COMMENT IDENTIFIER LE RÉSEAU DE LA SOCIÉTÉ DES PRINCES DE SAXE ?
UNE TENTATIVE D’ANALYSE STATISTIQUE DE LA CORRESPONDANCE REÇUE DE LA FRATRIE.
Le prince Xavier de Saxe reçut un peu plus de quatre mille quatre cents lettres373 de ses frères et sœurs. Trois cent seize furent sélectionnées sur lesquelles fut effectué un travail d’analyse statistique par recherche de mots-clefs374 et par identification des personnages cités. Ce processus permit de construire une « base de données ». C’est ce document qui fut analysé, les résultats faisant l’objet du présent chapitre.
La « base de données ».
Cette « base de données » se présente sous la forme d’un document de « format paysage » de deux feuillets en largeur et de trois cent cinquante lignes en hauteur. La pagination est établie de gauche à droite et de haut en bas (pagination dite en « Z »). Le document comprend vingt-quatre pages dont les deux premières sont données à titre d’exemple dans le commentaire qui suit ; la totalité du document est jointe en annexe au présent chapitre.
Chaque ligne de la « base de données » correspond à un élément de la correspondance étudiée, généralement une lettre reçue.
La première colonne attribue « un numéro de référence » au document étudié ; ce numéro fut conservé pour toute l’étude.
La deuxième et la troisième colonne indiquent la date d’émission du document.
La quatrième et la cinquième colonne mentionnent l’expéditeur et le destinataire.
Les deux colonnes suivantes comportent les références de la lettre dans le Fonds de Saxe, à savoir la cote de la liasse et le numéro d’ordre d’apparition du document concerné dans l’Inventaire de J.-J. Vernier.
La colonne huit précise le type de document, généralement une lettre, mais parfois un avis ou un mémoire.
La dernière colonne des pages « impaires » donne un bref descriptif du thème principal apparaissant dans la lettre. Ce descriptif sera conservé dans la suite de l’étude pour servir de seconde référence au document et donc, compléter sa désignation.
La seconde partie de chaque ligne se poursuit et apparaît sur les pages « paires » où fut complété le descriptif du document. Elle comprend quatre éléments : une première colonne rappelant la colonne « une », à savoir la référence du document dans l’étude, cinq colonnes dans lesquelles furent listés les mots-clefs attribués à cette lettre, et cinq autres colonnes où furent mentionnés les noms des personnages cités. Une dernière colonne indique les remarques faites sur la lettre ou le document concernés.
À partir de cette « base de données » une analyse statistique fut conduite et les premiers résultats obtenus seront commentés après les deux pages qui suivent.
Base de données principale : Page 1. Document disponible dans dossier :
« 06A. Pages 121 et 122. Base de données, deux premières pages. »
Base de données principale : Page 2, disponible dans dossier :
« 07A. Pages 115 et 116. Base de données, deux premières pages. »
Distribution des mots-clefs identifiés.
Dans le processus d’analyse, cinquante-six mots-clefs différents furent identifiés totalisant huit cent quatre-vingt-treize occurrences. Le mot-clef le plus rencontré : « Mondanités » le fut cent vingt-neuf fois ; à l’opposé, neuf mots-clefs dont « Bienfaisance », « Cheval », … « Testament », ne se présentèrent qu’une fois. Il est rappelé que ces mots clefs sont des qualificatifs qui furent choisis lors du processus de lecture et que ce ne furent pas nécessairement des termes apparaissant dans le corps des lettres. Les deux tableaux qui suivent, indiquent la distribution en fréquence de ces mots-clefs :
Vingt mots-clefs les plus fréquemet selectionés
Nombre d’apparitions des autres mots-clefs.
Incendie 10 Tourisme 9 Faits divers 8 Education 7 Bal 6 Guerre 6
Nouvelles 6 Diplomatie 5 Évêché 5 Météo 4 Rumeurs 4 Accident 3
Bienfaits 3 Carnaval 3 Chasse 3 Opéra 3 Théâtre 3 Apanages 2
Diète 2 Disgrâce 2 Événement 2 Félicitations 2 Inondation 2 Ragots 2
Révolution 2 Séisme 2 Voltaire 3 Bienfaisance 1 Cheval 1 Dresde 1
Emprunt 1 Héritage 1 Jeux 1 Justice 1 Recomman. 1 Testament 1
Les grands thèmes traités dans la correspondance de la fratrie.
Avant d’étudier en détail la distribution des mots-clefs les plus fréquents et donc de déterminer les sujets ou idées les plus souvent traités dans la correspondance, il a semblé judicieux de réunir dans des sous-groupes thématiques, les mots-clefs identifiant des thèmes voisins.
Il était évident de considérer que la correspondance entre les membres d’une même fratrie, avait pour objet principal d’annoncer des événements familiaux ; aussi pouvait-on rassembler dans un même sous-groupe les mots-clefs suivants :
C’eut été une erreur d’additionner les pourcentages des différents mots-clefs appartenant à un même sous-groupe. En effet, une même lettre s’était vu attribuer simultanément plusieurs mots-clefs. Ce processus pouvait couvrir une situation où plusieurs thèmes différents étaient traités dans une même lettre, mais il était possible qu’un même événement ait conduit à la sélection de plusieurs mots-clefs de sens thématiquement voisins. Ainsi pour une « Naissance », purent être retenus en complément et simultanément, « Enfants » et « Famille ».
Autre objectif pour la correspondance d’une famille aristocratique du Saint Empire, informer les absents sur les événements de cour. Ainsi le deuxième sous-groupe thématique retenu incluait les mots-clefs suivants :
Thème principal de notre étude, très voisin du précédent, la notion de « Réseau », un réseau qui aurait existé dans la fratrie. Là encore, plusieurs mots-clefs purent être regroupés dans un même sous-groupe :
Une famille, c’est aussi des partages de patrimoine, des intérêts communs, des questions d’argent. Aussi, purent être rassemblés dans le même sous-groupe, les thèmes suivants :
Restent les questions politiques, sous-groupe avec lequel furent associés :
Dans un dernier sous-groupe, furent rassemblés les mots-clefs qui illustraient les questions diverses :
Cette division en sous-groupes, a permis d’obtenir une vue globale des thèmes traités dans une correspondance familiale au XVIIIe siècle. Une première remarque s’imposa ; dans notre échantillon de lettres sélectionnées, aucune des grandes questions politiques de cette période ne fit l’objet de courrier soutenu : Les partages de la Pologne ne furent pas mentionnés, la présence d’une Prusse puissante et agressive aux frontières des seigneuries possédées par les « de Saxe » a été ignorée, le réveil de la Russie, son intérêts pour sa frontière ouest, n’apparut dans aucune lettre, la « rébellion » des provinces américaines et le soutien fournit par la France a été absents de ces échanges épistoliers, enfin, les Etats Généraux de 1789, la nuit du 4 août, ou les « journées révolutionnaires » ne firent l’objet d’aucun commentaire, si ce n’est dans deux lettres de Cunégonde de Saxe, datées des 12 août et 5 septembre 1789 et référencées dans notre « base de données » sous les numéros « 315 » et « 316 ».
Il a pu apparaître en première analyse que cette correspondance ait été essentiellement superficielle ; des frères et des sœurs s’écrivaient, ils se donnaient des nouvelles familiales et sauf exceptions, les tourmentes de cette fin du XVIIIe siècle n’eurent pas de place dans ces échanges376. Pourtant, l’étude des mots-clefs dans leur détail, fit apparaître un éclairage différent et important pour l’historien. Ce sera l’objet du paragraphe à venir.
Commentaires sur les mots-clefs les plus rencontrés.
« Mondanités ».
Étudiant chaque mot-clef, il fut remarqué que le thème le plus souvent identifié était sans surprise, celui des « Mondanités » ; à savoir, des informations ou des nouvelles concernant les différentes cours où résidaient les correspondants ; ce thème était présent dans 14,4 % des lettres étudiées. À titre d’exemple et pour illustrer ce que nous entendions par « Mondanités », nous renvoyons le lecteur à la lettre « 6 » dans laquelle, Charles de Saxe, duc de Courlange, décrivit les fêtes données à Dresde à l’occasion du Carnaval377.
Autres exemples pris dans la correspondance de Marie-Anne de Saxe, l’électrice de Bavière. Sur les soixante-six lettres analysées, ce thème fut identifié vingt-cinq fois. Il a semblé que la princesse se faisait un devoir de rapporter tous les événements de la cour de Bavière : La représentation d’un opéra-bouffe de Piccinni (lettre référencée « 44 »), la mort du grand maître de l’ordre des chevaliers Teutoniques (lettre « 46 »), le récit d’une chasse au cerf (lettre « 47 »), le détail sur la composition d’une nouvelle troupe d’opéra-bouffe (lettre « 48 »), l’incendie de la maison des Théatins ( ?) à Munich (lettre « 50 »), la visite dans cette ville du duc et prince Charles de Deux-Ponts (lettre « 51 »). Les exemples auraient pu être multipliés ; ainsi dans la correspondance de la princesse Christine, l’abbesse de Remiremont, ce mot-clef fut identifié dix-neuf fois dans les quarante-quatre lettres étudiées qu’elle adressa à son frère. Là encore, les sujets furent très divers bien que généralement plus politiques : Par exemple, la nomination de l’abbé Terray comme contrôleur général et les décès de l’évêque de Verdun et du comte de Béthune (lettre « 112 »), le compte-rendu de la saison du carnaval à Paris (lettre « 117 »), la mort du prince Holstein « lettre « 120 »), le transfert du régiment de ce prince Holstein au prince de Nassau (lettre « 121 »), l’exil du comte de Broglie, l’homme du « Secret du roi » en janvier 1773 et son remplacement par le marquis de Brancas378 (lettre « 123 »).
Se tenir informer des événements majeurs mais aussi des petits incidents de toutes les grandes cours, était un facteur essentiel pour conserver à un éventuel réseau, toute son activité et toute son efficacité. Pourtant si on peut penser que la notion même de « réseau » n’était pas consciente dans l’esprit des membres de la fratrie, ce réseau existait de facto. C’est ce que nous allons étudier dans le paragraphe qui suit.
« Réseau ».
Le second thème le plus fréquent, 10,4 % des lettres, fut très spécifiquement identifié comme étant celui de « Réseau » ; il apparut soit sous la forme de demandes d’intervention, soit sous celle de transmissions d’informations quant à des postes devenus disponibles et pouvant offrir des établissements à l’un des membres de la fratrie. Le meilleur exemple sur ce thème put être perçu dans les lettres « 23 » à « 27 »379Voir Fonds de Saxe, liasse E*1493 par lesquelles Clément de Saxe exprimait son ambition d’obtenir l’évêché de Liège et demandait à son frère Xavier de lui rechercher des appuis à la cour de Versailles pour faciliter son élection. Dans la dernière lettre (référence « 27 ») il indiqua que cette démarche avait été un échec faute d’une intervention décisive de Versailles380Voir Fonds de Saxe, liasse E*1493. Cinq ans plus tard, ce même prince Clément demanda dans la lettre référencée « 32 »381Voir Fonds de Saxe, liasse E*1493 l’intervention de son frère Xavier pour obtenir de Louis XVI l’une des deux « abbayes en commande, l’une de 200.000, l’autre de 100.000 livres de revenus », et de préférence, celle de Saint-Germain-des-prés ; des abbayes sur le point d’être rendues libres par la mort prochaine du cardinal de la Roche-Aimon que le prince disait « être à l’extrémité ». Il faut se souvenir que le prince Clément était déjà archevêque-électeur de Trèves depuis le 10 février 1768, et qu’il devait disposer de revenus confortables. Avait-il besoin du siège épiscopal de Liège qu’il n’obtint pas en 1772 ou de demeurer coadjuteur d’Augsbourg jusqu’en 1778 avant de devenir l’évêque en titre après cette date ? Si nous fûmes surpris par son ambition de vouloir cumuler plusieurs sièges épiscopaux et par sa rapidité pour enterrer les abbés des établissements qu’il convoitait, nous ne pûmes lui reprocher ni l’hypocrisie, ni l’ambiguïté de ses propos, même si ses demandes furent très diplomatiquement présentées : « Ne sauriez-vous pas disposer le Roi à m’en donner une [de ces abbayes] de son propre mouvement, comme une marque de bonté pour son oncle ? Mais il faudrait que je n’y paraisse nullement, ne voulant pas avoir l’air de demander quelque chose, et m’engager à plus d’obligation vis-à-vis de la cour de France ».
« Etablissement ».
Le mot-clef « établissement » est apparu spécifiquement comme le quatrième thème par importance ; il fut identifié dans 7,7 % des lettres. Tous les membres de la fratrie étaient intéressés, les princes mais aussi les princesses ; se référer à ce sujet aux trois premières lettres de la « base de données » dont l’objet unique était l’obtention de la fonction de « dame de clefs » auprès de l’électrice de Saxe pour la comtesse Spinucci, épouse secrète du prince Xavier. Autre exemple sur ce thème, les lettres « 127 » et « 141 »382Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514 : Dans la première, la princesse Christine de Saxe annonçait sa décision « de prendre pour coadjutrice à Remiremont la princesse Marie-Anne de Deux-Ponts, afin qu’elle se désiste de ses prétentions sur Essen et Thorn et ne soit pas un obstacle à la nomination de sa sœur Cunégonde383Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514. Dans la seconde, un an plus tard jour pour jour, nous apprenions « l’élection de la princesse Cunégonde de Saxe à la coadjutorerie d’Essen ; celle de Thorn suivra aussi384 ». Le réseau et la solidarité fraternels avaient été couronnés de succès. Dernier exemple qui nous est apparu comme étant caractéristique de cette notion de réseau, la lettre « 220 » datée du 24 décembre 1782, dans laquelle la princesse Elisabeth de Saxe, recommanda à son frère Xavier, « les gens qui étaient attachés à la personne de la princesse Christine leur sœur385Voir Fonds de Saxe, liasse E*1522 » abbesse de Remiremont, décédée un mois auparavant. À une époque où la charité remplaçait notre actuelle solidarité organisée, le réseau des princes, s’étendait à leur entourage. « L’ascenseur » et la protection fonctionnaient pour les princes qui n’oubliaient pas d’en faire bénéficier « les gens qui [leur] étaient attachés ».
« Famille ».
Il n’est pas surprenant que dans cette correspondance entre frères et sœurs, le troisième thème en ordre de fréquence fût la « Famille » avec 9 % des lettres. Ainsi dans la lettre référencée « 11 » Charles de Saxe annonça la grossesse de son épouse, la comtesse de Courlange. De même, dans la lettre « 14 », le même Charles félicita son frère Xavier pour la naissance d’une petite fille. Nous avons noté que deux autres mots-clefs pouvaient êtres associés à ce thème de « Famille », à savoir « Santé » et « Enfants » qui apparurent respectivement, dans 3,2 et 3,0 % des lettres. Il y avait là une volonté d’informer mais aussi d’intéresser le destinataire ; une volonté qui apparaissait déjà dans les mots-clefs « Mondanités » et que l’on retrouvera plus loin avec les mots-clefs « Loisirs » et « Fêtes ».
« Décès ».
Les nouvelles familiales ne se limitaient pas à la fratrie, mais incluaient l’ensemble des membres des branches et maisons alliées aux « de Saxe ». En particulier, les annonces de « décès » occupèrent 6,3 % des lettres et apparurent comme le cinquième thème en fréquence. Très souvent ces décès pouvaient créer des changements de situations pour les membres de la fratrie, soit par l’ouverture d’opportunités pour de nouvelles fonctions ou de nouveaux établissements, soit a contrario, par la perte d’influence qu’entraînait la disparition d’un protecteur puissant. Le meilleur exemple nous fut donné par les lettres « 62 » et « 63386Voir Fonds de Saxe, liasse E*1500 » dans lesquelles Marie-Anne de Saxe, épouse de l’électeur de Bavière, apprenant la mort du roi Louis XV, écrivit immédiatement à son frère Xavier « Nous avons appris la triste nouvelle de la mort du Roi. Ma première pensée était pour vous. Je veux cependant me flatter que ce triste événement ne portera point changement à vos affaires ». Et d’insister dans une seconde lettre, douze jours plus tard : « […] je prends certainement toute la part imaginable aux tristes circonstances où vous vous trouvez actuellement, espérant cependant que cela ne changera rien à vos affaires ». On ne pouvait être plus direct, le roi est mort, que Dieu fasse que son successeur vous garde une estime comparable et votre place à la cour !
« Politique ».
Thème similaire et associé : le mot-clef « Politique », qui apparut au sixième rang : soit dans 5,3 % des lettres. Ce thème doit être entendu dans les limites qui étaient celles de l’époque, la seconde moitié du XVIIIe siècle. Il ne pouvait être question de critiquer les pouvoirs en place, tout au plus était-il possible d’émettre un jugement sur un ministre. Ainsi, dans les cinquante premières lettres étudiées, le mot-clef « politique » apparaît quatre fois (lettres « 7 », « 12 », « 15 » et « 16 »)387Voir Fonds de Saxe, liasses E*1488 et 1489. Dans tous les cas, il s’agissait de lettres annonçant ou décrivant le décès d’un souverain ; aucun commentaire réellement politique n’y était fait.
« Armées ».
Mot-clef suivant en fréquences : « Armées » avec 4,1 %. Le thème était loin d’être ‘‘tabou’’. La première partie de la correspondance du prince Xavier traitait des opérations militaires de la guerre de Sept-ans. Celles-ci furent plus que commentées. S’il n’y avait pas de critique directe du commandement en chef du camp français, des analyses fréquemment négatives furent faites sur les opérations menées par l’allié autrichien. Pendant la période étudiée (1770-1791), la fratrie ne fut ni directement, ni activement impliquée dans aucun conflit, ce qui explique la relative faible fréquence de ce thème dans la correspondance388. Dans la plupart des cas, le thème de l’armée fut lié à des demandes d’intervention pour l’obtention d’un commandement pour un membre de la famille ou pour une personne présumée appartenir au cercle des « clients ». C’est le cas pour les lettres « 70 » et « 83 »389Voir Fonds de Saxe, liasses E*1501 et 1502 relatives au comte Spinucci, beau frère du prince Xavier.
Nous avons noté sur ce thème les trois lettres « 85 », « 86 » et « 87 » de Marie Anne de Saxe390Voir Fonds de Saxe, liasse E*1503, devenue électrice douairière de Bavière à la mort de son époux en janvier 1778. Elle y commentait l’arrivée des troupes palatines et les réductions dans les rangs des troupes bavaroises à la suite de la succession de Bavière. Les termes employés furent peu agréables, voire extrêmement critiques ; le point de vue de la population y fut donné. Sous réserve que les commentaires de l’électrice fussent représentatifs de la réalité, nous avions ici un témoignage direct sur cet événement ; un événement important qui fut mentionné dans huit lettres que la princesse de Saxe adressa à son frère Xavier.
« Loisirs ».
Beaucoup plus léger et huitième thème dans l’ordre des fréquences d’apparition, soit dans 3,5 % des lettres étudiées, celui des « Loisirs ». Les quatre premiers exemples apparaissant dans notre « base de données » permettaient de préciser le sens que nous avions souhaité lui donner. Il s’agissait des lettres « 6 »391Voir Fonds de Saxe, liasse E*1488 traitant des fêtes organisées à Dresde en janvier 1772, « 44 » dans laquelle l’électrice de Bavière commenta la représentation d’un opéra bouffe de Piccinni, « 47 » où elle donna des détails sur une chasse au cerf, ou « 48 »392Voir Fonds de Saxe, liasse E*1498 dans laquelle il fut encore question d’opéra bouffe et d’une troupe venue en représentation à Munich, troupe composée d’artistes célèbres. Ce thème se recoupait avec celui des « Fêtes » qui apparut dans 2,7 % des lettres. Ils s’associaient très souvent, avec celui des « Mondanités » traité plus haut. Nous avions ici des exemples du caractère léger et superficiel que prenait souvent la correspondance, même si les intérêts de la fratrie n’y étaient pas négligés. Il s’agissait d’intéresser, voire d’amuser, le destinataire.
« Santé » et « Enfants ».
C’est cette même volonté d’intéresser mais aussi d’informer qui fut retrouvée une nouvelle fois dans les deux mots-clefs qui suivirent dans l’ordre de fréquence, à savoir « la Santé » et « les Enfants » ; ils apparurent respectivement, dans 3,2 et 3,0 % des lettres. Les exemples qui suivent, furent volontairement choisis dans le courrier de la princesse Elisabeth393Voir Fonds de Saxe, liasse E*1516, liasse E*1517, liasse E*1518, liasse E*1519, liasse E*1520 : Lettre « 158 » relative à une opération au sein subit par une dame Rolling de la cour de Saxe ; Lettre « 161 » rendant publique la grossesse de l’électrice de Saxe ; Lettre « 162 » annonçant la naissance d’un fils du comte de Brühl, ministre de Saxe, dont l’électeur sera le parrain ; Lettre « 165 » « au sujet de la « nullité » de la grossesse de l’électrice394Voir Fonds de Saxe, liasse E*1517 » ; Lettre « 182 » commentant l’accouchement de la comtesse d’Artois ; Lettre « 187 » se désolant d’une fausse-couche de la comtesse de Lusace, épouse du prince Xavier ; Lettre « 188 » approuvant les projets du prince Xavier concernant l’éducation de ses enfants ; Lettre « 200 » félicitant le prince Xavier de la décision prise par son fils Louis « d’embrasser l’état ecclésiastique395Voir Fonds de Saxe, liasse E*1520 ». Il aurait été possible de multiplier les exemples, d’abord en restant dans la correspondance de la princesse Elisabeth, mais plus encore en analysant l’ensemble des trois cent seize lettres sélectionnées. Seuls quelques exemples furent ajoutés pour compléter le propos : À la suite du décès du roi Louis XV, la princesse Christine de Saxe nous apprit dans une lettre référencée « 137 »396Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514 que la comtesse d’Artois et le comte de Provence s’étaient faits « inoculer ». Autre détail sur la santé des grands d’Europe, cette même princesse Christine dans une lettre du 9 février 1766, relata l’accident qui coûta la vie au roi Stanislas, cette disparition était pour elle « un bien vrai ami de moins qu’[elle avait] dans le monde397Voir Fonds de Saxe, liasse E*1512 »
« Religion ».
Mot-clef suivant dans l’ordre des fréquences : « Religion » avec vingt-six apparitions, soit dans 2,9 % des lettres. Dans trois cas, ce mot fut directement associé au nom du philosophe Voltaire dont l’impiété était vilipendée : Lettre « 35 » de Clément de Saxe398Voir Fonds de Saxe, liasse E*1493 : « On me dit qu’une secte soi disant philosophique a infecté même la plus grande partie des maisons religieuses de Paris. […] Je vous avoue que je n’ai pu lire qu’avec la plus vive douleur […] les honneurs rendus à l’impie Voltaire » ; lettre « 36 » du même Clément399Voir Fonds de Saxe, liasse E*1493 : « […] autant suis-je affligé de ce que vous me dites de l’état de notre sainte religion dans cette capitale [Paris …]. L’accueil qu’on fait à ce malheureux Voltaire est bien humiliant pour tous les gens de bien » ; et enfin la lettre « 295 » de la princesse Cunégonde de Saxe400Voir Fonds de Saxe, liasse E*1528 : « Vous avez raison de m’entretenir, par prédilection sur mon goût des belles-lettres, de ce malheureux Voltaire. Il ne manquerait plus que la présence de ce prédicateur de l’irréligion pour y affermir encore des esprits que trop pervers à s’y déclarer ouvertement ennemis de la religion, en prônant aussi publiquement les œuvres et la personne de ce misérable : cela fait frémir vraiment. Dieu veuille ne point punir dans son juste courroux ces esprits pervers, avoir pitié d’eux, éclairer et toucher leur cœur ». Voltaire était lié au roi Frédéric II ; cela ne pouvait que lui attirer l’hostilité de la maison de Saxe qui, de plus, avait choisi son camp, celui du parti des dévots, celui de la reine, du Dauphin et de la Dauphine, celui des filles du roi Louis XV, et quelques années plus tard, celui du duc de Bourgogne, le futur Louis XVI. Nous ne sommes pas convaincu que le prince Xavier avait fait ce choix.
Ce combat de la fratrie contre « l’impiété » ne lui faisait pas oublier ses intérêts. En effet, dans quinze cas où le mot-clef « Religion » fut sélectionné, il fut associé aux mots clefs « Etablissement » et/ou « Réseaux » et/ou « Clients. Ce fut le prince Clément qui annonça dans sa lettre référencée « 39 », « qu’il a sacré évêque le grand prévôt d’Augsbourg et qu’il l’a nommé suffragant de cet évêché401Voir Fonds de Saxe, liasse E*1483. Ce fut la lettre référencée « 105 » où la princesse Marie-Anne de Saxe, devenue électrice douairière de Bavière remarquant « que comme en ce pays-ci presque toutes les filles de condition sont très mal partagées de la fortune , que cela fait aussi un grand obstacle de trouver des établissements à moins de les fourrer dans des cloître [… elle s’était] résolue à faire une fondation d’un chapitre de dames séculières où au moins [elle pourra] en établir quelques-unes, et que les autres puissent à mesure espérer de trouver place402Voir Fonds de Saxe, liasse E*1505 ». C’est aussi les lettres de Cunégonde de Saxe, référencée « 287 » et « 290 » où elle annonce qu’elle a été « élue coadjutrice à l’abbaye d’Essen403Voir Fonds de Saxe, liasse E*1528 » puis « du chapitre de Thorn404Voir Fonds de Saxe, liasse E*1505 », deux établissements dépendant de leur frère Clément, l’archevêque-électeur de Trèves. Ce fut enfin, la lettre d’Elisabeth de Saxe référencée « 172 » relative à « un projet de coadjutorerie pour elle-même qu’elle accepterait si comme la princesse Christine, elle pouvait obtenir une pension de 40.000 écus, ce qui pourrait se faire sur les économats405Voir Fonds de Saxe, liasse E*1518 ».
« Finance ».
Ceci nous conduisit à aborder le mot-clef « Finance ». 2,2 % des lettres abordaient ces problèmes d’argent. Ce furent dans un premier temps les questions des arrérages et des revenus des apanages possédés par la famille de Saxe en Pologne. En 1788, le paiement de ces derniers semblait remis en question. Était-ce lié au partage de la Pologne et au changement de suzeraineté de certaines provinces ? La question fit l’objet d’une correspondance en encre sympathique.
Autre question financière présentée dans la correspondance, la recherche de trésorerie. Ce fut le cas de la lettre « 29 »406Voir Fonds de Saxe, liasse E*1493 du prince Clément qui souhaita contracter un emprunt de cent mille florins407. Autre exemple représentatif des situations financières existant dans ces familles princières du XVIIIe siècle, la lettre « 49 »408Voir Fonds de Saxe, liasse E*1498 de l’électrice de Bavière Marie-Anne de Saxe, dans laquelle elle commenta la succession de son beau-frère le duc Clément en ces termes : « Il a fait un testament où l’électeur [de Bavière] est nommé héritier universel, et beaucoup de legs, mais comme ceux-ci et les dettes surpassent presque les revenus, je doute qu’il voudra s’en charger ».
Une situation similaire que nous retrouvâmes dans les lettres « 222 » et « 227 »409Voir Fonds de Saxe, liasse E*1522 de la princesse Elisabeth de Saxe qui y réclamait sur le règlement de la succession de sa sœur Christine, l’abbesse de Remiremont décédée fin novembre 1782, la somme de dix-sept mille écus410 « qui lui restaient dus sur des perles » avant d’annoncer un an plus tard, que la succession de la princesse Christine était déficitaire de cent vingt mille écus411. L’analyse du courrier de cette princesse apporta quelques explications quant à cette situation : En juillet 1769, elle demanda au prince Xavier « de faire pour elle par lui ou quelqu’un de sa connaissance », un emprunt de quarante mille livres qui serviraient à l’entretien de sa maison et à payer « plusieurs dettes éparpillées412Voir Fonds de Saxe, liasse E*1513 ». Deux semaines plus tard, elle annonça que pour payer ses dettes, elle s’était déterminée à vendre son grand collier de diamants et ses bracelets qu’elle envoyait au prince Xavier, le priant de les faire estimer413Voir Fonds de Saxe, liasse E*1513. Mais cette vente ne devait pas suffire dans son esprit à combler ses besoins d’argent car elle rappela deux autres semaines plus tard, sa demande d’emprunt de quarante mille livres414Voir Fonds de Saxe, liasse E*1513. Le prix proposé pour les diamants, quarante à quarante cinq mille livres, ne lui convenant pas, elle demanda finalement le retour des bijoux415Voir Fonds de Saxe, liasse E*1513 et il ne fut plus question d’argent avant le 29 juin 1770, date à laquelle elle se plaignit « de la suppression des économats de son abbaye416Voir Fonds de Saxe, liasse E*1513 ». Que s’était-il passé au sujet de ces « économats » ? Six mois plus tard, dans une nouvelle lettre au prince Xavier, elle lui fit part « de son espoir que le voyage qu’elle [venait] de faire à Paris [n’aura pas été] infructueux pour elle du coté des économats, le Roi ayant ordonné à l’évêque d’Orléans de trouver des moyens, de quelques manières que ce soit, de lui rendre ce qu’on lui [avait] ôté417Voir Fonds de Saxe, liasse E*1513 ». Trois mois plus tard, l’évêque d’Orléans était exilé418Voir Fonds de Saxe, liasse E*1513 et il ne fut plus question des économats dans le courrier de la princesse.
Si tout laisse à penser que ces difficultés avaient trouvé solutions auprès du roi, la princesse Christine dut quelque temps avant sa mort, faire face à de nouveaux problèmes financiers importants que seul le roi pouvait résoudre. En effet, dans une lettre référencée « 145 »419Voir Fonds de Saxe, liasse E*1515, elle écrivit à son frère le prince Xavier : « La nuit d’une année sur l’autre, entre onze [heures] et minuit, le seul coup de tonnerre qu’il y eut à Remiremont a mis le feu à ma belle église que vous connaissez et l’a brûlée. On a sauvé le Saint-Sacrement, les reliques, vases sacrés, ornements, la belle grille du chœur et quelques boiseries. C’est un miracle qu’aucune maison des dames n’ait souffert et que toute la ville n’ait été réduite en cendres. [Le] palais abbatial couru les plus grands risques, surtout les archives qui auraient été une perte irréparable qui aurait anéanti toute mon existence et mes droits. […] Le dommage [est] si grand que nous ne pouvons le réparer si le Roi n’a la bonté d’y contribuer par ses bienfaits ». Suivirent plusieurs lettres sur cette catastrophe référencées « 146 », « 147 », « 148 », « 150 » et « 151420Voir Fonds de Saxe, liasse E*1515 », on y apprenait que le montant du dommage causé par l’incendie dépassait trois cent mille livres, que le roi avait donné ses ordres pour aviser aux moyens de réparer ce dommage, que Monsieur de Maurepas également s’y « intéressait réellement ». Pourtant, reprit la princesse dans une lettre datée du 31 mars 1779 : « Imaginez-vous qu’au moment, - du moins je l’espère - au moment d’obtenir les bienfaits du Roi pour mon église, nous essuyons un nouveau malheur à Remiremont par un nouvelle incendie qui, le 13, a consumé toute ma maison de prébende. […] Dans la ville, il y a sept maisons réduites en cendres et plus de trente familles réduites à la mendicité ». Suivent deux lettres dans lesquelles la princesse regrette « de n’avoir pas encore réussi à obtenir les bienfaits du Roi pour le rétablissement de l’église de Remiremont ». Aucun autre courrier ne nous donnera le dénouement de cette situation financière qui pouvait expliquer le déficit trouvé à la mort de la princesse le 19 novembre 1782 au château de Brumath, un château qu’elle louait depuis 1771 au landgrave de Darmstadt.
De ces exemples, nous avons retenu que le prince Xavier n’était pas le seul de la fratrie à avoir connu des difficultés financières ; nombreux étaient les princes de l’entourage des grandes maisons souveraines qui vivaient en permanence des situations proches de la banqueroute et pour qui le recours au roi, c'est-à-dire, à l’État, était déjà un reflex habituel. Cependant, sur ces questions d’argent comme dans la recherche d’établissements convenables, le réseau de la fratrie était le premier cercle à être mis à contribution. Les solutions aux problèmes financiers se cherchaient dans sa famille, à défaut on sollicitait le roi avec qui on était lié par les nombreux liens que des mariages avec ses proches parents, avaient tissés.
« Mariages ».
Le mot-clef « mariage » fut attribué à dix-huit lettres, soit 2,0 % du courrier étudié. Dans aucune de ces dix-huit occurrences, il ne fut question ni d’organiser un mariage pour l’un des membres ou pour l’un des enfants de la fratrie, ni d’approcher un tiers pour un tel projet.
Huit de ces lettres421 concernaient des félicitations ou des vœux pour le mariage d’enfants de la fratrie et plus spécifiquement, du prince Xavier ; six furent écrites par la princesse Elisabeth, elles étaient relatives au mariage de sa filleule prénommée elle-même Elisabeth qui devint duchesse d’Esclignac. Une lettre similaire dans son thème, référencée « 34 », fit l’objet d’une étude spécifique incluse ci-dessous.
Neuf autres lettres422 concernaient le mariage de tiers, personnages de la cour de Dresde, de Vienne, ou de Versailles. Cinq de ses annonces furent faites par la princesse Elisabeth. À la lecture de ses lettres, nous avons deviné des remarques piquantes dont nous n’avons pu goûter tout le sel faute de connaître les personnages concernés. Elles étaient similaires dans leur objet, sans en avoir le même piquant et ni le même humour, à la lettre de Madame de Sévigné annonçant « la chose la plus extraordinaire … », le mariage de la Grande Mademoiselle avec Lauzun.
L’une de ces lettres référencée « 34 »423Voir Fonds de Saxe, liasse E*1493 était plus particulière. Elle concerna les félicitations que Clément de Saxe adressa à son frère Xavier, à l’occasion de la reconnaissance par Rome de son mariage morganatique contracté quelque douze ans plus tôt avec « la Cara Chiaretta », la comtesse Claire de Spinucci. Il fut intéressant de constater que ce même Clément de Saxe, dans une lettre424Voir Fonds de Saxe, liasse E*1492 envoyée un an jour pour jour après ce mariage « secret », faisait de vifs reproches à son frère quant à une liaison qu’il entretenait avec une dame d’honneur de l’électrice douairière. Les termes de cette lettre sont pleins d’enseignement pour l’historien, ils donnent une image d’une certaine société princière européenne, celle qui était liée au parti des dévots :
« Pardonnez, Cher Frère, si avant mon départ, je vous parle d’une chose désagréable. Mais vous savez l’amitié que je vous ai vouée ; et une véritable ne souffre point de cacher à un ami ce qui peut lui faire du tort. Je crois que vous devinez que je veux parler de votre liaison avec Mademoiselle Spinucci. Vous savez que je vous ai ouvert mon cœur à ce sujet avant mon départ pour Dresde. Depuis ce temps-là, toutes les lettres confirment qu’elle se trouve dans un état peu convenable à une dame de cour, que, malgré cela, vous la distinguez particulièrement. Les dernières lettres disent même que le dénouement est proche et qu’il doit se terminer au château425. Dieu fasse que ces nouvelles ne soient que des soupçons ! Mais si elles étaient fondées, permettez de vous présenter le tort que cela ferait non seulement dans le pays426, mais aussi chez les étrangers. Jugez de celui que cela ferait à l’Electrice, notre chère belle-sœur, qu’on ne manquerait pas de soupçonner d’y avoir prêté la main427. Pensez au chagrin que vous causerez à vos chers frères et sœurs, au tort que vous ferez à cette pauvre fille laquelle se trouverait déshonorée et méprisée. Vous direz de quoi je me mêle, n’étant point de mes affaires. Je l’avoue. Mais mon amitié m’aurait toujours reproché si je ne vous avais parlé d’une chose dont il n’y a que de vrais amis qui osent vous en parler. Et je connais assez votre amitié envers moi que, bien loin de m’en sa voir mauvais gré, vous m’en aimerez davantage ».
Cette lettre était-elle justifiée lorsque l’on connaît les mœurs qui existaient à la cour de Dresde d’Auguste II le fort ? Contenait-elle autant d’hypocrisie que notre culture contemporaine semble y déceler ? Ce n’est pas certain. Lorsque par ailleurs, furent lues les lettres de reproches que ce même prince Clément, adressa à son frère Xavier, parce que celui-ci conservait quelques luthériens dans son entourage d’administrateur de l’électorat de Saxe, on mesura la fermeté des positions que pouvaient prendre les membres et sympathisants du parti des dévots. Des positions qui doivent être observées en tenant compte de l’environnement culturel et religieux de l’époque.
Cette lettre renforça l’hypothèse qui se dessinait428, à savoir que ce mariage ruina la carrière potentielle du prince Xavier. Sa fratrie en fut consciente, la Dauphine lui reprocha très violemment sa décision. Le prince Xavier aurait « du » épouser la fille d’un souverain, par exemple, la princesse Adélaïde dont nous pensons qu’il fut l’amant, ou une archi-duchesse, et occuper une fonction politique importante ; peut-être celle de Premier ministre d’un grand royaume. En avait-il le potentiel ? Ce n’est pas certain. Quoi qu’il en ait été, sa mésalliance ne facilita pas sa carrière.
Cette première conclusion, particulièrement sommaire, conduisit à faire le bilan de notre analyse : avec quinze mots-clefs étudiés, nous avons couvert sept cent huit occurrences soit près de 80 % de celles-ci429. Il n’était donc pas nécessaire de continuer cette analyse. Une question restait cependant ouverte, elle fit l’objet du paragraphe suivant : existait-il une similarité entre les différentes correspondances ? Ce qui compte tenu de la méthodologie suivit, conduisait à répondre à la question : la fréquence d’identification des mots-clefs était-elle la même chez tous les membres de la fratrie ?
Etude comparative entre les différentes correspondances de la fratrie.
La fréquence d’apparition des mots-clefs fut étudiée sur une base comparative entre les différents correspondants à partir du tableau et du graphique joints. Ces documents furent établis en déterminant, pour chacun des correspondants principaux, c’est-à-dire, chacun des membres de la fratrie directe (frères ou sœurs) vivant pendant la période de temps considérée, les vingt mots-clefs qui apparaissaient le plus souvent dans leur correspondance. Pour chacun de ces mots-clefs et pour chacun de ces correspondants, le pourcentage d’apparition fut calculé en les rapportant au nombre total d’occurrences. Toutes ces figures statistiques furent combinées et comparées aux figures et pourcentages obtenus pour l’ensemble des lettres étudiées statistiquement. Ainsi, le mot-clef « Mondanités » eut pour l’ensemble de la fratrie, une fréquence de 14,4 % ; ce même mot-clef fut identifié dans 27 % des cas chez Charles de Saxe, 13 % chez son frère Clément et respectivement 18, 17, 12 et 7 % chez les princesses Christine, Marie-Anne, Elisabeth et Cunégonde. À partir de cet exemple, une première conclusion put être proposée : Charles de Saxe, premier des frères à avoir obtenu un établissement, attaché géographiquement à la Pologne et aux marches est de l’Empire et donc relativement isolé de ses frères et sœurs, traita des événements de cour plus qu’aucun autre membre de la fratrie430. Cunégonde et Cléments, membres du clergé y consacrèrent beaucoup moins de place dans leur correspondance.
Mots-clefs Occurrence Fratrie Moyenne Fratrie Charles de Saxe Clément de Saxe Marie-Anne de Saxe Elisabeth de Saxe Cunégonde de Saxe Christine de Saxe
Mondanités 129 14,4 % 27 % 13 % 17 % 12 % 7 % 18 %
Réseaux 93 10,4 % 4 % 12 % 12 % 12 % 6 %
Famille 80 9,0 % 9 % 15 % 13 % 8 % 6 % 3 %
Etablissement 69 7,7 % 13 % 7 % 7 % 8 % 12 %
Décès 56 6,3 % 9 % 4 % 5 % 8 % 7 % 10 %
Politique 47 5,3 % 9 % 1 % 8 % 6 % 3 %
Armées 37 4,1 % 1 % 7 % 6 % 3 % 3 %
Loisirs 31 3,5 % 3 % 2 % 3 % 4 % 1 %
Santé 29 3,2 % 3 % 2 % 3 % 9 %
Enfants 27 3,0 % 6 % 3 % 2 % 5 % 4 %
Religion 26 2,9 % 6 % 3 % 1 % 6 % 2 %
Fêtes 24 2,7 % 3 % 1 % 4 % 3 % 5 % 1 %
Naissance 22 2,5 % 6 % 4 % 4 % 5 % 1 %
Finance 20 2,2 % 6 % 3 % 2 % 2 % 8 %
Mariage 18 2,0 % 3 % 1 % 4 % 2 %
Catastrophe 17 1,9 % 3 % 2 % 2 % 8 %
Maladie 15 1,7 % 4 % 2 %
Clients 13 1,5 % 13 %
Succession 12 1,3 % 6 %
Voyages 11 1,2 % 3 % 3 % 2 %
Les emplacements blancs n’indiquent pas l’absence de donnée, mais des valeurs inférieures à 1 % ou que le mot-clef considéré n’apparaissait pas dans les vingt premiers classés par importance dans la correspondance du personnage considéré.
À partir des dix premières figures de ce tableau, un graphique fut élaboré, permettant d’identifier rapidement, des points ou caractères remarquables.
Première remarque relative à ce graphique : Le choix de l’échantillon des lettres étudiées ne fut pas exempt de tout critique quant à sa représentativité statistique (Cf. Chapitre VII, Infra). Aussi, les représentations effectuées à partir de pourcentages durent-elles être utilisées avec prudence. Pour palier cette difficulté et pour compléter la représentation graphique, un autre diagramme (sur deux pages) fut construit à partir des valeurs numériques (et non plus avec des pourcentages). Ce document donnait une représentation différente qui dans certains cas pouvait s’avérer plus proche de la réalité. Le lecteur trouvera les deux éléments de ce nouveau diagramme en pages 140 et 141, après les commentaires relatifs du graphique immédiatement joint qui fut établi sur la base des pourcentages.
Dans la version électronique, cette page volontairement blanche, est à remplacer par la page Excel qui se trouve dans le dossier :Dans la version électronique, cette page volontairement blanche, est à remplacer par la page Excel qui se trouve dans le dossier :
06C. Page 137, Graphique : Comparaison des pourcentages dans la fratrie.
Ce graphique appela les remarques suivantes : Une nouvelle fois, cinq thèmes principaux purent être identifiés : « Mondanités », « Réseaux », « Etablissement », « Famille » et « Décès ». Les autres mots-clefs ayant un nombre d’occurrences très nettement moindre (la surface occupée par l’ensemble des barres d’un même mot-clef est l’indication de son importance d’apparition).
Il fut déjà signalé que le mot-clef « Mondanités » était présent chez tous les correspondants, et qu’à quelques exceptions près, il fut chez chacun d’entre eux, le mot clef le plus souvent identifié. Si l’on exclut Cunégonde de Saxe pour les raisons déjà mentionnées, il n’est pas surprenant qu’il ait été particulièrement présent dans la correspondance des princesses. Marie-Anne, Elisabeth et Christine car elles étaient au centre ou associées à des vies de cour intenses : celle de Bavière, celle de Vienne et celles de l’Abbaye impériale de Remiremont et de l’électorat de Trèves.
Les mots-clefs « Réseaux » et « Etablissement » ne furent pas identifiés dans la correspondance du prince Charles. Plusieurs explications purent être retenues tout en conservant à l’esprit l’existence possible de distorsions statistiques dans les chiffres relatifs à la correspondance de ce prince. Il fut le premier, avons-nous vu, à obtenir un établissement dans un espace géographique et familial différent de celui des autres membres de la fratrie. En conséquence, il eut moins que les autres, la nécessité de faire appel au réseau fraternel, réseau auquel il ne devait pas appartenir ; il n’eut pas non plus, à solliciter ses frères pour obtenir son propre établissement et en retour, participa peu à la recherche d’établissements ou de positions pour sa fratrie et pour les clients de celle-ci. À l’opposé, le mot-clef « Réseaux » fut identifié à un niveau élevé dans la correspondance des princesse Anne-Marie, Elisabeth et Cunégonde. Ce mot-clef identifiait deux démarches opposées ; la première et la plus fréquente consistant à demander au prince Xavier d’intervenir dans sa zone d’influence en faveur d’un membre de la fratrie ou de ses clients ; la seconde étant la réponse d’un correspondant à une sollicitation du prince Xavier. Dans l’espace de temps (1770-1791) qui fut celui de cette étude, Marie-Anne établie dès 1747 dans une position géographiquement et politiquement centrale : la Bavière, et donc dans un des points centraux du réseau431, eut à faire face à un événement important pour lequel elle eut besoin de toutes l’assistance, à défaut, toute la sollicitude, qu’elle pouvait trouver chez ses frères et sœurs : la succession de l’électorat de Bavière et le conflit que cela engendra. Elisabeth, qui n’obtint aucun établissement, si ce n’est des fonctions à la cour de Vienne, et Cunégonde qui ne devint princesse abbesse qu’en 1776, furent à la recherche d’établissements et donc durent solliciter le réseau du prince Xavier. Quant au prince évêque Clément, sa recherche permanente de prébendes qui fut déjà signalée, explique la fréquence élevée du mot-clef « Etablissement » dans sa correspondance, une fréquence bien supérieure à celles rencontrées dans la correspondance des autres membres de la fratrie. Seconde dans l’identification du mot clef « Etablissement » : la princesse Christine ; la relecture de sa correspondance fit apparaître que ce mot-clef fut dans un cas sur deux, associé à l’administration de son propre établissement, mais que pour les autres identifications, il s’agissait de trouver une position pour ses sœurs : Elisabeth et surtout Cunégonde, un bon exemple du fonctionnement du réseau de la fratrie.
Deux derniers mots-clefs par l’importance de leur fréquence : « Famille » et « Décès ». Ces mots-clefs ne furent pas nécessairement associés ; en effet, les décès annoncés étaient d’abord ceux des membres de la maison de Saxe et des familles alliées, mais aussi et souvent, ceux de personnages importants ou connus de la fratrie. Pourquoi était-ce dans la correspondance de Clément de Saxe, l’ecclésiastique célibataire que fut identifié le plus fréquemment le mot-clef « Famille » ? Une relecture de la « base de données » fit apparaître que « le prêtre » de la fratrie, intervint souvent dans les événement familiaux : naissances et décès, mais aussi sur les questions touchant l’éducation des enfants et la vie religieuse de la fratrie et de leurs descendants. Il en fut de même dans les lettres de Marie-Anne de Saxe, la princesse donnait très souvent des nouvelles familiales.
Comparaison sur une base numérique des identifications des mots-clefs dans la correspondance de la fratrie.
Il fut noté en page 136, que le choix de l’échantillon des lettres étudiées ne fut pas exempt de tout critique quant à sa représentativité statistique et que cette remarque fit l’objet d’un commentaire dans le chapitre VII à venir. En conséquence, les représentations effectuées à partir de pourcentages durent-elles être utilisées avec prudence. Pour palier cette difficulté et pour compléter la représentation graphique, un autre diagramme (sur deux pages) fut construit, non plus à partir des pourcentages mais sur la base des valeurs numériques qui furent doublement comparées, d’abord entre les différents membres de la fratrie, et ensuite, entre elles pour un même correspondant.
La représentation était différente. Elle était construite sur une réalité : le nombre des lettres étudiées. Pourtant, elle ne s’exonérait pas des difficultés qu’avait introduite un échantillonnage dont on pouvait questionner la représentativité. Si le graphique présentait l’avantage d’être l’exacte image de la correspondance, son interprétation était plus difficile et une nouvelle fois, des réserves devaient être émises ; le volume extrêmement important des correspondances des princesses Elisabeth et Marie-Anne pouvaient fausser les comparaisons avec les autres membres de la fratrie. Cette remarque étant considérée dans le maniement des résultats, cette seconde représentation donnait une image différente et plus explicite des questions traitées par la fratrie dans sa correspondance, et donc des pôles d’intérêts de ses membres.
L’analyse de ces graphiques fut volontairement limitée. Première constatation, il apparut très explicitement que les princesses Elisabeth et Marie-Anne, et dans une moindre mesure, le prince Clément, consacrèrent une grande partie de leur courrier à donner des nouvelles de cour (mot-clef « Mondanités », « Décès », « Mariages », « Fêtes »), ou familiales (« Famille », « Enfants »). Ils utilisèrent (ou servirent) le réseau (mots-clefs : « Réseaux », « Établissement ») plus que les autres. Le prince Clément fut le plus sollicité et le plus solliciteur pour obtenir des interventions de la fratrie en faveur de leurs potentiels clients. La recherche d’un établissement fut une ambition commune à toute la fratrie comme le fit apparaître le mot-clef correspondant.
Graphique sur deux pages, comparant le volume d’apparition des vingt mots clefs les plus fréquents dans la correspondance de la fratrie.
Dans la version électronique, ces deux pages se trouvent dans le document :
« 6D. Pages 140 et 141. Comparaison en volumes dans la fratrie ».
Graphique sur deux pages, comparant le volume d’apparition des vingt mots clefs les plus fréquents dans la correspondance de la fratrie.
Dans la version électronique, ces deux pages se trouvent dans le document :
« 6D. Pages 140 et 141. Comparaison en volumes dans la fratrie ».
Conclusions.
Pour conclure ce chapitre, l’étude statistique générale de la correspondance, comme l’étude comparative des lettres de chaque membre de la fratrie, firent apparaître que, malgré des variations somme toute assez limitées, deux grands thèmes étaient présents et faisait l’objet des lettres de la fratrie avec une importance et une fréquence identiques. La correspondance avait pour but d’informer, c’est-à-dire, de donner des nouvelles, soit de la cour, soit de la famille, soit enfin, des personnes qui étaient connues de la fratrie.
Elle permettait le fonctionnement du réseau, avec un double objectif principal : fournir un établissement aux membres de la fratrie qui en étaient dépourvus ou qui souhaitaient progresser dans la société des princes, et aussi procurer des positions et des emplois aux personnes appartenant à la clientèle de la maison de Saxe.
Enfin il fut possible de dessiner au gré de l’étude de la correspondance, le réseau de la fratrie et de déterminer ses nœuds centraux. Il y eut d’abord l’axe Vienne - Paris avec les présences du prince Albert et de la Dauphine dans chacune de ces villes. Il y eut ensuite Munich - Vienne – Paris, avec le déplacement d’une partie de la fratrie qui se réfugia dans l’électorat de Bavière. Puis pendant quelques années, l’amitié du roi Stanislas avec la princesse Christine, et celle du prince Xavier avec Madame Adélaïde, créèrent un centre nouveau à Lunéville. Enfin les années soixante-dix, malgré la disparition de la Dauphine et à la suite à l’obtention du siège épiscopal de Trèves par le prince Clément, virent apparaître de nouveaux pôles : Trèves - Remiremont avec Clément et Christine de Saxe et surtout Paris avec l’établissement définitif du prince Xavier en France, la présence périodique d’une ou deux princesses de Saxe auprès des filles du roi Louis XV, et les visites de membres de la fratrie. À la veille de la Révolution française et de l’exil du prince Xavier, le réseau s’était élargi et s’articulait autour de quatre pôles : Paris, Trèves, Bruxelles et Vienne. Mais les membres de la fratrie avaient vieilli ; leurs ambitions s’étaient émoussées ; ils avaient tous obtenu un établissement qui leur convenait ; le réseau n’avait plus de raison d’être, si ce n’était de maintenir les liens d’amitiés fraternelles entre ses membres.
Base de données.
06B. Pages 143 à 166. Base de données