspects de leur environnement social que les princes de Saxe ne mentionnèrent pas dans leur correspondance. Cette question fera l’objet du prochain paragraphe. Pourtant et pour ne pas quitter le présent développement sur la triste note apportée par la disparition de la Dauphine, nous avons souhaité revenir sur un point plus léger et plus souriant, les amours du prince Xavier et de certains membres de la fratrie, telles qu’elles apparurent dans leur correspondance. Les archives du prince Xavier contenaient cent soixante et onze lettres de ses maîtresses. Elles furent majoritairement écrites pendant les années 1758-1763. À l’exclusion de la correspondance avec « Madame Trente-quatre » qui fit l’objet d’une attention particulière, aucune de ces lettres ne fut étudiée ni même lue. Restaient les traces de ses amours ou ceux des membres de la fratrie dans la correspondance de tous les jours. Nous ne reviendrons pas sur le « marivaudage » ou peut-être la liaison, qui exista entre le prince et sa belle-sœur, l’électrice de Saxe, ni sur « les sentiments de tendresse » puis « d’éternelle amitié » qui transparurent dans les lettres de Madame Adélaïde et dans les réponses du prince Xavier. Cependant nous savons qu’avant son mariage avec l’archiduchesse Marie Christine, le prince Albert entretint une liaison amoureuse pendant plusieurs années avec une personne non identifiée de Dresde ; son frère Xavier lui rendant quelques menus services dans la transmission du courier. La correspondance ne laissa apparaître aucun flirt ni liaison pour les princes Charles, Clément ou les deux électeurs de Saxe, Frédéric-Christian et Frédéric-Auguste. Pourtant, dans une lettre datée du 25 novembre 1763 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489. />, le prince Albert écrivit : « Je serais bien curieux aussi de savoir si les amourettes de mes sœurs avec Ysembourg et Zinzendorf vont encore leur train ». La princesse Cunégonde eut semble-t-il, d’autres flirts ; dans une correspondance entre Albert et Xavier, les deux frères se posaient la question de savoir lequel aurait le plus d’autorités sur leur sœur et pourrait obtenir qu’elle changeât son attitude lors de fêtes de carnaval, attitude qu’il trouvait incompatible avec son rang de princesse : ne dansait-elle pas sans masque parmi les femmes du peuples et les prostituées ? Devenue trentenaire, aucune princesse n’apparut dans la correspondance pour une liaison ni pour une amourette qu’elle aurait entretenues. Les « fiançailles » de Christine de Saxe avec le roi Stanislas n’y furent jamais mentionnées, par contre la correspondance signala un certain Miltitz, peut-être l’aide de camp du prince Albert en 1767, qui fut à deux doigts de l’épouser. La rupture créa un fort ressentiment contre le prétendant inconstant. Dernier élément qui transparut dans la correspondance, la princesse Elisabeth dans les années quatre-vingt termina toutes ses lettres en présentant au prince Xavier, après sa signature, les compliments d’un certain Pflugk451. Cette manière de procéder était identique à celle qu’utilisaient les autres membres de la fratrie pour présenter de tels compliments adressés à la comtesse Spinucci. Peut-on en conclure que la princesse Elisabeth aurait contracté un mariage morganatique ? Mariage qui expliquerait son long célibat et sa résidence constante dans l’électorat de Dresde.
Les Thèmes attendus et absents de la correspondance.
Il a déjà été indiqué qu’aucune information à caractère politique ne fut réellement identifiée dans la correspondance. Une explication fut fournie452. Pourtant, plusieurs conflits se développèrent durant ce dernier tiers du XVIIIe siècle. Si dans ces conflits, les membres de la fratrie ne furent plus militairement impliqués, des personnages comme Albert de Saxe, très proche du pouvoir impérial, son frère Charles très présent à Dresde, le prince Xavier qui reprit du service actif pendant la guerre d’indépendance américaine, n’échangèrent jamais leur point de vue dans les documents qui furent conservés.
L’orage politique que fut la victoire des « insurgés » américains sur la couronne britannique, la déclaration d’indépendance, marquée par l’esprit des lumières et un retour aux valeurs de la République de la Rome antique, ne put laisser les membres de la fratrie indifférents. Pourtant, à aucun moment cet événement ne fut mentionné par la fratrie dans sa correspondance. Le mot même d’Amérique en était absent. Une situation similaire exista pour l’Angleterre, ni le nom du souverain, ni la ville de Londres, ni même le Hanovre, encore moins les développements politiques et économiques des îles Britanniques ne furent mentionnés dans les lettres des princes de Saxe. Des remarques identiques pourraient être faites en ce qui concernait la Russie, la Tsarine Catherine II, ou les partages de la Pologne.
D’une manière similaire, les sujets touchant l’administration des états n’apparurent pas beaucoup plus. Il ne fut jamais mention des réformes entreprises par Joseph II ; les changements de ministres à Paris ne furent pas plus commentés453 ; l’évolution de la situation de l’électorat de Bavière à la mort du Maximilien Joseph ne fit l’objet d’aucune remarque.
Autres aspects de la vie princière européenne qui furent absents de toute correspondance : la vie économique et l’accélération de son développement. Pourtant, l’ouvrage de Pierre Gaxotte, Frédéric II454 consacre sa première partie aux efforts constants que fit Frédéric Guillaume Ier pour continuer le développement de l’agriculture et de la proto industrie sur le territoire de la Prusse ; parallèlement, la couronne autrichienne chercha à faciliter la création d’activité de manufactures, de mines et de commerce ; enfin, en France, les recherches des Physiocrates, le développement du commerce atlantique, les travaux des encyclopédistes, tous ces éléments furent passés sous silence dans la correspondance de la fratrie.
Dernier élément qui fut peu présent dans les lettres des princes et princesses : la vie artistique. S’il est vrai qu’il fut parfois fait mention de troupes théâtrales ou d’opéras bouffes, attachées à la cour de Dresde ou à celle de Munich, les grands compositeurs germaniques du XVIIIe siècle ne furent jamais cités : Pourtant Jean-Sébastien Bach et ses deux fils Guillaume Friedmann et Philippe Emmanuel furent liés à la Saxe et à la Thuringe voisine, et Joseph Haydn ou Mozart étaient tous les deux très présents à Vienne455. Il ne fut pas non plus fait mention d’œuvres d’art, si ce n’est quelques lettres relatives à l’achat d’une collection complète de médailles représentant les papes, achat effectué en Saxe par le prince Xavier à la demande de son frère Albert que résidait à Vienne. Le prince Xavier posséda pourtant une collection de tableaux importante, vingt-six furent saisis par le Directoire dont un Philippe de Champaigne et un Bernado Belloto456. On sait aussi que le Musée de Saint-Quentin possède un portrait du prince Xavier peint par de la Tour.
La bibliothèque du prince Xavier comportait en 1791 six mille sept cent quarante-sept volumes. Si sa correspondance fit plusieurs fois mention de Voltaire, aucun autre auteur ne fut mentionné.
Conclusion sur les analyses effectuées sur la correspondance.
Plusieurs milliers de lettres parcourues, dont plus de deux mille furent lues et quelque trois cents étudiées analytiquement avec une méthodologie statistique, pour une population limitée à huit frères et sœurs, nous a permis d’obtenir une certaine (à défaut de bonne) représentation de la vie des princes de cette maison de Saxe, de reconstruire leur(s) réseau(x), et d’estimer ce que pouvait être la société de ces princes européens non souverains n’appartenant pas à l’une des trois grandes couronnes. Pourtant ce serait une erreur de penser que l’image obtenue serait complète ni même « relativement » représentative de la réalité. Cette image fut celle que projetait leur correspondance et il fut nécessaire de garder un esprit critique face à cette représentation. Ainsi, la place prise par les « Mondanités », c’est-à-dire par la cour, leur passion pour la chasse, sont des réalités ; mais l’absence de commentaires sur les questions politiques ou économiques, ou une vie culturelle limitée au théâtre et à l’opéra, ne peuvent être considérées comme réellement représentatives. Il est évident que de grands pans de leur vie n’étaient pas présents dans leur correspondance. Ainsi, il est certain que Madame Adélaïde et le prince Xavier furent officieusement fiancés, pourtant quelque ait été la tendresse contenue dans certaines de leurs lettres, aucune ne mentionna le projet matrimonial et nous ne l’apprîmes qu’à la lecture des historiens.
Notre méthodologie était-elle responsable de cette représentation incomplète ? L’échantillon de correspondance sélectionnée fut-il le bon ? Il est évident que ces deux questions doivent constamment rester présentes dans l’esprit de l’historien qui aborde des sources originales. C’est que nous fîmes dans la seconde partie de ce chapitre.
Remarque préliminaire sur les critiques de l’étude.
Les résultats obtenus et critiqués dans la première partie de ce chapitre, posaient deux questions : La source pouvait-elle permettre de répondre à la problématique posée ? La méthodologie utilisée avait-elle été un outil efficace ? Ces questions ne sont pas spécifiques à la présente étude, elles se posent à tout historien abordant une source originale ; nombreux furent les cas, où faute de posséder des documents ou des données en nombres suffisants, les chercheurs se trouvèrent dans l’obligation de considérer, « un peu hâtivement » diraient les statisticiens, un échantillon comme représentatif d’une situation. Ainsi, « La loi des Alamans » du VIIe siècle ou « le polyptique d’Irminon » du IXe, sont-ils représentatifs de la société rurale du haut Moyen Age ? Certainement pas, aucun historien n’accepterait de les considérer comme tels. Ces sources ne représentent qu’une image de certains groupes sociaux de la société rurale de cette époque. Cela n’enlève rien à leur authenticité, ni à leur intérêt historique. Qu’en était-il pour notre étude ? Avions-nous sélectionné les bons documents ?
Critiques de l’échantillonnage des lettres retenues pour l’étude.
La sélection des lettres porta sur une population : la fratrie, une période de temps : 1770-1791, et un échantillonnage déjà effectué par un tiers : les lettres pour lesquelles J. J. Vernier et son équipe avaient rédigé une analyse dans leur Inventaire.
Le choix de lettres déjà sélectionnées par un tiers, fut-il judicieux ? Rétrospectivement on peut en douter. En effet, si J.-J. Vernier ne sélectionna et n’inclut une analyse que pour 12 % des lettres de la fratrie ; un chiffre qui est, en pourcentage et en valeur absolue457, statistiquement représentatif de la correspondance ; la position de ces lettres dans l’Inventaire, c’est-à-dire, dans le milieu du troisième tome, aurait dû nous alarmer. A posteriori, nous pensons que cette correspondance ne fut pas la partie des archives qui reçut le plus d’attention458 de la part de son équipe. Il faut se souvenir que J. J. Vernier rédigea en complément à l’Inventaire, trois ouvrages ou publications dont aucun n’eut pour objet, la fratrie ou sa correspondance ; c’est une indication de l’orientation naturelle de ses inclinaisons intellectuelles et de ses recherches. D’autre part, la lecture des lettres qui ne firent pas l’objet d’une analyse, laissa apparaître que plusieurs aspects de leur contenu, étaient ignorés par l’équipe de l’Inventaire. Ainsi les données sociologiques, les informations sur l’organisation et le fonctionnement de cette société des princes ne présentaient pour eux, sembla-t-il, qu’un intérêt mineur. Une constatation qui ne doit pas surprendre si l’on considère l’évolution de l’historiographie entre les dernières années du XIXe siècle et l’époque actuelle. Qu’aurait-il fallu faire ? Peut-être faire abstraction de l’Inventaire et des « analyses » de J.-J. Vernier, et effectuer notre sélection sur d’autres critères que nous aurions définis durant le processus de lecture.
Le choix de la période de temps sélectionnée fut-il le meilleur qui pouvait être fait ? Là encore, la réponse est négative. L’histoire de la fratrie peut se diviser en trois grandes périodes (si nous excluons leur adolescence). D’abord la guerre de Sept ans pendant laquelle les princes remplirent leurs devoirs de jeunes nobles et servirent leur roi et leur pays dans les armées alliées. Durant cette guerre, les princesses étaient soit mariées et donc participèrent indirectement par leurs contacts à la défense de leur patrie, soit encore célibataires et se réfugièrent à la cour de Bavière. À la fin de cette guerre, le plus jeune membre de la fratrie avait vingt-trois ans (princesse Cunégonde). Il était temps pour eux de trouver un établissement et ce fut durant cette période que le réseau se mit en place et fonctionna. La troisième période se situe dans les années soixante-dix – soixante-quinze et après. À l’exclusion du prince Xavier et de sa sœur Elisabeth, tous les membres de la fratrie avaient déjà obtenu un établissement. Le réseau devenait moins nécessaire et fut moins sollicité. Et pourtant ce fut cette période qui fut retenue. Il eût été plus judicieux pour notre étude de retenir les décennies 1760-1780.
Autre question relative à la représentativité de notre échantillonnage : Dans la correspondance étudiée statistiquement, le pourcentage de lettres reçues de ses sœurs, fut supérieur et de très loin, à celui des lettres de ses frères, 87 % contre 13 %. Des chiffres très voisins et donc très représentatifs à ceux de l’ensemble de la correspondance de la fratrie toutes périodes confondues, qui étaient de 81 % et 19 %. Pourtant la disproportion en faveur des lettres d’origine féminine, ne correspondait pas à la répartition des correspondants ; le prince Xavier reçut des lettres de douze personnes appartenant directement à sa fratrie, soit six frères et six soeurs459. Cette différence entre les deux rapports, sources masculines - sources féminines et nombre de correspondants dans chaque sexe, ne pouvait que poser problème. Il fallait s’attendre à ce que les répartitions entre les thèmes abordés dans la correspondance et identifiés dans l’étude statistique, montrassent un déséquilibre identique quant à leur orientation générale et que les « questions plutôt masculines » fussent moins présentes que les sujets intéressants une population féminine fut-elle princière. Avions-nous cette remarque en tête lorsque nous analysâmes les résultats statistiques et que furent rédigées les synthèses correspondantes ? La disproportion des sources d’origine féminine avait été remarquée. En avons-nous tenu compte dans nos commentaires ? Non, alors que cela eut été nécessaire. Pour éviter cette difficulté, une méthodologie complémentaire aurait pu être employée. Elle aurait consisté à sélectionner un échantillonnage de lettres460 dans lequel le rapport nombre de lettres d’origine masculine – nombre de lettres féminines, eut été égal à « 1 ». Cela eut-il été plus représentatif de la réalité ? Peut-être pas, mais cela eut été statistiquement satisfaisant. Si cette étude devait être prolongée, un chapitre spécifique, basé sur un tel échantillonnage assurant une répartition égale entre les deux populations de la fratrie, sera rédigé.
Dernier critère de notre sélection, le choix de la fratrie était-il le groupe de correspondants dont on pouvait espérer les meilleurs résultats ? Quelles autres alternatives existaient : Étudier la correspondance avec un ou plusieurs ministres français ? Sélectionner l’échange de courrier avec l’un des agents du prince Xavier ? Ainsi, il eut été possible de retenir celui du général Martange ou les sept cent quatre vingt-deux lettres de Jean-Baptiste Rivière. Les résultats eurent été différents. Le premier correspondant aurait permis de pénétrer dans les « ambitions personnelles » du prince Xavier, dans sa recherche d’un établissement, dans sa tentative d’obtenir la couronne de Pologne, dans ses démarches pour être élu grand maître de l’ordre des chevaliers Teutoniques. Avec Jean-Baptiste Rivière la problématique eut été différente. La vie princière se serait éclipsée au profit de la vie politique française. Un autre choix aurait pu consister à se limiter à un seul correspondant, la Dauphine par exemple, et rapprocher les lettres reçues par le prince et les minutes des réponses envoyées.
Pourquoi ne pas avoir fait ces choix basés sur d’autres critères de sélection et avoir reconduit l’étude ? Tout simplement parce que les limites apportées par l’échantillonnage initialement retenu, n’apparurent qu’aux moments de la rédaction des résultats des analyses. C’est-à-dire, alors que plus des deux tiers du temps que nous souhaitions consacrer à ce mémoire, aient été consommés. Une nouvelle étude aurait nécessité la lecture de nouvelles lettres, une nouvelle analyse c'est-à-dire près d’une année de recherche complémentaire.
Critiques de la méthodologie utilisée.
La partie la plus importante et la plus originale de la méthodologie fut l’analyse statistique des lettres par identification de mots-clefs. La méthodologie utilisée n’apporta pas tous les résultats que nous attendions et leur analyse fut plus difficile que prévue, conduisant souvent à des évidences. Cette méthodologie avait été utilisée vingt ans plus tôt pour analyser plusieurs centaines d’événements techniques à apparition aléatoire dont les causes étaient difficilement identifiables et qui présentaient un aspect fortement négatif dans leurs conséquences461. Les résultats obtenus avaient été satisfaisants ; ils avaient permis l’identification des causes, la définition de stratégies de prévention et à terme, la diminution de ces événements non souhaités.
Pourquoi, la méthode ne donna pas les mêmes résultats ? Les différences entre les deux applications étaient multiples. Dans la précédente étude, les éléments recherchés, s’ils n’étaient pas toujours identifiés, existaient cependant et obligatoirement dans l’échantillonnage étudié. Ce n’était pas le cas pour la correspondance du prince Xavier. S’il était possible d’avoir à priori une « certaine idée » sur ce qui pouvait exister dans les lettres et sur « ce que l’on pouvait s’attendre à trouver », il n’y avait aucune certitude. Ainsi, il était probable que la correspondance contenait des demandes d’intervention de la fratrie en faveur de tel ou tel de ses membres ; mais, dans combien de lettres, « un appel à une telle intervention de la fratrie » serait-il trouvé ? Et cela permettrait-il d’identifier et de dessiner un réseau d’assistance entre les frères et sœurs ?
Deuxième élément de différence entre les deux études : dans la première il avait été possible de construire une hiérarchie, une arborescence entre les mots-clefs recherchés car ceux-ci bien que caractérisant des événements aléatoires étaient liés entre eux « par une certaine logique ». Cela n’était pas le cas dans la seconde étude, il n’y avait aucune liaison entre une demande de prêt de quarante mille livres et un tableau de chasse de deux cent quatre-vingt-dix renards. Cette absence de logique dans l’apparition des mots-clefs, l’impossibilité de les organiser dans une arborescence, compliqua leur analyse.
Troisième différence entre les mots-clefs des deux études. Leurs nombres ne furent pas comparables. Dans les deux cas, une cinquantaine de mots-clefs furent identifiés, mais dans la première étude, ils se répartissaient en plusieurs sous-groupes, chacun comportant moins de dix mots-clefs. L’analyse statistique s’en trouvait facilitée.
Dernier élément de différence, le processus d’identification des mots-clefs. Dans l’étude technique, si ceux-ci furent choisis et identifiés à priori, ils le furent à partir des connaissances et des expériences que l’on avait sur les événements à étudier ; cela ne présentait aucune difficulté puisqu’ils se rapportaient à des phénomènes physiques bien connus y compris dans leurs causes et leurs conséquences, même si l’apparition, l’importance relative de chaque cause et la gravité de chaque conséquence, y compris en cas de causes et (ou) de conséquences multiples, étaient essentiellement aléatoires. Dans l’étude historique, le choix et l’identification des mots-clefs se firent pendant le processus de lecture. Une difficulté potentielle dans cette phase d’identification existait ; elle avait été détectée dès la conception de la méthodologie, à savoir qu’il se produirait chez le lecteur entre le début du processus de lecture et donc d’identification et la fin de ce processus, une modification continue et finalement importante des critères de sélection, critères qui ne pouvaient être que subjectifs. Par exemple, avait-on attribué le mot-clef « Réseau » sur la base des mêmes critères à la lecture de la première lettre et à celle de la trois cent seizième ? La réponse ne peut être que non. Pour éviter cet écueil, il eut fallu après une première analyse et une première attribution de mots-clefs, recommencer le processus de lecture et refaire un nouveau choix de ces mots-clefs. Cette remarque pose la grande question, quel prolongement et quelle suite donner à cette étude ? Quelques directions seront proposées dans le paragraphe qui suit.
L’identification des personnages cités.
Durant l’établissement de la « base de données » et pendant le processus d’analyses du contenu des lettres par identification de « mots-clefs », il fut établit une liste de tous les personnages qui apparaissaient dans les trois cents seize lettres étudiées. L’objectif initial prévoyait de les identifier, et de tenter d’établir un nouveau réseau autour du prince Xavier et de sa fratrie, un réseau qui serait celui du deuxième cercle de leur correspondance.
Deux raisons firent abandonner ce projet. L’identification des personnages s’avéra être un processus extrêmement long, bien plus long que le travail sur la population des mots-clefs. Il fallait d’abord s’assurer que différentes orthographes désignaient un même personnage qui apparaissait aussi sous des titres différents ; ainsi, celui que la Dauphine appelait « ce gros cochon de Martange » était parfois désigné par cette même Dauphine sous le titre de « Vicomte » sans mention de nom ; à la même époque, le prince Xavier l’appela « le colonel » puis « le général », voire Martange. Seul le contexte nous permit de l’identifier.
Il fut aussi, indispensable de contrôler que deux personnages différents portant des noms ou des titres voisins, n’étaient pas une seule et même personne. Ainsi au début de l’étude, plusieurs semaines furent nécessaires pour s’apercevoir que le maréchal de Broglie qui servait en Saxe et son frère le comte qui résidait au même moment à Varsovie, avaient été systématiquement confondus dans les premiers temps de l’étude462. Ce fut aussi le cas avec les Brühl dont le père était ministre du roi de Pologne Auguste III, dont le fils servit l’électeur de Saxe Frédéric Auguste III, et dont une comtesse du même nom fut au service de la Dauphine à Versailles. La confusion étant facilitée par l’utilisation du nom de famille, sans titre ni article. Nous mîmes plusieurs semaines à identifier le prince Henri, frère du roi de Prusse. Les duc Charles, celui de Courlande, c’est-à-dire le frère du prince Xavier, et celui de Deux-Ponts, l’époux de sa nièce Marie-Amélie, furent longtemps confondus. Nous eûmes les mêmes difficultés avec Flem(m)ing qui fut ministre du prince Xavier pendant son administration de l’électorat de Saxe, et représentant de cet électorat à Vienne à peu près à la même époque463 ; il était le descendant supposé du comte Jakob Heinrichs von Flemming (1667-1728), Kabinettsminister (Premier ministre) du roi Auguste II le fort.
L’établissement du deuxième cercle du réseau des princes de Saxe, exigeant l’identification des personnages cités dans la correspondance, demandait une culture historique de la seconde moitié du XVIIIe siècle, que nous ne possédions pas. Cette culture n’aurait pas dû s’étendre seulement sur l’électorat de Saxe et sur la cour de Versailles, mais aussi sur tout l’Empire et sur les différents états de la couronne autrichienne : Bohême et Hongrie.
En conséquence, une liste de tous les personnages cités dans la présente étude fut cependant établie. Certains furent identifiés et ces identifications furent indiquées ainsi que les numéros des pages dans lesquelles ces personnages apparaissaient. Pour les noms relevés durant l’analyse du courrier étudié, ils furent caractérisés par le nom de l’auteur de la lettre (ou des lettres) dans laquelle ils apparurent, les dates de ces lettres lorsque celles-ci étaient connues et les numéros des liasses du Fonds de Saxe contenant ces lettres. Une identification plus complète de ces personnages n’est pas exclue dans le temps, cela pourrait être l’objet d’un des prolongements qui pourraient être donnés à cette étude.
Cela conduisit à rédiger un dernier paragraphe dans lequel furent indiquées les suites au présent mémoire et les recherches complémentaires qui pourraient être menées sur le Fonds de Saxe.
Quels prolongements donnés à l’étude ?
Au fil de ce travail de recherche et à plusieurs occasions, furent identifiés des prolongements possibles à la présente étude. Ainsi, la sélection des lettres étudiées fut remise en question. Nous avons suggéré que l’utilisation de l’inventaire de J.-J. Vernier qui consista à retenir les lettres que son équipe avait déjà remarquées, ne nous avait pas permis de faire une sélection basée sur nos propres pôles d’intérêts. Il fut aussi noté que la période de temps retenue n’était peut-être pas la plus favorable à l’identification d’un réseau et que les décennies 1760-1780 auraient pu donner de meilleurs résultats. Enfin, nous avons signalé le déséquilibre qu’il y avait dans notre sélection entre les lettres reçues de ses sœurs et celles qui avaient été envoyées par ses frères. En conséquence, nous pensons qu’une nouvelle étude donnerait des résultats peut-être différents, mais surtout théoriquement plus proches de la réalité si elle était conduite suivant de nouveaux critères de sélection des lettres étudiées. Nous avons aussi retenu de cette expérience que pour des recherches conduites sur une période de deux ans, l’étude statistique d’un millier de lettres sélectionnées sur une population de deux mille documents paraissait possible.
Nous avons aussi fait remarquer, combien la correspondance de la Dauphine était différente dans sa présentation et surtout dans son contenu, de celles des autres membres de la fratrie. Il y eut, signale Casimir Stryienski464, plusieurs biographies de Marie-Josèphe de Saxe rédigées avant la sienne. Mais s’agissant de documents publiés pendant la Restauration sur la mère du souverain régnant, ils s’apparentaient, dit-il, à des hagiographies. Cette princesse mérite-t-elle d’autres biographies, et plus que « la ligne et demie » qu’elle occupent généralement dans les ouvrages traitant de cette période465. Nous ne le pensons pas. Nous croyons cependant que Stryienski n’eut pas accès aux documents du Fonds de Saxe, que pourtant il nota l’existence de ce qu’il appelle « un secret de la Dauphine » auquel il consacre un chapitre et qui aurait été parallèle « au secret du roi » avec le même objectif, la couronne de Pologne. La Dauphine fut-elle complice du roi ? Nous ne le pensons pas. Louis XV aima beaucoup sa belle fille qui donnait plus d’héritiers à la couronne qu’il n’en avait espérés. Mais une complicité politique n’eut pas été conforme à sa manière de gouverner. Reste une hypothèse qui mériterait d’être étudiée : La Dauphine fut-elle un agent de l’électorat de Saxe à la cour de Versailles ? Et si comme nous le pensons, la réponse est oui, cela fut-il volontaire ? Et jusqu’à quel degré fut son engagement.
Notre étude portait sur la correspondance d’une quinzaine de personnages appartenant ou alliés à une même fratrie. Il eut été possible de se concentrer sur une seule personne, d’étudier voire de transcrire toute sa correspondance, et y associant les minutes des réponses que le prince Xavier lui aurait rédigées et qu’il aurait conservées. Trois personnages pourraient justifier une telle étude : La Dauphine et nous avons expliqué pourquoi dans le paragraphe précédent ; Le général de Martange qui fit déjà l’objet d’un ouvrage466 mais pour lequel l’auteur n’eut semble-t-il pas accès au Fonds de Saxe car n’y faisant pas ou très peu référence ; et surtout Jean-Baptiste Rivière et ses sept cent quatre-vingt-deux lettres très éclectiques dans les sujets traités467.
Dans un prolongement éventuel de la présente étude, devrait-on remettre en question la méthodologie statistique utilisée ? Nous ne le pensons pas, bien que les résultats ne fussent pas au niveau de ce que nous espérions. Celle-ci serait cependant à modifier. L’expérience du présent mémoire nous conduirait à affiner la procédure d’analyse sans que celle-ci fût différente. Cela conviendrait, semble-t-il, pour une étude de la correspondance de Jean-Baptiste Rivière. Cette procédure comprendrait plusieurs phases. Dans la première, une arborescence de grands thèmes serait construite « a priori » ; et pour chacun de ces grands thèmes, une liste de mots-clefs serait établie. Dans une seconde phase, une centaine, voire deux cents lettres serait lue et sur ces lettres serait appliqué un processus d’identification de mots-clefs, basée sur la liste établie à priori, tout en restant ouvert à l’addition de mots-clefs nouveaux. À partir des résultats et de l’expérience acquis pendant cette phase de lecture, une troisième étape serait entamée. Elle consisterait à reconstruire « l’arborescence » des grands thèmes avec la volonté de savoir éliminer (ou ajouter) certains thèmes qui seraient peu (ou très) présents ; et de rétablir les listes de mots-clefs associés à chacun de ces thèmes. Viendrait ensuite une quatrième phase : l’ensemble de la correspondance serait lu, y compris les lettres ayant fait l’objet des phases initiales, et un nouveau processus d’identification de mots-clefs serait recommencé. Suivrait ensuite le traitement statistique de ces mots-clefs qui resterait identique à celui utilisé pour le présent mémoire. En parallèle, une étude qualitative de la correspondance serait menée. Dans celle-ci la priorité serait donnée au contenu ; ainsi pour une lettre traitant d’un combat naval, l’étude qualitative serait principalement axée sur les enseignements historiques apportés par les facteurs politiques, causes ou conséquences, associés à ce combat, et aussi sur les données de techniques militaires navales que l’on pourrait découvrir dans une telle lettre. La correspondance de Jean-Baptiste Rivière à laquelle nous pensons, pourrait-elle justifier un travail universitaire de troisième cycle ? Ce n’est pas certain. Par contre, cela pourrait, peut-être, servir de support à un mémoire de maîtrise468.
Reste un dernier élément que nous n’avons pu mener à terme : Construire le réseau de la fratrie à partir de la liste des personnages rencontrés dans les correspondances étudiées. Cela nous semble possible, et nous serions prêt à tenter l’expérience.
Dernier prolongement possible dans l’exploitation du Fonds de Saxe, revenir sur la suggestion du Professeur Thomas Nicklas469 et étudier à partir de ces archives le rôle joué par la Maison de Saxe en Europe dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Cette proposition étant la dernière de ce chapitre, il ne reste plus qu’à conclure cette étude.