« MONSIEUR ET TRÈS CHER FRÈRE… » COMMENT SE PRÉSENTAIT LA CORRESPONDANCE ADRESSÉE AU PRINCE XAVIER DE SAXE ?
Le prince Xavier de Saxe reçut un peu plus de quatre mille quatre cents lettres de ses frères et sœurs. Trois cent seize furent sélectionnées sur lesquelles fut effectuée une analyse statistique par recherche de mots-clefs. Mais avant tout traitement analytique, il a semblé nécessaire de présenter qualitativement, le courrier envoyé par chaque correspondant206.
Les relations épistolières à l’intérieur de la fratrie ne furent pas identiques dans leurs volumes ; il n’était pas surprenant que les différences d’âge entraînassent des relations plus étroites entre certains frères et sœurs ; ainsi, un solide attachement fraternel unissait le prince Xavier et la Dauphine, mais aussi à ses sœurs Elisabeth et Christine. À partir du tableau joint au chapitre IV207 indiquant la distribution des lettres reçues de chaque correspondant, il fut possible par le simple examen du volume de la correspondance adressée, de deviner les courants d’amitiés principaux et les relations privilégiées qui existaient entre les princes et princesses de Saxe. Ainsi, le prince Xavier ne conserva dans ses archives, aucune trace d’une correspondance qu’il aurait reçue de sa sœur Marie-Amélie, la future reine d’Espagne, et seules quelques lettres qu’il lui avait écrites, furent retrouvées dans ses archives. Par contre, il fut possible de consulter mille cinq cent vingt-sept lettres qu’il reçut de sa sœur Elisabeth, mille treize lettres que lui adressa sa sœur Marie-Anne, l’épouse de l’électeur de Bavière et trois cent cinq lettres que lui envoya la Dauphine208. De ses frères, il reçut quatre cent soixante-dix-huit lettres de Clément de Saxe, l’archevêque-électeur de Trèves, cent quatre-vingt-dix-huit de son frère Albert, le lieutenant-gouverneur de Hongrie, devenu plus tard vice-roi des Pays-Bas autrichiens. Par contre, les archives ne contenaient que trente-cinq lettres de son frère Charles avec lequel il semblait pourtant très proche ; c’est-à-dire, un peu moins que les trente-neuf lettres qu’il conserva de ses échanges avec le dauphin Louis de France, et de ses sœurs, les filles du roi Louis XV.
Dans la présentation du courrier de chaque frère et sœur, un peu plus de temps fut consacré à décrire les lettres des premiers correspondants, car il parut souhaitable que le lecteur se familiarisât avec la forme que prenait cette correspondance de la fin du XVIIIe siècle, une présentation peu différente de celle en usage dans l’aristocratie française ou la haute bourgeoisie de la première moitié du XXe siècle. C’est dans ce chapitre que furent exposées les remarques et les hypothèses retenues lorsque furent rencontrées des lettres au contenu particulier qui laissait deviner des événements ou des situations exceptionnelles. Pour présenter ces lettres, il fut décidé de suivre l’ordre adopté par J.-J. Vernier et son équipe.
Correspondance du prince Frédéric-Christian-Auguste, électeur de Saxe (1763).Voir Fonds de Saxe
Aîné de la fratrie, le prince électeur de Saxe, Frédéric-Christian-Auguste, fils du roi de Pologne Auguste III, disparut le 12 décembre 1763, soit quelques semaines après son père décédé le 5 octobre209. Sa correspondance se situant hors de la sélection retenue, elle ne fit pas l’objet d’une étude statistique détaillée. Elle commença en 1756. Les archives ont conservé cent une lettres contenues en une seule liasse cotée E*1486 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1486. Vingt-sept de ces lettres sont citées dans l’Inventaire de J. J. Vernier. Le prince Frédéric-Christian adressait souvent plusieurs lettres par mois à son frère, les réponses du prince Xavier étaient moins fréquentes, généralement mensuelles et presque toujours écrites dans les derniers jours du mois210.
L’adresse écrite sur le verso de la feuille, pliée pour former enveloppe, était toujours identique :
« À Monsieur
Monsieur le Prince Xavier
Mon très cher frère211 ».
L’en-tête était toujours la même : « Monsieur et très cher frère ». Toutes les lettres se terminaient par des formules extrêmement affectueuses. Deux furent transcrites en respectant scrupuleusement la présentation et l’orthographe212 :
« […] et n’oubliez jamais un frère qui vous prouvera combien il vous aime sincèrement à toutes les occasions qui pourront se présenter. Je finis en vous embrassant tendrement et suis,
Monsieur et très cher frère,
Dresde,
Votre très affectionné frère

le 5 novbre 1756 »
« […] Je vous embrasse de tout mon cœur et suis à jamais, avec la plus sincère tendresse,
À Nimphenbourg213,
Votre très affectionné frère

ce 9 août 1760. »
Fridéric.
Toutes les lettres furent rédigées en français de la même main qui compte tenu du handicap physique du prince pourrait être celle d’un ou plusieurs secrétaires. Il ne fut relevé aucune construction grammaticale anormale, encore moins germanisante. Le papier utilisé était filigrané : un homme et femme, en costume d’époque. Les feuilles mesuraient trente-cinq par vingt cinq centimètres et étaient utilisées pliées par la moitié, écrites recto verso. Périodiquement quelques-unes furent rédigées sur papier bordé d’une bande noir lorsque le prince était touché par la disparition d’un proche. Ce fut le cas en décembre 1756, lors du décès de sa belle-mère, l’impératrice Marie-Amélie d’Autriche, épouse de l’empereur Charles VII. Le bord supérieur de certaines lettres fut coupé (bande de cinq millimètres sur toute la largeur de la lettre) par, semble-t-il, le destinataire, sans que l’on puisse trouver une explication. À compter du printemps 1758, la plupart des lettres portaient inscrits en haut à gauche, un numéro d’ordre, la date de réception et la date de réponse214. Certaines (une lettre sur quatre) contenaient des paragraphes écrits à l’encre sympathique215 qui avec le temps se sont partiellement effacés et ne sont plus toujours compréhensibles. Dans ce cas, les lettres n’avaient ni en-tête, ni signature. Les paragraphes non confidentiels étaient rédigés par une main différente et étaient d’une grande banalité. L’un de ces paragraphes confidentiels est resté lisible ; on peut y lire écrit de la main du prince électeur216 :
« Vous me ferès plaisir, mon très cher frère de donner les nouvelles que vous sauvès et de vous servir, à cette fin de l’ancre blanche. Ecrivès nous aussi souvent que vous voudrès mais pour que vos lettres m’arrivent sûrement, adressès les à Munich [… le reste de la lettre n’est plus compréhensible] ».
À plusieurs occasions, des minutes des réponses du prince Xavier furent retrouvées entre certaines lettres reçues217. Elles étaient écrites sur un papier filigrané de format différent : feuilles de trente-six par vingt-trois centimètres, utilisées pliées en deux, recto verso. Leur calligraphie avait été extrêmement soignée ; comme pour toutes les minutes, il fut conclu qu’elles avaient été écrites par un secrétaire. Par contre, on nota dans les états récapitulatifs des minutes, que les lettres adressées à sa famille ou à de grands personnages : le roi Louis XV, le Dauphin, la famille impériale, étaient mentionnées « manuscrites » par différence avec la mention « signées » pour la plupart des autres lettres. Dans le cas présent, ces minutes furent adressées « Au P.ce Electoral. » et ne comportaient pas de signature.
Toutes les lettres du prince électeur qui furent citées dans l’Inventaire de J. J. Vernier, étaient directement liées aux opérations militaires de la guerre de Sept ans : mouvements de troupes alliées ou ennemies, succès ou défaites encourues. Sept événements non militaires y apparurent sans pour cela être nécessairement le sujet unique ni même principal : la mort de l’impératrice sa belle mère (lettre du 20 décembre 1756), deux recommandations pour des gentilshommes à des postes militaires ( 28 avril et 4 juillet 1758), la grossesse de la princesse électorale (13 octobre 1758), le décès de la duchesse de Courlande, belle-mère de leur jeune frère Charles (1er février 1760), l’espoir d’une guérison du duc de Bourgogne, fils de la Dauphine (12 avril 1760), la mort du cardinal de Bavière, ouvrant un établissement pour leur frère Clément (28 février 1763).
Dans les vingt-sept lettres de l’Inventaire, aucun sujet politique ne fut abordé, aucun personnage allié militaire ou civil ne fut critiqué dans ses décisions. Aucun événement mondain autre que les sept mentionnés plus haut, ne fut abordé. Trois lettres sur les vingt-sept218, traitèrent de recommandations ou de recherches d’établissement pour un membre ou pour un gentilhomme proche de cette fratrie.
Restait la correspondance de guerre de ces deux princes. Malgré son volume limité (une centaine de lettres et leurs réponses) elle pourrait être une source historique nouvelle donnant accès à des informations politiques et stratégiques intéressantes, voire originales, que le prince électoral, par la position centrale qu’il occupait, aurait pu rassembler.
Marivaudage ou liaison amoureuse entre Xavier de Saxe et sa belle-soeur Marie Antoinette de Bavière ?Voir Fonds de Saxe
Les lettres de Marie-Antoinette de Bavière219Voir Fonds de Saxe, liasse E*1487, épouse du prince Frédéric Christian-Auguste, l’électeur de Saxe, étaient contenues en une seule liasse cotée E*1487 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1487. Cette correspondance fut étudiée dans le but de prolonger celle du prince électeur après sa disparition. Elle comportait sept lettres dont quatre firent l’objet d’un commentaire dans l’Inventaire de J.-J. Vernier et donc, de l’analyse statistique. À l’exclusion d’une lettre de félicitations pour la prise de Cassel par le prince en 1760, elles traitèrent toutes, de l’obtention « d’une place de dame de clef » pour la comtesse Spinucci (datées de mai à novembre 1770).
Vérifiant dans les minutes du prince220Voir Fonds de Saxe, liasse E*1452, la nature du courrier rédigé en réponse, il fut découvert que, d’une part, les minutes de ces lettres bénéficiaient d’un classement particulier221, et qu’il existait d’autre part, une anomalie dans la fréquence de ce courrier. Que se passa-t-il entre le prince Xavier et sa belle-sœur à l’été 1763 ? Entre le 5 et le 27 juillet, le prince Xavier lui adressa neuf lettres lorsqu’il s’éloigna de Dresde pour accompagner le roi de Pologne, son père, et son frère aîné, aux eaux à Töplitz. Ces lettres étaient affectueuses, voire très tendres tout en conservant une grande décence dans leurs formes et dans les termes utilisés. L’idée d’une liaison amoureuse vint rapidement à l’esprit. Elle avait quarante et un ans. Elle était mariée à l’héritier de l’électorat de Saxe depuis seize ans. Elle lui avait donné sept enfants, tous espacés de deux ans ; la dernière fille, Marie-Anna, était née en février 1761 ; elle n’eut plus d’autre enfant. Elle avait perdu son troisième fils Joseph âgé de neuf ans, au début du printemps. Lui avait trente-trois ans. Il était au sommet de sa gloire, l’un des rares vainqueurs chez les alliés dans la guerre de Sept ans et candidat du roi de France pour le trône de Pologne si celui-ci devenait vacant. On lui connaissait des maîtresses pour cette période, mais étonnamment, toutes sa correspondance amoureuse s’arrêta durant cette année 1763 (elle reprit plus tard). La cour de Dresde passait pour très libre dans ses mœurs222 ; et dans d’autres cours d’Europe, un flirt ou une liaison amoureuse entre un prince et sa belle-sœur, voire sa fille, avaient été soupçonnés à plusieurs occasions. L’historien ne peut jamais sonder « les cœurs et les reins » des personnages qu’il étudie. Aussi pour permettre au lecteur de se faire une opinion, pour qu’il puisse trancher entre les différentes options : badinage mondain, flirt, ou liaison amoureuse, quelques extraits de ces lettres ont été joints ; la présentation et l’orthographe d’origine furent volontairement conservées.
5 juillet 1763 :
Lettre envoyée de Töplitz où le prince Xavier était arrivé la vieille :
« J’use de la permission que vous m’avès donnée de Vous écrire pour m’informer de votre chère santé […] je me bornerai de vous prier de me continuer toujours vos bontés que j’ose dire, je mérite un peu par le plus tendre et respectueux attachement avec lequel je ne cesserai d’être toute ma vie ».
7 juillet 1763 :
« Töplitz. […] Les marques de bonté que vous me témoignès par votre chère lettre du 5 d. c.223Voir Fonds de Saxe, liasse E*1487 m’ont comblé de joie, […]. La consolation de m’entretenir le plus souvent par écrit avec une personne que si je ne devois respecter, je m’émanciperai à dire que j’aime et embrasse avec toute la tendresse possible ».
13 juillet 1763 :
« Töplitz. […] je désirerai bien pouvoir rapprocher encore davantage le moment de Vous revoir, chère Sœur, et de vous assurer de bouche224 du plus tendre et respectueux attachement avec lequel je ne cesserai d’être toutte ma vie ».
14 juillet 1763 (un fac-similé de cette lettre est joint, page suivante) :
« Töplitz. Vous dire que je suis homme insupportable de vous importuner si souvent par mes lettres n’ayant à peine encore 24 heures que je vous ai écrit, j’avoue que c’est une indiscrétion de ma part, mais que vous devès attribuer qu’aux bontés dont Vous m’avès comblé, lesquelles m’étant toujours présentès, m’emporte à n’écouter que les mouvements de mon cœur qui ne souffre que trop déjà de se voir si longtemps éloigné de vous et ne serois–je pas répréhensible si je lassa partir d’ici Made de Lodron sans la charger de quelques lignes pour vous, chère sœur, et je suis trop intéressé de saisir avec empressement touttes les occasions qui se présentent pour laisser échapper une si belle de me rappeler dans votre cher souvenir et vous renouveller les assurances les plus tendres et les plus sincères de l’inviolable et respectueux attachement avec lequel je ne cesserai d’être tans que je vivrai. »
17 juillet 1763 :
« Töplitz. [… vous présentant mes con]gratulations sur l’anniversaire du jour où vous êtes venue dans le meilleur des Mondes possibles comme dit Maître Pangloss dans Candide225, […] la satisfaction de vous revoir et de vous renouveller de bouche que je cesserai plutôt de vivre que de vous respecter et aimer ».
Fac-similé de la lettre du prince Xavier du 14 juillet 1763, cote E*1452.
A cette lettre du 17 juillet 1763 (page 69), suivait une seconde lettre datée du même jour, plus officielle, puisqu’il s’agissait d’obtenir une affectation dans un régiment de cavalerie pour un officier blessé ne pouvant plus servir dans l’infanterie. La formule finale employée était très différente :
« Je suis avec le plus inviolable et respectueux Attachement. »
Trois autres lettres datées des 21, 23 et 27 juillet furent conservées. Avec amusement le lecteur pourra remarquer que la dernière commençait par cette formule :
« Quoique j’espère avoir le plaisir de vous revoir demain226, je ne puis cependant m’empêcher de vous écrire encore ces lignes pour profiter du départ du Cape Wintzingerode et ne laisser échapper aucune occasion de vous réitérer les assurances de mon plus tendre attachement pour vous, très chère sœur, qui ne finira qu’avec ma vie. […] je finis celle cy en vous embrassant, chère sœur, avec toutte la tendresse et respect possible ».
Il faut maintenant, dire un mot des réponses de la princesse. Trois lettres de cette période, datées des 5, 10, 21 juillet furent retrouvées. L’écriture de la princesse fut très difficile à déchiffrer. Les lettres furent partiellement détériorées par l’humidité et de larges passages sont devenus illisibles. On peut penser que le lecteur serait intéressé de se voir proposer quelques extraits de la lettre que la princesse lui écrivit le 5 juillet, le lendemain du départ du prince, c’est-à-dire, de leur séparation ; cette lettre fut écrite bien avant que l’électrice n’eût reçu la première lettre que le prince Xavier lui adressa depuis Töplitz :
« Mon très cher frère comme je suis privé du plaisir de vous voir je veux au moins avoir celuy de m’entretenir avec vous. J’espère que vous serès heureusement arrivé et vous assure que vous me manquès […] ».
La suite est partiellement illisible. On nota cependant les expressions suivantes qui pourraient confirmer l’hypothèse d’une liaison :
« [… ce] frère me manque cruellement et je ne puis m’habituer d’être sans vous […] que cette absence est une cruelle chose […] ».
Ce fut peut-être une belle aventure amoureuse pour ces deux adultes qui auraient retrouvé des émois d’adolescent. Une aventure qui ne dura que quelques mois. En effet, le Fonds de Saxe ne contient pas de lettres pour la période 23 juillet 1763 au 1er juillet 1769227. La princesse devint veuve cinq mois plus tard. Le prince Xavier fut désigné comme régent de la Saxe. Il décida d’associer sa belle-sœur à l’administration de l’Électorat. La liaison entre les deux corégents était elle terminée ? On peut le penser. En effet, au printemps 1764, le prince Xavier entreprit une démarche épistolière étonnante auprès de son frère cadet, le prince Albert qui résidait à Vienne ; une démarche qui pourrait ressembler à la manœuvre ultime mais ridicule d’un amant éconduit. Pour permettre au lecteur de se faire sa propre opinion, le document correspondant a été transcrit ci-dessous. Il ne comportait ni en-tête, ni adresse, ni date, ni signature, mais fut écrit de la main du prince Xavier :
« L’amitié que vous m’avès toujours témoigné et l’attachement que je vous connais pour notre chère Belle-sœur, m’engagent à vous prier de m’écrire dans votre privée228, soit en clair ou en encre blanche mais comme de vous-même et sans qu’il paroisse que je vous aie écrit « qu’on tenoit à Vienne des discours qui par l’attachement que vous aviès pour elle, vous faisoit bien de la peine et dont vous vouliès me prévenir pour chercher à les détruire quoique vous n’y ajoutiès pas foi, qu’on disoit que Fleming229 ‘‘ (que vous ne nominès pas Ourse) ’’ lui faisoit la cour, qu’elle le voioit avec plaisir, faisoit continuellement sa partie de jeu avec lui, lui parloit des yeux et gestes et qu’a touttes les parties de plaisir et autres, il en étoit toujours et assis auprès d’elle, que je sentirois aisément combien ces discours quoique peut être mal fondés faisoit du tort à l’Electrice et que je saurois les moiens propres de l’en prévenir pour son bien sans vous compromettre ». Vous sentirès par ce que je vous mande, les raisons qui m’ont engagé à vous prier de m’écrire en ces termes sans que j’ai besoin de vous l’expliquer Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489 »
En janvier 1765, soit un an plus tard, le prince Xavier tomba amoureux de l’une des filles d’honneur de la corégente, la comtesse Claire-Marie Spinucci, « une italienne d’une grande beauté230 ». Il semble, à la lecture de Casimir Stryienski231 que l’électrice favorisa cette idylle qui se termina par un mariage morganatique célébré le 9 mars 1765232.
Pour terminer ce voyage dans l’intimité de deux amoureux, mais surtout pour illustrer ce mémoire et pour donner un exemple de la présentation des lettres échangées, il a été joint la copie d’une lettre que le prince Xavier adressa à sa belle-sœur, dix ans plus tard pour lui présenter ses vœux de nouvel an. Le lecteur jugera que les formules de politesse étaient différentes.
La lecture de la correspondance de l’électrice apporta peu informations historiques nouvelles. Il fut amusant de découvrir ce marivaudage ou cette liaison amoureuse. Sous réserve qu’elle ait réellement existé, elle confirmerait que la liberté de mœurs qui existait dans une partie de la population aristocratique masculine, se retrouvait chez leurs équivalents féminins. Ne fallait-il pas être deux pour former un couple, qu’il fût légitime ou non ?
Copies de lettres du prince Xavier à sa belle-sœur.
Copie d'une lettre que le prince Xavier envoya à sa belle-soeur en décembre 1773, pour lui présenter ses voeux de nouvel an.
Correspondance de Charles de Saxe, duc de Courlande.Voir Fonds de Saxe
Les archives du prince Xavier contenaient trente-cinq lettres Voir Fonds de Saxe, liasse E*1488 de son frère Charles, duc de Courlande, deuxième cadet de la fratrie. Elles furent toutes écrites entre 1770 et 1790 et douze furent citées dans l’Inventaire de J.-J. Vernier et donc reprises dans le tableau d’analyse. Elles étaient signées « Charlot233 ». Leur fréquence et les réponses du prince Xavier furent généralement mensuelles. Les douze lettres étudiées traitèrent des sujets principaux suivants :
Dans cette correspondance, seize mots-clefs furent identifiés représentant trente-trois occurrences234. Leur analyse n’apporta pas de renseignements significatifs, les lettres se limitant à donner des nouvelles familiales ou à rapporter des événements de cour :
Mots-clefs apparaissant dans les lettres de Charle de Saxe.
La lecture des lettres laissa cependant apparaître quelques éléments intéressants d’inégale importance. C’est ainsi qu’en janvier 1770, le prince Charles de Saxe effectuant un voyage en France, fut reçu à Marly ; c’est l’indication que trois ans après le décès de la Dauphine, la maison de Saxe avait toujours ses entrées à la cour de France et appartenait au cercle des intimes du roi. Autre événement remarquable, en janvier 1789 le décès du roi d’Espagne, Charles III235, entraîna à la cour de Vienne, l’interruption pendant quinze jours de toutes les fêtes et réjouissances du carnaval ; ainsi, le descendant de celui qui avait « usurpé » aux Habsbourg, le trône d’Espagne, appartenait malgré tout à la grande famille des princes souverains et l’Autriche devait pleurer sa disparition. Dans cette famille de princes couronnés, la fratrie de Saxe avait sa place, que ce fût à Marly, à Vienne ou à Madrid.
Correspondance du prince Albert de Saxe, lieutenant-gouverneur de Hongrie, marié à la fille236 de l’empereur François Ier et de l’impératrice Marie-Thérèse.Voir Fonds de Saxe
La correspondance du prince Albert, duc de Teschen, comprenait cent quatre vingt dix-huit lettres reçues, contenues dans deux liasses cotées E*1489 et E*1490 Voir Fonds de Saxe, liasses E*1489 et E*1490. Quarante-quatre de ces lettres firent l’objet d’une analyse dans l’Inventaire de J.-J. Vernier, mais seulement deux entraient dans les limites temporelles retenues.
La fréquence d’envoi fut très variable, elle était d’une lettre par semaine pendant la guerre de Sept ans, mais fut beaucoup plus espacée dans les années soixante-dix et après237. L’en-tête et la formule finale furent toujours identiques :
« Monsieur et très cher frère »,
« Votre très humble et très affectionné serviteur et frère ».
Elles étaient signées « Albert ». Le papier était filigrané, un blason formé d’un olifant238 surmonté d’une couronne royale, le tout complété par l’inscription « C. & I. Honig ». Toutes les lettres furent écrites de la main du prince qui possédait une très belle écriture d’une grande régularité239. Les constructions de phrases et certains termes utilisés ont semblé très français et très contemporains ; il fut noté que le prince Albert (comme la Dauphine), à la différence de ses frères, utilisait le « z » dans la conjugaison des verbes à la seconde personne du pluriel. La présence d’accents et une ponctuation correcte firent penser que le prince avait reçu une excellente éducation. Les lettres furent toutes cachetées avant expédition par un sceau armorié de cire rouge (noire en période de deuil). Aucune ne fut numérotée, mais toutes portaient les indications des dates de réception et de réponse. Plusieurs lettres traitaient de questions confidentielles et furent écrites à l’encre sympathique.
Deux lettres seulement firent l’objet du traitement statistique. La première240Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489 annonçait la mort de l’impératrice Marie-Thérèse, survenue la veille ; la seconde 241Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489 était une réponse relative au mariage prochain d’Elisabeth de Saxe, fille du prince Xavier. Ces deux lettres n’apportèrent aucun élément remarquable à cette étude. Aussi, fut-il décidé de sortir de la sélection retenue et d’étudier les vingt-et-une lettres de la période 1770-1790. Là encore, il apparut que ces lettres contenaient principalement des témoignages d’amitié fraternelle, des nouvelles familiales, et des remerciements après des visites effectuées chez l’autre correspondant242. L’étude devenue qualitative, fut étendue à toute la correspondance que le prince Albert adressa à son frère Xavier entre 1760 et 1770, soit cent soixante-treize documents plus un cahier de vingt-trois feuillets243. Il y fut découvert quelques éléments méritant d’être notés : Dans les lettres écrites pendant la guerre de Sept ans (période 1760-1762), le prince Albert relata essentiellement les faits militaires de l’armée autrichienne avec la volonté d’informer son frère sur le déroulement des opérations. Dans près d’une lettre sur deux, il y fit des recommandations pour des officiers souhaitant être mutés et voulant rejoindre le corps saxon commandé par le prince Xavier. Il est apparu qu’il s’agissait toujours d’officiers subalternes connus des deux frères, les ayant déjà servis dans d’autres circonstances. C’était la confirmation de l’existence d’une clientèle244 autour de la famille de Saxe, clientèle qui bénéficiait du réseau de la fratrie, un réseau qui se dessine peu à peu.
Cette correspondance du prince Albert adressée à Xavier de Saxe, fit découvrir l’existence d’une grande complicité entre les deux frères245. Une complicité qui ne fut pas retrouvée chez le prince Charles, pourtant plus proche en âge, ni chez le prince Clément. Ainsi, pendant les années d’administration de l’électorat de Saxe, Albert résida hors de Dresde, principalement à Vienne. Il avait vingt-cinq ans, une vie sentimentale de jeune prince, et dans de nombreuses lettres à l’encre sympathique, il demanda à son frère Xavier, d’effectuer des démarches auprès d’une certaine personne ou de lui remettre des courriers, voire à une occasion, une somme d’argent importante246. Dans des circonstances identiques, la relation du prince Xavier avec sa belle-sœur, Albert rendit un service similaire en retour. Cette correspondance très libre, entre ces deux complices, fut souvent amusante ; ainsi, dans une lettre datée du 27 décembre 1764 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489, Albert annonçant le décès d’une dame de Vienne, ancienne maîtresse du prince Xavier, la recommanda aux prières de son frère dans ces termes :
« À propos d’une ancienne connaissance, ne manquez pas de dire un De profondis et Memento pour certaine dame dont la liaison intime vous fit si fort maudire les courses nocturnes qu[e] vous entreprîtes jadis à son honneur et gloire et qui (à ce que dit la médisance), par une suite de ces douceurs funeste que vous vous communiquâtes, alors, abandonna ce monde dont elle ne faisait plus l’ornement ».
Autre élément de cette correspondance méritant un commentaire : les deuils familiaux. Le décès d’Auguste III, leur père, entraîna un deuil ‘‘épistolier’’ de trois mois, à savoir, utilisation d’un papier à lettre bordé de noir et d’un sceau de cire noir. Par contre, la mort de leur frère aîné, l’électeur Frédéric-Christian, ne fit apparaître aucune marque extérieure sur les lettres du prince Albert. Il fut même remarquable que cette disparition ait été à peine marquée dans le contenu de la correspondance. Ainsi, dans une lettre du 24 décembre 1763247, le prince Albert renouvela ses marques de sympathie à celui qui est devenu l’aîné de la fratrie :
« Je vous écris, cher frère, que ce couple de lignes, vous sachant si occupé à présent, et pouvant assez imaginer vos douleurs, pour ne pas les augmenter par mes jérémiades. Le coup qui vient de nous frapper est d’ailleurs si terrible que tout ce que je pourrai vous dire là-dessus, ne pourroit exprimer ce que je ressens. […] »
Mais vingt jours plus tard, dans deux lettres datées des 15 et 16 janvier 1764, il ne fut plus question ni de la disparition ni de douleurs, mais, dit le prince :
« [des] occupations que j’ai depuis quelque tems ici, jointes aux divertissements du carnaval, me laissant peu de moments libres, je ne [peux] que vous écrire cher frère quelques lignes à la hâte pour vous assurer de ma tendre et constante amitié. […] » (Lettre du 15 janvier).
« Comme les divertissements du Carnaval, ne me laissent que très peu de tems pour écrire, je veux au moins mettre à profit les moments libres que je trouve à l’heure qu’il est pour vous griffonner à la hâte ce couple de lignes. Je vois par votre dernière, cher frère, que vous avez commencé votre carnaval à peu près de la même façon que nous. Je souhaite seulement que vous soyez toujours en état de le soutenir de même. […] » (Lettre du 16 janvier).
Cette lettre continua sur le même thème et sur le même ton pendant sept autres lignes. Un post-scriptum de quatorze lignes rappela un problème de paiement d’arrérages impayés, dans les termes suivants :
« [...] outre les anciens, il me reste encore [les] derniers mois de l’année 63 dont il ne m’a été rien payé comme à vous autre l’année passée. Je souhaiterois [qu’ils me soit payées] le plus tôt possible, d’autant plus que les noces du roi, m’engagent à de toutes sortes de dépenses extraordinaires. Vous me rendrez un grand service cher frère, en me les procurant, et j’en ai vrayment besoin. »
Dernière remarque sur ces deux lettres, aucune ne fut scellée d’un cachet noir, signe de deuil, mais du sceau rouge aux armes du prince.
Autre élément intéressant, le mariage et l’établissement du prince Albert. Dès 1763, la rumeur courut à la cour autrichienne sur un mariage à venir entre le prince Albert et l’archiduchesse Christine248Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489249. Deux ans plus tard, Albert demanda à son frère devenu l’aîné de la fratrie, de solliciter pour lui, la main de l’archiduchesse Marie250Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489251. Cela changea sa vie :
« […] S. M. l’Impératrice m’a fait entrer à présent dans une carrière […] ; et elle m’a mis à la tête du gouvernement du royaume [de Hongrie] dont la forme et les constitutions sont tout à fait différentes des autres états […] »252Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489.
Certaines lettres contenaient des passages à l’encre sympathique. Ce fut le cas à l’automne 1763, les deux frères échangèrent des informations relatives à succession à la couronne de Pologne. Il y fut mention de la venue à la cour de Vienne de personnages253 liés à cette succession, et qui souhaitaient rencontrer l’impératrice. Le prince Albert était lui aussi, très proche de Marie-Thérèse254, au point de recevoir ses confidences sur cette succession. Aussi, fut-il en mesure d’écrire au prince Xavier255Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489 :
« […]. Ce que vous me mandez touchant la Muiszech256 ne me surprend pas du tout, ayant appris ici des choses encore bien plus fortes sur le compte d’elle et de son mary. D’ailleurs les nouvelles que l’on [a] ici de Pologne ne sont pas aussi favorables, que l’on compte257 ici des choses [deux mots illisibles], à ce qu’il paroit que la cour de Prusse et de Russie sont décidés à s’opposer aux vues de l’électeur sur la couronne selon ce que l’impératrice elle-même m’a dit ».
Dans une autre lettre258Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489, le prince rapporte que l’impératrice lui aurait parlé des ambitions du duc de Courlande, leur frère Charles de Saxe, pour la couronne de Pologne, elle lui aurait commenté une « déclaration du roi de Prusse en faveur de l’électeur dans laquelle il disoit vouloir s’opposer au démembrement de la Pologne ». Suivent des commentaires que l’impératrice aurait fait sur « une déclaration de France […] disoit vouloir s’intéresser pour un de la famille de Saxe. Qu’au reste elle ne s’attendait à rien de bon de la Russie puisque Woronzow avait dit assez clairement que l’impératrice s’intéressoit apparemment pour les Czartoryski. […] . »
La correspondance du prince Albert contenait un cahier Voir Fonds de Saxe, liasse E*1490 de vingt-trois feuillets dans lequel était rassemblées les copies des lettres envoyées et reçues entre février et mai 1767, à l’occasion de la naissance du premier enfant du couple princier Albert de Saxe – archiduchesse Marie Christine. Leur lecture apporta des informations sur le protocole suivit dans une famille princière dans une telle occasion. Le prince Albert choisit son frère Xavier, le jeune électeur son neveu, l’empereur, l’impératrice et l’électrice de Saxe comme parrains et marraines du nouveau-né. Si la rédaction des demandes de parrainage fut particulièrement soignée dans leur présentation et dans le respect des titulatures, le texte lui-même surprit par son côté familier :
« Du Prince Albert à Monseigneur le Prince Administrateur. Du 13 février 1767. Permettès, mon cher frère que je prenne la liberté de m’adresser aujourd’hui à Vous […] Ma chère petite femme approchant peu à peu du temps où elle doit mettre bas le paquet que je me suis avisé de lui faire, je crois ne pouvoir mieux faire que de prier notre jeune Electeur de vouloir bien servir de parrain avec LL.MM. l’Empereur et l’Impératrice-Reine et Madame l’Electrice […]259 ».
Ces demandes de parrainage créèrent un incident entre les deux frères. Dans un premier temps, le prince Albert s’adressa dans deux lettres séparées à l’administrateur de l’électorat et au jeune électeur pour ne demander que le parrainage de son jeune neveu en tant que chef de famille. Le prince Xavier fit répondre par son ministre le comte de Flemming à l’aide de camp du prince Albert, le général Miltitz, que considérant le jeune âge de l’électeur, c’était lui en tant qu’administrateur de l’électorat et aîné de la fratrie, qui était le chef de famille et qui devait remplir ce rôle de parrain. Plusieurs lettres entre le ministre et l’aide de camp furent échangées260. Le prince Albert s’excusa et justifia son erreur par son ignorance du protocole tout en faisant des reproches à son frère pour avoir traité cette affaire par la voie ministérielle et non pas par une simple lettre à caractère familial. L’erreur fut réparée ; le jeune enfant eut deux parrains de la maison de Saxe au lieu d’un. Le prince administrateur et le jeune électeur furent représentés à la cérémonie de baptême, par l’archiduc Ferdinand, frère de l’empereur Joseph II. Cette demande de représentation fit l’objet de plusieurs lettres et réponses entre les princes et l’archiduc mais aussi, entre leurs ministres ou secrétaires. Là encore, ces lettres furent particulièrement soignées en ce qui concernait le respect des préséances.
Ce cahier contenait en annexe aux copies de lettres, un « extrait des exemples trouvés dans les livres de Titulatures, pour pouvoir régler celles dont on pourroit se servir, tant de la part de Monseigneur l’Électeur, que de celle de S. A. Royal Monseigneur l’Administrateur, dans les lettres à écrire de leur part à un Archiduc […]261 ». Un fac-similé et la transcription de ce document ont été joints au présent mémoire.
Extrait Voir Fonds de Saxe, Liasse E*1490 des exemples trouvés dans le livre des Titulatures.
Transcription de l’ « Extrait des exemples trouvés dans le livres des Titulatures ».
« Extraits des exemples trouvés dans le Livre de Titulatures pour pouvoir régler celles dont on pourrait se servir, tant de la part de Monseigneur l’Électeur, que de celle de S. A. Royale Monseigneur l’Administrateur dans les lettres à écrire de leur part à un Archiduc.
Le feu roi a lui-même donné au grand Duc de Russie : Kaiserliche Hoheit, et aux Princes de Prusse et de Suède : Koenigliche Hoheit, et le défunt Électeur n’a pas manqué de s’y conformer.
Il semble ainsi qu’il serait convenable, de donner aussi l’Altesse Royale à l’Archiduc Ferdinand dans l’attente qu’il rendra le même titre à S. A. Monsgr. l’Administrateur, et celui d’Altesse Royale à Monseigneur l’Électeur.
D’autant plus que dans la lettre de notification que nous venons de demander pour S. A. Royale Mgr l’Administrateur de la part du Grand Duc de Toscane, on a expressément prévenu Mr de Petzold que le titre d’Altesse Royale n’y soit pas oublié, ce que Monsieur le Baron de Binder a voulu insinuer en même temps.
On pourrait ainsi se servir de l’Étiquette qui suit :
La démarche de parrainage avait créé un incident entre les deux frères ; le prince Xavier insistant pour que son rang dans la fratrie et la préséance que cela impliquait, fussent respectés. « Le livre des Titulatures » participait à la même démarche. Il fallait utiliser le bon titre pour s’adresser à un autre prince avec un double objectif : lui reconnaître le rang qui était le sien, mais aussi faire en sorte qu’en retour, la bonne titulature fût employée : « Il serait convenable, de donner aussi l’Altesse Royale à l’Archiduc Ferdinand dans l’attente qu’il rendra le même titre à S. A. Monseigneur l’Administrateur [… ] », et d’ajouter : « on a expressément prévenu Mr de Petzold que le titre d’Altesse Royale n’y soit pas oublié […] ».
Il est possible de conclure que la correspondance du prince Albert apporta peu de données à l’analyse statistique. Par contre, l’étude qualitative de ses lettres permit de concevoir un début de réseau pour la fratrie de Saxe. Le prince Albert bien avant son mariage, eut accès à l’impératrice, il en devint, peut-être, un confident politique pour les affaires touchant l’Électorat et la Pologne. Il aida le prince Xavier dans sa tentative de conquête de la couronne de Pologne. Son mariage le fit entrer dans le cercle central de la famille des Habsbourg. Il lui ouvrit un établissement de premier ordre, la lieutenance du royaume de Hongrie. Cette présence au cœur de la maison d’Autriche, lui permettait d’assurer discrètement le rôle d’agent et de représentant de la fratrie. Il était déjà l’oncle du roi Louis XVI, par ce mariage il devint le beau-frère de la reine Marie-Antoinette. Les liens entre les maisons de Saxe et les Bourbons de France, créés par la présence de la Dauphine puis du prince Xavier, se resserraient262. Enfin, le baptême de sa première fille lui permit d’établir de nouvelles liaisons dans la famille impériale et préparer ainsi l’avenir de son enfant. D’autres lettres indiquèrent la présence en tant que dame de compagnie de leur sœur Cunégonde à la cour de Vienne ; une présence dont toute la fratrie ne pouvait espérer que des retombées favorables. Enfin, il fut indiqué ci-dessus que les liens amicaux existant entre les deux frères, leur permirent de résoudre des situations sentimentales délicates.
Correspondance du prince Clément de Saxe, archevêque-électeur de Trèves (1768).Voir Fonds de Saxe
Xavier de Saxe conserva dans ses archives quatre cent soixante dix-huit lettres reçues de son frère Clément, lieutenant-général pendant la campagne de 1760 sous les ordres du maréchal comte Daun, devenu après 1768, archevêque-électeur de Trèves. Ces lettres écrites entre 1760 et 1790 furent conservées dans quatre liasses cotées E*1491 à E*1494 Voir fonds de Saxe, liasses E*1491 à E*1494. Pour la période de temps sélectionnée pour cette étude, cette correspondance se réduisit à deux liasses et à deux cent six lettres dont trente-six firent l’objet d’un commentaire dans l’Inventaire de J. J. Vernier.
La carrière du prince Clément se divisa entre trois grandes étapes : né en 1739, il fut officier général dans les armées autrichiennes à compter du 5 mars 1760. Le 28 avril 1761, il décida de devenir prêtre et fut ordonné en mai 1764. Nommé rapidement évêque de Freisingen et de Ratisbonne, puis coadjuteur d’Augsbourg (5 novembre 1764), il fut élu « unanimement263Voir Fonds de Saxe, liasse E*1492 » à l’Électorat de Trèves le 10 février 1768. Il occupa la charge jusqu’à sa « sécularisation » par le Consulat en 1802. Il mourut le 27 juillet 1812.
La fréquence de sa correspondance avec son frère Xavier était d’une lettre par mois. Les réponses d’abord bimensuelles pendant la guerre de Sept ans, devinrent ensuite mensuelles (toujours datées du dernier jour du mois). Les lettres étaient écrite sur des feuilles de vingt par trente centimètres, pliées en deux, à tranche dorée et filigranées : « C. & I. HONIG » avec pour blason un olifant non couronné.
Dans les années soixante, l’en-tête et la formule finale furent toujours identiques :
« Monsieur et très cher Frère »,
« Votre très affectionné serviteur et frère ».
Avec les années, cette formule changea et devint plus affectueuse. Elle resta la même pendant vingt ans :
« […] un frère qui vous aime et embrasse de tout son cœur ».
À partir du 10 août 1769, le prince Clément prenant exemple sur son frère Xavier, numérota ses lettres. Il cessa après quelques années. Jusqu’au 19 décembre 1770, les lettres furent signées « Clément ». Après cette date, la signature changea pour « CWenzel », c'est-à-dire, qu’il utilisa l’un de ses prénoms allemands : « Klemens Wenzel »264.
Une anomalie fut détectée en mars 1774 et continua pendant plus de dix ans ; Pour la première fois, il était fait mention de « sa femme » et à la formule finale vint s’ajouter la phrase « Ma femme vous embrasse …  » ; Plusieurs mois furent nécessaires pour trouver une explication265 quant à un éventuel mariage qui eut été incompatible avec l’ordination puis la consécration épiscopale du prince. En fait, il s’agissait d’une plaisanterie du prince Clément, sa sœur la princesse Cunégonde de Saxe venait régulièrement demeurer pour de longues périodes à la cour de l’archevêque électeur qui, semble-t-il, lui faisait tenir le rôle de maîtresse de maison.
Les archives des lettres du prince Clément contenaient un cahier de 16 feuillets Voir Fonds de Saxe, liasse E*1492 sur lequel furent recopier les lettres qu’il adressa tous les jours à son frère le prince Xavier ou à sa belle-soeur l’électrice de Saxe dans des circonstances dramatiques. Cette correspondance fut rédigée alors qu’il effectuait un séjour à Vienne entre le 20 juin et le 4 juillet 1767, elle décrivait les différentes phases de la maladie de leur frère le prince Albert qui avait contracté la variole266. L’évolution de la maladie y fut décrite jusqu’au jour où le prince Clément put annoncer :
« Enfin cher frère, je me trouve en état par la bonté infinie du TOUT PUISSANT de vous donner de bonnes nouvelles de notre cher frère qui n’a presque plus de fièvre, de sorte que nous le pouvons dire hors de danger de la cruelle maladie qu’il a soufferte. Il n’y a plus rien à appréhender […] ».
Dans les trente-six lettres qui furent sélectionnées pour leur appliquer le traitement statistique, dix-neuf mots-clefs furent identifiés représentant soixante et onze occurrences. Neuf de ces mots-clefs sont apparus trois fois où plus, et quatre totalisèrent 53 % des occurrences. Il s’agissait des mots : « Famille », « Mondanités », « Établissement » et « Clients » avec environ dix apparitions chacun soit 15% des occurrences. Le graphique joint indique la distribution en fréquence des mots-clefs identifiés.
Mots-clefs apparaissant dans les lettres de Clement de Saxe
Dix mots-clefs furent regroupés sous la rubrique « autres mots-clefs » avec une occurrence totale de quinze. Il s’agissait de : « Éducation », « Enfants », « Finance », « Tourisme » et « Voyage » qui apparurent deux fois, et des mots « Armées », « Emprunt », « Fête », « Mariage » et « Voltaire » qui ne furent sélectionnés qu’une fois.
En conclusion, La correspondance du prince Clément pourrait se définir autour de trois grands thèmes : Pendant la guerre de Sept ans, il communiqua à son frère des nouvelles du front autrichien. À leur lecture il fut noté que, en complément aux informations purement militaires, la quasi-totalité des lettres contenait des demandes de mutation ou des recommandations pour des officiers de leur connaissance. Une fois de plus, le réseau des princes de Saxe était utilisé au bénéfice de leur clientèle. Dès son ordination et jusqu’aux années 80, le prince Clément fut à la recherche permanente de nouveaux établissements. Lui qui était devenu archevêque-électeur de Trèves, et qui avait obtenu la crosse ou était coadjuteur de plusieurs autres sièges épiscopaux, rechercha et demanda avec insistance l’intervention de son frère Xavier pour se voir choisir et élire à d’autres fonctions ecclésiastiques. Ce thème sera développé dans le chapitre VI, lors de l’analyse statistiquement les lettres par utilisation de mots-clefs.
Dans la dernière décennie de la période étudiée, le prince Clément se limita dans sa correspondance à donner des nouvelles familiales ou mondaines267. Lui qui avait souvent cherché les interventions de la fratrie à son bénéfice, se vit souvent solliciter en faveur de la clientèle de ses frères. À titre d’exemple et pour terminer ce sous-chapitre sur le prince Clément, il a été joint la transcription d’une lettre qu’il reçut du prince Xavier, sollicitant un établissement pour le comte Spinucci ; cette lettre a semblé très représentative de ce genre d’intervention : Un personnage était malade ; le poste qu’il occupait, convenait parfaitement à un client du cercle de la fratrie ; une intervention semblait possible ; Pourquoi attendre le décès de ce personnage pour assurer sa succession268 ?
« À l’Électeur de Trèves.
Pont ce 23 Nov. 1782.

Les bontés que vous avès toujours témoignées au Cte Thomas de Spinucci, votre chambellan, m’engagent à vous le recommander dans une occasion où vous pouvès les lui témoigner sans que cela ne vous coûte rien. Le Marquis d’Antici, ministre de l’électeur de Cologne à Rome y est très dangereusement malade, si vous daignés écrire un mot à l’électeur pour lui demander d’accorder cette place au Cte Spinucci à la mort de Mgs d’Antici, vous lui rendriès un très grand service, et je vous en aurai en mon particulier de l’obligation. Ma femme joint ses prières à moi pour vous recommander son frère dans cette occasion intéressante pour lui. »269Voir Fonds de Saxe, liasse E*1494.
La correspondance de Marie-Anne de Saxe, épouse de l’électeur de Bavière.Voir Fonds de Saxe
Marie-Anne de Saxe était la seconde fille d’Auguste III. Deux ans exactement la séparaient du prince Xavier dont elle était l’aînée. Le 13 juin 1746, elle épousa Maximilien III Joseph, électeur de Bavière. Celui-ci disparut sans laisser d’enfant en 1777. La princesse lui survécut pendant vingt ans avec le titre d’électrice douairière, l’électorat revint à Charles-Théodore, électeur palatin270.
Le prince Xavier conserva dans ses archives, mille treize lettres de sa sœur la princesse Marie-Anne auxquelles s’ajoutent huit lettres écrites par Maximilien III Joseph. Sept cent soixante-cinq lettres furent reçues pendant la période de temps sélectionnée pour l’étude, dont soixante-huit firent l’objet d’une analyse dans l’Inventaire de J.-J. Vernier et donc furent retenues pour le traitement statistique. La princesse écrivait très fréquemment à son frère, souvent plusieurs fois par semaine. Ainsi, le prince Xavier reçut neuf lettres de sa sœur en janvier 1772 et huit en février, soit cinquante-trois lettres pour l’année 1772 (année pour laquelle les archives ne contiennent aucune lettre pour la période juillet à décembre) ; l’année suivante, elle lui adressa quatre-vingt dix-neuf lettres, cent quatre en 1774 ; la correspondance ne devint plus espacée qu’à partir des années 1779.
La princesse signait ses lettres Marisia ou Maruscha271 et utilisait le diminutif Varerl (ou Vaser) pour désigner le prince. Les lettres furent numérotées ; la numérotation recommençant au 1er janvier de chaque année. Elles étaient écrites sur des feuilles de vingt-deux centimètres par dix-huit, pliées en deux. La tranche du papier était dorée ; le papier était filigrané « J. HONING & ZOONEN » associé au blason déjà rencontré : un olifant couronné. Il fallait entre dix et vingt jours pour que les lettres expédiées de Munich fussent reçues en France. Le prince Xavier répondait habituellement, les 15 et 31 de chaque mois.
Les lettres étaient adressées au « Prince Xavier, Mon très cher Frère ». L’en-tête et la formule finale furent identiques ou toujours très voisins pendant de nombreuses années : « Mon très cher Varerl », « Je vous prie d’aimer toujours celle qui vous aime et embrasse de tout son cœur, Votre très fidèle Marisia ». Le 1er juillet 1769, apparut pour la première fois après la signature, la formule : « compliments à la chère Chiaretta », une formule qui fut présente très souvent après cette date.
Au début des années soixante, les princesses de Saxe, c'est-à-dire, Christine, Elisabeth et Cunégonde, se réfugièrent à la cour de Bavière avec leur frère année, au grand plaisir de Marie-Anne de Saxe. Malgré ses trente-deux ans et ses quatorze années de mariage, la princesse laissa apparaître dans son courrier, le plaisir qu’elle avait de se retrouver avec ses sœurs. Les plaisanteries furent nombreuses dans les lettres. Certains personnages de la cour reçurent des surnoms qu’il ne fut pas possible de décrypter ; ainsi, il fut question de « Charbon » une jeune fille amoureuse de « Feu » un officier servant au front ; « Caffé au lait » autre jeune femme, fut l’objet des facéties des princesses. Une phrase extraite d’une lettre du 28 mai 1760 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1495 illustra parfaitement le ton de la correspondance de cette période, il s’agissait de commenter la mort et les obsèques du général Maindress : « Notre douleur sur cette perte est aisée à comprendre ; comme on n’a pas pu trouver d’oignon, mes larmes n’ont pu couler ».
Des soixante-six lettres analysées statistiquement, vingt-neuf mots-clefs différents furent identifiés totalisant cent soixante-quatorze apparitions ; environ un tiers de ces mots représentant 80 % des occurrences. Le graphique et le tableau ci-dessous indiquent leur distribution et leur fréquence. Il apparut que les cinq mots-clefs les plus rencontrés furent dans l’ordre de leur fréquence : « Mondanités » trente fois, « Famille » vingt-deux fois, « Réseaux » vingt et une fois, « Etablissement »treize fois et « Armées » douze fois. Les mots-clefs furent regroupés en trois grands thèmes, le premier : « Réseaux » avec lequel furent associés « Etablissement », « Armées », « Successions », « Décès », Voyage272 » et « Politique » représenta 40 % des occurrences ; Le second thème, celui de la vie de cour, à savoir, « Mondanités », « Fêtes », « Loisirs », « Opéra », « Théâtre », « Chasse », mais aussi « Ragots », « Incendie » et « Catastrophes », totalisa 33 % des identification. Enfin le dernier, celui des nouvelles familiales pures, c’est-à-dire, le mot-clef « Famille » associé à « Enfants » et « Santé » ne représenta que 16 % des apparitions.
Correspondance de Marie-Anne de Saxe. Distribution des mots-cleds.
Distribution des 19 « autres » mots-clefs représentant 40 occurrences.
Catastrophe 4 Loisirs 4 Santé 4
Enfants 3 Finance 3 Incendies 3
Opéra 3 Chasse 2 Politique 2
Ragots 2 Théâtre 2 Six autres 6
Pour conclure sur la correspondance de cette princesse, il est possible d’avancer que près de la moitié de ses lettres impliquait soit le réseau de la fratrie, soit faisait référence à la vie de cour et à la vie familiale. Dans le chapitre suivant qui traite de l’analyse statistique de la correspondance dans sa globalité, les lettres de la princesse Marie-Anne servirent souvent pour illustrer les conclusions tirées de cette analyse.
En complément à la correspondance de Marie-Anne de Saxe, l’étude fut étendue aux lettres adressées par son époux Maximilien-Joseph, électeur de Bavière. Les archives contiennent huit documents273Voir Fonds de Saxe, liasse E*1506; ils furent écrits entre 1761 et 1776, et trois de ces documents étaient des minutes de lettres du prince Xavier. Il y fut question d’une demande d’autorisation d’achat de chevaux dans l’électorat de Bavière destinés à la remonte du régiment de cavalerie du corps Saxon (1761), des condoléances ou réponses de sympathie après le décès du prince Frédéric-Christian-Auguste, électeur de Saxe (1763) et celui de la sœur de l’électeur de Bavière, de remerciements relatifs aux interventions de l’électeur en faveur du prince Clément de Saxe pour sa nomination à la fonction de coadjuteur d’Augsbourg, et enfin d’une réponse de l’électeur assurant le prince Xavier, de l’intérêt qu’il portait au comte Spinucci qu’il lui avait recommandé pour un poste devenu vacant. Deux de ces documents entraient dans la sélection temporelle retenue et furent inclus dans les lettres faisant l’objet de l’étude statistique.
Correspondance de Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France.Voir Fonds de Saxe
Lorsqu’en 1746, Il fallut trouver une épouse au Dauphin devenu veuf sans héritier mâle, trois maisons pouvaient offrir une fiancée. La Saxe l’emporta ; elle possédait deux avantages sur les familles concurrentes : un représentant très en cour à Versailles en la personne de Maurice de Saxe, et un sang réputé vigoureux et fécond. La princesse Marie-Josèphe de Saxe fut retenue, elle avait quinze ans, elle était moyennement belle, mais avait la taille bien faite, une bonne éducation et parlait cinq langues. L’avenir prouva qu’elle était intelligente, qu’elle su faire oublier à la reine qu’elle était la fille de ‘’l’usurpateur’’ du trône de Pologne, qu’elle su se faire apprécier du roi Louis XV274, qu’elle su remplacer dans le cœur du Dauphin son premier amour Thérèse d’Espagne et finalement, elle donna trois rois au trône de France275. Elle ne fut jamais reine, demeura « la Dauphine » pendant vingt ans et décéda d’une longue infection pulmonaire, le 13 mai 1767.
« Madame la Dauphine n’aime réellement que le prince Xavier276 »écrivait le roi Louis XV à son ambassadeur à Varsovie en 1758, aussi n’est-il pas surprenant que les archives du Fonds de Saxe contiennent trois cent cinq lettres que Pépa277 adressa à son frère entre le 5 mai 1756 (première lettre conservée) et le 13 mai 1767 (date de son décès).
Dans son Inventaire, J.-J. Vernier indiqua que cette correspondance était constituée de « lettres ou billets autographes, dont une seule est signée, la presque totalité [est] sans date et sans souscription, [elles] sont adressés au général de Fontenay, ambassadeur de Pologne à la cour de France278. » La présente étude conduisit à confirmer et à compléter cette remarque. En effet, seules quelques lettres furent datées et signées. De nombreuses pièces se limitèrent à quatre ou cinq lignes sur un billet manuscrit sans en-tête, ni formule de salutation ou signature. Très vite, une étude attentive des liasses fit soupçonner l’existence d’une anomalie dans l’archivage de ces lettres. En effet, aucune ne portait d’indication de date de réception ou de réponse, ni de numéro chronologique ; une caractéristique unique dans les archives du prince Xavier. De plus, il existait un manque de cohérence dans le contenu des documents conservés ; en effet, il était difficile de croire que la même personne eût rédigé de longues lettres traitant de questions politiques et que, quelques jours plus tard, elle pût adresser un court billet de quelques mots sans véritable intérêt. Enfin, il fut découvert que l’ordre chronologique des documents avait été bouleversé, autre fait unique dans les archives du Fonds de Saxe ; ainsi une lettre datée du 8 décembre 1763 était localisée quelques pièces avant deux autres lettres datées des 1er février et 15 juillet 1758. Autre exemple, la prise de Schweidnitz du 19 novembre 1757, apparaît dans deux correspondances279Voir Fonds de Saxe, liasses E*1507 et E*1508 de la Dauphine séparées par une centaine de lettres, dont une mentionnant la Tsarine et le départ de Moscou de Monsieur de Poniatowski, qui fut probablement écrite à l’automne 1763. Enfin dans les dernières pièces archivées, supposées avoir été écrites dans les années 1766-1767, il a été trouvé une lettre datée de l’année 1758.
Toutes ces anomalies trouvèrent un début d’explication lorsque qu’il fut envisagé que certaines lettres ou parties de lettre auraient pu être éliminées des archives. Ceci fut confirmé quand deux ‘’minutes’’ furent retrouvées entre les lettres reçues de la Dauphine, des minutes qui étaient les copies des réponses écrites par le prince Xavier. Elles étaient datées de Frankfort, les 25 et 26 novembre 1762. Il y était par deux fois, fait référence aux « deux lettres [de la Dauphine] du 14 et 19 d.c. [courant], N° 40 et 41 », alors qu’aucune lettre « numérotée280 » ne fut retrouvée dans les archives. Ces deux minutes traitaient pourtant d’une question importante : le rattachement envisagé du corps saxon à l’armée autrichienne281, qui eut justifié un soin particulier dans leur archivage. Cette hypothèse de la destruction ou élimination d’une partie des archives, permit d’avancer l’idée que les messages manuscrits sans en-tête ni signature, auraient pu accompagner des lettres écrites à « l’encre blanche » comme cela fut souvent le cas pour d’autres correspondants. On eut la confirmation de l’utilisation de cette « encre blanche » entre le prince Xavier et la Dauphine, lorsque fut examinée la première des deux minutes citées ci-dessus. En effet, après une formule de salutation finale :
« Je vous prie, de mes plus tendres respects M. le Dauphin et Torche282, et faite[s] mes compliments les plus tendres à Christine283 n’ayant pas le tem[p]s de lui écrire. »
et un post-scriptum relatif à la réception de deux lettres, le document se termina par :
« En encre blanche. J’ai relu votre lettre du 6, très chère sœur, et je ne puis encore concevoir par quelle raison le Duc284 veut me priver du bonheur de vous voir, et de la permission d’aller à Versailles ; je ne puis croire que ce soit par esprit ou air d’épargne, puisque Christine y étant, la dépense pour moy n’est rien, et que je l’aurois encore diminuée volontiers en y venant avec le moins de monde ; la considération que le corps pourroit s’offrir, ne peut pas être la véritable raison, puisque les premiers arrangements une fois faits, je ne puis lui être vraiment utile qu’en travaillant pour les intérêts à Versailles : Il seroit affreux que ce fut pour me priver des occasions de solliciter en sa faveur qu’on m’interdit un voyage duquel je me suis fait tant de fête, et dont je souffrirois tant d’être privé, le vicomte285 nourrit toujours mon espoir, et me flatte que je finirai par y aller, si luy même y va, mais si par hazard de Duc ne me permet pas de l’y envoyer, alors, je ne pourrois m’empêcher de regarder comme une mauvaise volonté marquée, un refus, qui m’écarteroit, et écarteroit, l’homme dans lequel j’ai mis ma confiance, d’être à portée de veiller à mes intérêts. »286Voir Fonds de Saxe, liasse E*1507
Cette hypothèse que des lettres traitant de questions sensibles auraient pu être éliminées ou auraient fait l’objet d’un archivage spécial, reçut un nouveau début de confirmation lorsque fut trouvée la lettre que la Dauphine adressa au prince Xavier quelque temps avant l’un de ses accouchements Voir Fonds de Saxe, liasse E*1507 :
« La peur d’accoucher d’un moment à l’autre fait que je vous renvoie vos lettres, ne voulant pas les laisser dans ma poche, à la discrétion de tout le monde ».
Enfin, la lecture attentive des courts messages, fit apparaître que si certains s’adressaient à un prince Xavier qui se trouvait présent à Versailles ou à Compiègne, et à qui on faisait passer une information ou une instruction du genre « Pouvez vous venir cette après-midi à Compiègne », des messages qui ne nécessitaient ni date ni signature ; d’autres accompagnaient des documents, voir des « paquets » que, semble-t-il, la Dauphine faisait passer à son frère par le courrier diplomatique, généralement celui du duc de Choiseul, pour être distribués à d’autres correspondants.
Dernière explication possible quant à une « élimination » de certaines lettres, la prise en compte de la position de la Dauphine, elle était la future reine de France, quel qu’ait pu être son engagement en faveur de sa nouvelle patrie, elle resta toujours attaché à la maison de Saxe. Ainsi dans une de ses lettres, elle rappela sa double allégeance : « Je suis également bonne française et bonne saxonne ». Pouvait-elle laisser traîner des documents qui eussent marqué de trop grands engagements en faveur de sa patrie d’origine, surtout si de tels engagements différaient, voire s’opposaient, à ceux qu’auraient pris les ministres français ? Et cela ne pourrait-il pas expliquer l’absence de date et de signature et l’utilisation d’un moyen d’acheminement particulier, l’ambassadeur du roi de Pologne à Paris ? Ceci fut confirmé lorsque fut trouvé le message suivant Voir Fonds de Saxe, liasse E*1509 qu’elle adressa à son frère et qui est transcrit à l’identique et dans sa totalité (un fac-similé de ce message est donné en illustration à la page suivante) :
« Écrivez à Martange que ce qu’il m’écrira ne soit pas en forme de lettre, c’est dire, qu’il n’y ai point de Madame en haut et dans la lettre, ni de très humble serviteur, ni de signature mais que ce soit simplement comme un récit qui n’est adressé à personne. Le journal que vous avez commencé est très bien et je vous serai très obligée de les faire continués. [Sans signature, ni date, ni en-tête] ».
« Bonne française et bonne saxonne », elle le fut. Plus que celles d’aucun autre membre de la fratrie, y compris ses frères engagés dans des fonctions militaires ou politiques, ses lettres traitèrent ou firent référence à des sujets politiques. À leur lecture, il fut possible de deviner que la Dauphine agissait comme un véritable agent de l’électorat de Saxe à la cour de Versailles. Son action ne se limitait pas à des opérations d’intervention ou de pression qui auraient visé le souverain et ses ministres, mais, il semblerait qu’elle participa par l’intermédiaire de sa fratrie, à une diplomatie secrète comme pourraient l’indiquer plusieurs documents au contenu mystérieux. Ce fut le cas de ce message de trois lignes archivé dans la liasse E*1508 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1508 :
« La lettre au Roy où il y [a] une petite croix en haut celle du Duc de Courlande287 et celle de Me de Brühl288 sont pour le Comte de Brühl289290. »
Autre exemple, d’une intervention active de la Dauphine sous la forme d’un message de deux lignes291Voir Fonds de Saxe, liasse E*1508 :
« Mon père292 ayant écrit au Comte de Broglie293, je ne vois nulle difficulté qu’il luy réponde mais je crois qu’il doit envoyer sa lettre au Comte de Choiseul294 pour la faire passer à Varsovie. »
Fac-similé d’un message Voir Fonds de Saxe, liasse E*1509 de la Dauphine adressé à son frère Xavier.
Transcription :
« Écrivez à Martange que ce qu’il m’écrira ne soit pas en forme de lettre, c’est-dire, qu’il n’y ai point de Madame en haut et dans la lettre, ni de très humble serviteur, ni de signature mais que ce soit simplement comme un récit qui n’est adressé à personne. Le journal que vous avez commencé est très bien et je vous serai très obligée de les faire continués. [Sans signature, ni date, ni en-tête] ».
Dernière illustration de l’implication politique de la Dauphine, un extrait de l’une des minutes du prince Xavier dont il fut déjà question ci-dessus :
« À la Dauphine. N° 27.
Francforth ce 25 nov. 1762.

« Il eut peut être été mieux, très chère sœur, qu’on eut daigné me faire entrer pour quelque chose dans le projet de cession du corps saxon, dont Mrs les comtes de Brühl et de Fleming m’instruisent par les deux lettres que je viens de recevoir, et dont je vous envoye les extraits : Comme j’écris en conséquence au Comte, et que ma lettre vous sera communiquée je prend le parti de m’y référer, pour que vous voyiès et jugiès les observations que je fais sur un plan dont les suittes me paroissent très dangereuses pour l’avenir, et dont l’espèce d’utilité présente est également sujette à beaucoup d’inconvénients ; L’éloignement où sera le corps saxon de ses ressources et de la Saxe, en les distribuant dans les places prussiennes de Westphalie, est un mal nécessaire sans doutte, puisque je pense comme le Duc de Choiseul, qu’il seroit dangereux de le porter en Saxe, tant qu’elle ne seroit pas évacuée, qu’il seroit avilissant de le réunir à l’armée de l’Empire, et que de le disperser dans les places de Bohème et de Moravie, seroit encore plus désagréable que d’être placé en garnison du pays prussien sur le Bas-Rhin. Ce n’est donc pas contre la destination que je voudrois pouvoir m’élever, mais contre cette destination en tant que nous y serions aux ordres, à la solde et au service de l’Autriche, puisque cela me paroit devoir nous éloigner de tout ce que nous avons espéré depuis si longtems, et de ce que M. le Duc de Choiseul, vous a fait espérer en dernier lieu à vous-même ainsi que vous me l’avès marqué dans votre lettre du 6, car une fois remis à l’Autriche, il n’y aura plus raison, pour que la France, à la paix, nous donne un subside [suivent quatre pages]. Voilà, très chère sœur, ce que je vous prie de faire entendre comme de vous au Duc, en essayant par amitié pour moi de tirer parole de lui » […].
Dans une lettre datée : « Ce 30. [ ?] » et marquée d’une croix dans la partie supérieure, la dauphine répond :
« [Sans en-tête] Je n’ai encore fait aucune démarche auprès du Duc de Choiseul pour parer la menace qu’il m’a fait au sujet du corps saxon parce qu’auparavant il faut voir si cette paix de Varsovie se fera et comment car tant que les Saxons resteront à l’armée il n’y a rien à craindre. C’est lui qui m’a appris le mémoire de Mr Saul [ ?] mais il m’a seulement dit qu’on y demandoit à l’Angleterre des subsides à la paix à quoy il [a] ajouté qu’on aimoit mieux ceux d’Angleterre que ceux de la France. [… sans formule finale ni signature] ».
D’autres exemples de l’implication politique de la Dauphine furent nombreux et fréquents. Il en sera donné encore quelques-uns ci-dessous :
Sans date Voir Fonds de Saxe, liasse E*1507, sur un bruit de mariage de la princesse Victoire, fille du roi :
« Il ne m’importe pas que les autres ministres aient mandé à leur cour le mariage prétendu de Victoire. […] quoique vous m’affirmiez par cette belle nouvelle […] la petite histoire du dégoût de Victoire pour la personne de S.M.C.295 […] et je doute fort que le comte de Choiseul296 l’approuve ».
Sans date Voir Fonds de Saxe, liasse E*1507, elle apprend à son frère la prise de Schweidnitz par le général Laudon :
« […] Mr de Paulmy297 m’a fait dire que la manière dont Martange s‘était conduit et la gloire qu’il s’était acquise faisait exception […] et qu’il comptait demander la croix de S. Louis pour lui. […] ».
Sans date Voir Fonds de Saxe, liasse E*1507, au sujet de la Saxe envahie par Frédéric II :
« […] de savoir ma pauvre famille hors des griffes du vautour qui nous dévore serait assurément une grande consolation pour moi. Mais j’en doute et je tremble des premières nouvelles que nous aurons de ce malheureux pays. […] ».
Sans date Voir Fonds de Saxe, liasse E*1507 :
« Mon père298 me paraît fort content de la nomination de M. de Paulmy. Vous pouvez le dire à votre dîner de demain […] ».
Sans date Voir Fonds de Saxe, liasse E*1507 :
« Je souhaite que le prince Charles299 se conforme aux ordres qui lui ont été donnés de suivre les avis du maréchal Daun300. Mais malgré cela, je suis fâchée que celui-ci n’ait pas le commandement en chef, car je crains les jalousies ordinaires entre deux chefs. Je voudrais que les paysans vengeassent bien sur le roi de Prusse les horreurs qu’il vient de faire en sortant de Bohême […] ».
Enfin, dernière lettre Voir Fonds de Saxe, liasse E*1509 dont il est intéressant de donner la transcription complète : Sans date, ni signature, ni en-tête.
« Accablée de chaud, de fatigue et d’incom[m]odités, je n’ai que la force de vous dire que j’ai lu tous vos paquets, que ce n’est pas de moy que vous apprendrez ce que le Cte de Broglie fait dire au Cte de Brühl, que je trouve les réflexions du Cte de Fleming301 à un ami très justes et très bonnes, que je voudrai[s] que le P. Charles302 eût un ami qui luy en fit faire de pareilles, que je crains les sottises de ce dernier qui gâtera tout ce que Mal de Daun a fait, que je crains beaucoup que le changement des Maréchaux d’E[s]trées303 et de Richelieu304 ne retarde horriblement les secours des François que je me flattois de voir bientôt en Saxe, que les lettres que j’ai reçu[es] m’ont fait grand plaisir, que je vous prie de m’avertir 2 ou 3 jour avant que vous renvoyez un des courriers et si vous le renvoyez avant que d’avoir présenté le mémoire à l’abbé de Bernis305 et avoir reçu réponse. Je suis fort contente du héros des petites [mot illisible : marisas ?] Mr de Cartellanitz fait très bien ses commissions mais il écrit bien mal, j’ai pensée prendre des lunettes pour lire sa lettre. La lettre que j’ai reçu[e] du Cte de Brühl me fait beaucoup d’honneur mais elle m’embarrasse pour la réponse, je vous la montrerai quand vous viendrez. »
Pour conclure ce survol des lettres de la Dauphine, il doit être noté que cette correspondance fut écrite en dehors de la période de temps retenue pour l’étude principale et donc ne fit pas l’objet d’une analyse statistique. On peut le regretter ; la distribution des thèmes traités eut été différente de celle des lettres des autres membres de la fratrie. Ainsi et contrairement à ses frères et sœurs, les fêtes, les ragots de cour, les nouvelles familiales et les autres sujets légers ou mondains étaient totalement absents de ses lettres, et des mots comme « carnaval », « bals », « recommandation » n’y furent jamais employés. En contre partie, il est apparu que les mots les plus fréquemment présents, étaient : « Duc de Choiseul », « Cte de Broglie » « Cte de Brühl », « Cte de Fleming », « R. de Prusse » et « le Vicomte306 ». Dans cette période de guerre européenne que fut la guerre de Sept ans, guerre pendant laquelle sa « patrie307 » d’origine servait de champs de bataille, la Dauphine s’impliqua dans les questions politiques et militaires au point de faire penser qu’elle fut pour la Saxe et la Pologne, un représentant actif à la cour de Versailles, voire un agent de pression. Il est possible de soupçonner que son engagement l’ait conduit à participer à une diplomatie directe et secrète entre le roi de France ou le duc de Choiseul et l’entité Saxe Pologne ; une diplomatie dans laquelle son frère Xavier aurait peut-être joué un rôle important.
L’impression finale laissée par ce ‘’survol’’ donne à penser que la correspondance de la Dauphine mériterait une nouvelle étude qui pourrait apporter un éclairage complémentaire à la biographie rédigée par Casimir Stryienski308 en 1901 ; c’est-à-dire à un moment où J.-J. Vernier et son équipe débutaient leurs travaux sur l’inventaire du Fonds de Saxe309. On peut penser que Stryienski qui cita rarement cette source, n’eut pas accès aux lettres de la Dauphine avec la facilité qui fut la notre310. Cette nouvelle étude pourrait se construire à partir des sources utilisées par Stryienski311 auxquelles seraient associées la correspondance contenue dans le Fonds de Saxe et les minutes des réponses que lui fit le prince Xavier, minutes qui seraient à localiser et à rapprocher des lettres auxquelles elles se référaient.
Correspondance du dauphin Louis de France, de Madame Adélaïde et de ses sœurs.Voir Fonds de Saxe
Les archives du Fonds de Saxe contenaient quatre lettres Voir Fonds de Saxe, liasse E*1510 du Dauphin. La première en date du 13 septembre 1759, annonça au prince Xavier que le maréchal de Belle-Isle avait décider d’envoyer le corps de Saxe combattre dans son pays d’origine. Une autre lettre exposait la nécessité de faire sortir de Dresde occupée par les Prussiens de Frédéric II, Marie-Antoinette de Bavière, l’électrice de Saxe. Les autres lettres furent relatives à des événements familiaux : la naissance d’une fille de France, ou des condoléances à la suite de deuils dans l’une ou l’autre famille. La même liasse comprenait trois lettres de la princesse Louise-Marie de France, quatre lettres de sa sœur, la princesse Sophie, et quatre lettres de la princesse Victoire. Elles furent toutes relatives à des deuils, condoléances ou remerciements, survenus dans la maison de Saxe.
Restaient dans cette liasse quatorze lettres de la princesse Adélaïde et dix copies des réponses du prince Xavier312. Cette correspondance fut échangée dans les années 1761 1768. Leur lecture confirma qu’il existait pendant cette période, des sentiments amoureux très forts entre la fille du roi et le prince. Les formules de salutations sont sans ambiguïté.
Lettre de la princesse Adélaïde :
Reçue : le 4 août.
Rep : le 12 ----313
« À Compiègne, Ce 21 juillet 1763.

« J’ai reçu votre lettre du 29 du mois passé mon cher frère, avec un plaisir sensible. Je désire que les bains de Töplitz vous fassent du bien, si j’avais été à Plombières cette année j’aurais été bien fâchée qu’on vous en eut ordonnée d’autres. Christine314 m’en paroit toujours toute contente, elle doit y retourner pour prendre sa seconde saison aujourd’hui. Victoire à qui j’ai fait part de tout ce que vous me dites pour elle, est bien sensible à votre souvenir, elle me charge de vous dire bien des choses de sa part. Elle a encore eu une attaque de colique assez vive, mais courte315, elle se porte très bien aujourd’hui.
Adieu Xavier, Torche316Voir Fonds de Saxe, liasse E*1511 vous aime, et vous embrasse de tout son cœur. »
[Sans signature].
Réponse du prince Xavier.
« Dresde ce 12 août 1763.

« À Madame,
« J’ai bien reçu, ma chère sœur, avec la plus vive reconnaissance la lettre dont vous avès bien voulu m’honorer du 21 d.p. [mois précédent]. La part que vous voulez bien prendre à ma santé, m’est encore plus salutaire que les bains de Töplitz dont j’ai tout lieu d’être satisfait, ceux de Plombières m’auroient sûrement été plus saines, par le plaisir que je goûterois de séjourner dans la même climat que Torche, mais nos médecins ne sont pas assez expérimentés pour deviner aussi bien les désirs du cœur comme les faiblesses du corps. Je suis enchanté d’apprendre le meilleur état de Made Victoire, je suis assez vain pour croire d’avoir contribué un peu à sa guérison par les vœux ardents que je faisois journellement pour Elle. J’en fais aussi pour la conservation de Torche pour qu’elle n’oublie jamais son tendre et respectueux frère. X... »
La dernière lettre de cette liaison fut, peut-être, datée du 11 février 1764. La princesse y écrivit :
« Je vois avec peine mon cher frère qu’il faut que vous ayez oublié Torche, puisque vous ne vous servez plus de ce nom là pour lui écrire, la dernière lettre que j’ai reçu de vous m’auroit fait grand plaisir par toute l’amitié que vous my marquez si vous n’en aviez pas retranché la plus grande preuve que vous puissiez m’en donner et que je reçois toujours avec tant de joye. N’oubliez pas Torche, servez-vous de ce nom et soyez persuadé du plaisir qu’elle a de voir vos vœux accomplis. Combien elle souhaitoit de pouvoir vous en donner les preuves et vous convaincre de toute l’étendue de son amitié pour vous.
Je vous remercie des soins que vous avez pris pour mon […un mot illisible…] et vous prie si l’occasion s’en trouvait de ne pas l’oublier. » [Sans signature].
Cette liaison continua-t-elle ou reprit-elle entre mars 1765 et mai 1766317 ? La correspondance tout en restant d’une grande pudeur dans les mots employés, changea de ton et devint plus directe : « […] tu n’as qu’à venir chez moi, je te recevrai mon adorable à bras ouverts […] »318Voir Fonds de Saxe, liasse E*1556. Les lettres étaient cryptées. On a pu deviner que les fiancés étaient devenus amants. Cette correspondance fit l’objet d’une étude spécifique qui a été jointe au présent chapitre.
Le Fonds de Saxe contenait encore trois lettres que Madame Adélaïde adressa à Xavier de Saxe après 1766. C’était à chaque fois la réponse à une lettre de condoléance que le prince lui avait adressées. Chacune contenait une formule dans laquelle transperçaient encore les sentiments profonds qui avaient existé entre les deux fiancés, voire les deux amants :
« Je n’oublierai jamais le bonheur que j’ai eu de vous connaître et les sentiments de l’amitié que je vous ai voué, seront éternellement gravés dans mon cœur ; […] ». Lettre du 26 août 1768, (mort de la reine Marie Leszczynska).
« […] Adieu mon cher Xavier, je vous aime et vous embrasse mille et mille fois de tout mon cœur. » Lettre de janvier 1767, (vœux de nouvel an et maladie de la Dauphine).
« […] Continuez toujours votre amitié, elle me devient plus chère si cela est possible encore, qu’elle n’était. Soyez bien persuadé que ma tendresse pour vous est sans égale. […] ». Lettre du 7 avril 1767 (mort de la Dauphine).
Ainsi, la fratrie de Saxe, profitant de la présence de leur sœur Marie-Josèphe, avait à compter des années 1760, leurs entrées dans l’intimité du sommet de la maison de France. Lorsque Albert ou Clément vinrent en France, le premier fut reçu à Marly et quant au second, la Dauphine recommanda à son frère Xavier « d’aller au devant de lui pour le mettre à sa toilette d’abbé pour qu’il n’arrive pas comme un marquis de Franchimont […] »Voir Fonds de Saxe, liasse E*1508. Deux membres de cette fratrie profitèrent plus que les autres de cette intimité royale, le prince Xavier d’une part et la princesse Christine d’autre part dont la correspondance fit l’objet des paragraphes qui suivent.
Correspondance de Christine de Saxe, abbesse de Remiremont, (1773).Voir Fonds de Saxe
« Melle de la Gueuserie », surnom que la fratrie de Saxe donna à la princesse Christine et qu’elle utilisa souvent dans sa correspondance, était la seconde sœur cadette du prince Xavier dont elle avait cinq ans de moins. Comme pour la Dauphine, le prince Xavier sembla avoir été son frère préféré. Elle ne se maria jamais malgré une tentative de la reine Marie Leszczynska de lui faire épouser le roi Stanislas. De ces « fiançailles » naquit une amitié solide entre le vieux roi et celle qu’il considérait comme trop laide319 pour en faire la belle-mère de la reine de France320. En 1764, elle devint coadjutrice de l’abbaye de Remiremont dont la princesse Charlotte de Lorraine était la princesse abbesse à qui elle succéda en 1773. Elle conserva cette fonction jusqu’à son décès le 19 novembre 1782.
Le prince Xavier conserva dans ses archives, quatre cent quarante-neuf lettres de sa sœur la princesse Christine. Deux cent soixante-six furent reçues pendant la période de temps sélectionnée pour l’étude, dont quarante-quatre firent l’objet d’une analyse dans l’Inventaire de J.-J. Vernier et donc, furent retenues pour le traitement statistique. Dans les années soixante, la princesse écrivait très fréquemment à son frère, souvent plusieurs fois par semaine. Ainsi, le prince Xavier reçut d’elle, quatre lettres en janvier, cinq lettres en février et cinq en mars 1766. Dans la décennie suivante, la fréquence diminua, mais resta d’environ deux lettres par mois, et cela, jusqu’à sa disparition.
La princesse signa ses lettres « Christine », puis changea pour « Christl » à compter du milieu des années soixante. Elle se désigna souvent par son surnom et utilisa ceux de Jean sans terre (JST), Cucu et Pépa pour désigner son frère Xavier et ses sœurs Cunégonde et la Dauphine321. Dès janvier 1760, elle numérota ses lettres. Elles étaient adressées à « Monsieur Mon très cher Frère », puis à compter du milieu des années soixante, elle utilisa les formules : « Mon cher X. » ou « Mon cher frère ». Les lettres très formelles dans leur présentation jusqu’au début des années soixante, devinrent plus fraternelles ensuite. Ainsi la formule finale se transforma et de :
« Adieu mon cher frère, aimez toujours un peu celle qui sera toute sa vie avec le plus parfait attachement
Monsieur Mon très cher Frère
Votre plus fidèle Sœur

et Servante

Christine »
devint par la suite, (lettre du 2 mai 1765 dont nous avons conservé la présentation) :
« […] voilà le détail de ma fameuse chasse au coq, si je peux aller tirer demain des sangliers et si je suis plus heureuse, je vous le manderai encore, en attendant je vous embrasse avec la plus parfaite tendresse vous priant d’aimer toujours un peu celle qui sera toute sa vie
Votre fidèle sœur

Christl

Le 3 Mai je n’ai pas été
plus heureuse hier à la
chasse au sanglier qu’a
celle du coq. Nauendorf a pourtant tiré un solitaire. »
Les lettres de Christine de Saxe pourraient être divisées en deux catégories. Jusqu'à sa nomination à la tête de l’abbaye de Remiremont, c’étaient les lettres d’une princesse, voyageant en Europe et se partageant plus particulièrement entre la cour du roi Stanislas ou celle de Versailles. Devenue princesse abbesse, le fonctionnement de son établissement lui pris tout son temps ; des événements matériels dramatiques322 exigèrent et occupèrent toutes ses pensées. L’analyse statistique de ses lettres identifia vingt-quatre mots-clefs différents représentant au total cent quatorze occurrences. Les huit mots-clefs les plus fréquents représentent plus de 75 % de ces occurrences323. Ce pourcentage atteint 86 % si le cumul est élargi aux douze mots-clefs les plus fréquents.
Correspondance de Christine de Saxe. Distribution des mots-clefs.
Les autres mots-clefs identifiés furent « Armées », « Bienfaits », « Famille », et « Politique » qui apparurent trois fois ; « Carnaval », « Mariage », et « Religion » avec une fréquence de deux ; et « Bal », « Diplomatie », « Disgrâce », « Fêtes », « Inondations », « Loisirs », « Naissance », « Rumeurs », et « Tremblement de terre » qui ne furent identifié qu’une fois.
Une nouvelle fois le mot-clef « Mondanités » par lequel était identifié les commentaires sur les les événements et les particularités de la vie mondaine », c'est-à-dire, ceux de la vie de cour, fut celui qui apparut le plus souvent dans la correspondance de cette princesse. Les sept autres mots-clefs identifiés par l’importance de leur fréquence et qui apparaissent dans le présent graphique, le furent à un niveau de fréquence très supérieur à celui qui était le leur dans les lettres de Charles ou de Clément de Saxe. En particulier les mots : « Santé », « Catastrophes », « Incendie » et « Finances » étaient absents des graphiques établis à partir des lettres de ces deux princes. En contre partie, les mots « Famille » et « Clients » ne furent pas identifiés avec une fréquence notable dans le courrier de la princesse. Il était évident que les questions traitées dans leurs lettres par chaque membre de la fratrie, étaient différentes et dépendaient de la personnalité de chacun. Une étude comparative faisant apparaître les différences statistiques qui furent décelées entre les correspondances des principaux membres de la fratrie, fut conduite et fera l’objet d’un paragraphe spécifique en fin du présent chapitre. On s’apercevra que les thèmes traités dans leurs lettres étaient relativement similaires.
Correspondance de la princesse Elisabeth de Saxe.Voir Fonds de Saxe
Avant-dernière fille de la fratrie, Elisabeth de Saxe naquit le 9 février 1736 et décéda le 24 décembre 1818. Elle était l’aînée de trois enfants, les princes Albert et Clément et la princesse Cunégonde. Elle ne fut jamais mariée et n’obtint jamais d’établissement. Elle résida le plus souvent à Dresde où l’on peut supposer qu’elle occupa une fonction à la cour. Elle écrivit très fréquemment à son frère Xavier, généralement tous les trois jours dans les années soixante-dix ; ainsi, elle lui envoya cent quatre lettres en 1770324. Les lettres furent numérotées par la princesse à partir de janvier 1769. Toutes les lettres envoyées ne furent pas conservées en archives. Le Fonds en contient mille cinq cent vingt-sept. Cent treize furent citées dans l’Inventaire de J.-J. Vernier, et cent dix-huit furent retenues pour notre étude statistique. De 1762 au 17 avril 1769, la princesse rédigea ses lettres en Allemand. Après cette date, elle utilisa uniquement le français325Voir Fonds de Saxe, liasse E*1516. Aucune explication ne fut trouvée quant à ce changement de langage. La princesse utilisait un bon français326 (avec cependant une orthographe particulière) comme le prouve l’extrait327 suivant de la première lettre qu’elle rédigea dans cette langue, le 20 avril 1769 :
« Mon très cher frère, j’ai reçue avec bien du plaisir votre lettre du 13. Je suis charmé que l’opéra vous ai plu, je n’étois pas encore au théâtre, j’ai eue jusqu’ici rien que des comédies chez moi, puisque je n’aime pas du tout les tragédies, mais depuis mardi, les spectacles on cessé, et il ne règne que de l’ennuie chez moi, je ne loge pas même dans mes chambres pour quelques jours ; [… suivent des nouvelles sur des enfants que nous supposons être ceux du prince Xavier]. Je souhaite pouvoir vous donner une autre fois de meilleurs nouvelles de mes chers petits, je vous prie de faire mes Salamaleck à la mama, et aimez toujours je vous prie, une Sœur dont la tendresse ne finira jamais.
Elisabeth ».
La formule finale évolua peu dans le temps :
« […] voila toutes les nouvelles que je peu vous donner. On se met à vos pieds et moi je vous prie d’aimer toujours un peu celle qui sera toute sa vie avec la plus parfaite tendresse
Votre fidèle Sœur

Lisel. »328Voir Fonds de Saxe, liasse E*1516.
Le prince Xavier utilisait parfois, le diminutif de « Liszka », voire « Chérissime Lisel » pour lui répondre. Il semble qu’il fût pour cette sœur comme pour la Dauphine et Christine de Saxe, le frère préféré329Voir Fonds de Saxe, liasse E*1519, et qu’il lui rendit son amour, n’écrivait-il pas « que pour [sa] chérissime Lisel, [il] saura même faire de la fausse monnaie […] »330Voir Fonds de Saxe, liasse E*1518.
Lorsque les lettres comportaient une adresse, elles étaient envoyées :
« Au Prince Xavier
Mon très cher Frère. »,
et étaient cachetées par un sceau de cire rouge combinant les armes de la couronne de Pologne et celles de l’électorat de Saxe.
Au gré de la lecture des lettres, nous découvrîmes l’existence d’un sous-réseau dans le réseau fraternel : Dans une lettre datée du 22 février 1774 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1518, Elisabeth de Saxe, se porta candidat à la coadjutorerie de l’abbaye de Remiremont. Elle ne s’adressa pas directement à sa sœur Christine, mais fit intervenir son frère Xavier. La demande fut rédigée à l’encre sympathique à la fin d’une lettre au contenu très routinier, dans les termes suivants :
« Je vous prie de parler à la Christl331 à cause de la coadjutorerie, vous pouvez lui dire que je vous en ai prié et que je ne lui en ai pas écrit pour ne pas l’embarrasser. Mais entre nous soit dit, je sais que la cour palatine la recherche pour la princesse de Deux-Ponts, puisqu’elle s’est désistée de l’autre en faveur de Cucu332 et qu’elle voudra peut-être aussi engager la cour d’ici de s’intéresser pour elle. Tachez donc d’empêcher qu’elle ne nous prévienne pas, et je me flatte que ma sœur, si vous lui en parlé, ne lui promettra rien et que vous et elle pourriez peut-être faire quelque chose pour moi comme je vous ai déjà proposé par la Dauphine sur les économats où on dit que cela ne coûte rien au Roy. Mais il faut se dépêcher sans cela Madame la Palatine nous préviendra. »
Le prince Xavier, répondit le 10 mars333 :
« Vous verrez par ce que j’écris à la Christl, que pour ma chérissime Lisel je saurai même faire de la fausse monnaie car j’y mens bien et j’ai cherché tous les moyens qui pouvaient le plus l’engager à vous être utile. Ce que j’y ai mis du Duc est à cause de Miltitz334 car peut-être croyant lui faire une niche, l’engagera t il à le faire ; et je lui ai aussi fait sentir finement tout ce qu’elle vous doit pour avoir arrangé et remis ses affaires en Saxe. Si je n’y parle point de la pension ; je l’ai fait par réflexion car pourvu que nous soyons sûr, une fois que cette cour veuille s’y intéresser, j’en fais après mon affaire et j’ai à présent des canaux où je suis presque sûr sur ce point. Je lui ai rien marqué que vous ne lui en écriviez rien pour ne la point embarrasser car cela aurait pu lui donner un échappatoire pour me marquer que je fasse en sorte que vous ne lui écriviez pas. Au contraire j’ai marqué que je vous avais déjà répondu pour la mettre au pied du mur et qu’elle recevra dans peu votre lettre. J’aurai désiré que vous lui en eussiez écrit tout de suite, mais j’ai cherché à le réparer. Aussitôt que j’aurais sa réponse, je vous l’enverrai. Je ne puis croire que l’Électrice Palatine le cherche pour sa nièce car elle m’a parlé encore le jour de mon départ qu’elle avait aussi cherché pour sa nièce la coadjutorerie de la Cucu, se plaignant même du silence que la Cucu lui gardait sur cette affaire. Et s’il avait été question pour Remiremont, elle me l’aurait sûrement dit. Et même dans les lettres qu’elle m’a écrites depuis que je suis ici, elle ne m’en dit rien quoiqu’elle me parle de Cucu qu’elle retrouvera bientôt chez Clemens335 et me fait des remerciements de l’Electrice Platine sur les compliments que je lui avais priés de lui faire de ma part. Je vous prie de ne pas oublier ce que je vous ai marqué dans une de mes lettres de chercher à savoir les intentions de Belle336, s’il amènera sa femme avec ou non et dans le dernier cas, vous voudrez bien prendre les arrangements sur la Favier comme nous sommes convenus de bouche ensemble avant mon départ. Je n’ai rien marqué non plus de la Dauphine337 car elle n’a pas beaucoup de crédit et ma sœur n’est pas trop liée avec elle, mais beaucoup avec le duc d’Aiguillon338 qui peut tout, et si nous nous adressons à la Dauphine cela pourrait le choquer ainsi que Madame Du Barry et gâter nos affaires. »
Toujours sur cette affaire, le 15 mars, Christine écrivit à son frère une très longue lettre Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514 dans laquelle elle expliqua l’engagement qu’elle avait déjà pris d’offrir la coadjutorerie à la princesse Marie-Anne de Deux-Ponts de manière à obtenir son « désistement de ses prétentions sur Essen et Thorn et qu’elle ne soit plus un obstacle à Cucu […] mais qu’ [elle] ne désespérait pas de faire pourtant encore, ce que Lisel désire […] ».
Et d’expliquer dans la suite de la lettre, la stratégie qu’elle comptait suivre pour obtenir ce désistement mais aussi l’accord du roi et du chapitre.
Le 26 mars, Elisabeth de Saxe écrivit à son frère Xavier Voir Fonds de Saxe, liasse E*1518, et à sa sœur Christine qui en fit une copie Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514 à son frère Xavier à la réception :
« Mon bien cher frère, j’ai reçu votre lettre du 10 d.c. N° 10 [lettre ci-dessus]. Je ne vous ai point écrit la dernière poste, puisque nous étions à la chasse, qui a assez bien réussi, j’ai tiré trois coqs, ma sœur 1, Casimir a tiré un brocard, le temps était très beaux et la nuit il faisait bien frais […] Je vous remercie de la lettre que vous avez écrit à Christl, elle m’a justement répondu à la même. Je n’ai pas tort de craindre la Palatine mais elle me promet de faire ce qu’elle pourra. […] Adieu je vous embrasse de tout mon cœur et suis avec la plus parfaite tendresse.
Votre fidèle Sœur.

Lisel. ».
« Ma très chère Christl, j’ai reçu 3 de vos lettres presqu’à la fois, et je commencerai par répondre à la dernière. Je serai bien fâchée de vous embarrasser avec la demande que je vous ai faite ; surtout si vous avez donné votre parole ; comme vous croyez que vous pouvez vous dégager, je vous laisse le soin d’arranger tout cela. Vous m’avez mal compris ou je me suis mal expliquée, je n’ai pas pensé à avoir une pension de la cour de Vienne, j’ai cru que la Dauphine pourrait peut-être me la faire avoir de la cour de France ; mais comme vous êtes si bien avec le duc d’Aiguillon, peut-être pourrait-il, et voudrait-il m’en procurer ; qu’elle vienne de France, d’Espagne, d’où elle voudra, je vous en aurai des obligations. Vous savez comment vous y prendre pour faire vite réussir les choses ainsi je vous en laisse tout le soin. […] Je ne vous dis rien de nos chasses, Cucu vous en a déjà fait la description ; mais elle a oublié de vous dire que mon petit Casimir a tiré un brocard qui lui a fait bien plaisir. […] Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur et suis
Votre fidèle Sœur

Lisel ».
La correspondance triangulaire sur cette affaire continua pendant plusieurs semaines. Les archives contenaient une lettre de la princesse Christine à son frère Xavier en date du 2 avril Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514. On y apprit que la vielle duchesse de Deux-Ponts était décédée et que cela « chipotait aussi pour [le] projet [de coadjutorerie] mais qu’ [elle] ne perdait pas courage et ne désespérait pas de la réussite. […] ». Cette lettre fut suivie par une autre Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514 en date du 6 avril qui contenait une copie de la lettre du 26 mars dont un extrait fut donné ci-dessus. Christine de Saxe espérait toujours pouvoir se libérer de sa promesse auprès de l’Electrice Palatine, mais le ton y était moins affirmatif. Le 23 avril, la princesse Christine adressait une nouvelle lettre Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514 à son frère. L’espoir d’être libérée de son engagement s’amenuisait au point de « souhaiter [à la princesse Anne-Marie de Deux-Ponts] promptement un mari, ce serait la meilleur façon de [la] dégager de [sa] promesse. » Quelles semaines plus tard, Christine devait renoncer à obtenir la coadjutorerie pour sa sœur.
De cette correspondance croisée dont nous n’eûmes qu’une partie des lettres, il fut possible de retenir plusieurs enseignements. D’une part, la fratrie de Saxe, par l’intermédiaire de la princesse Christine, avait accès au plus hauts personnages de la cour de Versailles : Aiguillon, la dauphine Marie-Antoinette 339, la Du Barry. D’autre part, à l’intérieur même de la fratrie, il existait des réseaux : Elisabeth espérait que l’intervention de son frère permit l’engagement de sa sœur Christine en sa faveur. Enfin, ce projet de nomination au sommet d’une abbaye impliquant l’électrice de Deux Ponts, la fratrie de Saxe, une promesse de désistement en faveur de leur soeur Cunégonde pour une autre abbaye, l’intervention possible du secrétaire d’État aux affaires étrangères dans un projet de coadjutorerie dépendant de l’Empire, permit d’entrevoir ces réseaux d’influences croisées, de dons et contre-dons, d’obligations mutuelles, qui existaient dans la société des petits princes qui gravitaient au second rang dans les grandes cours européennes.
L’analyse qualitative de la correspondance de la princesse Elisabeth permit aussi de faire d’autres découvertes plus insolites ou à caractère plus léger. Ainsi, les princes de Saxe s’adressaient des cadeaux de victuailles ou se commandaient des vins. Cela apparut dans plusieurs lettres. Celle du 18 janvier 1777 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1518 est un premier exemple :
« Mon très cher frère nourricier, je vous remercie des deux pâtés qui sont arrivés très heureusement, j’en ai tout de suite mangé un à votre santé, ils sont excellents […] ».
Autre lettre du 22 janvier 1777 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1518 sur le même sujet :
« J’ai envoyé de l’excellent pâté au Duc340, les autres années il m’a toujours envoyé des fromages de la poste de Meaux, mais cette année pas, mais à peine que j’avais envoyé le pâté, en revanche il m’a tout de suite envoyé un fromage, il est parti cette nuit pour Munich […] ».
Le pâté pouvait être du foie gras comme l’indiqua la lettre du 28 janvier 1783 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1522,
« Mon très cher frère, je dois vous remercier d’un pâté qu’on m’a envoyé de votre part, que je croyais de Périgueux, et qui se trouve de foye d’oye341 où je retrouve les truffes excellentes, mais le foye je ne mange pas […] ».
Bon exemple de l’existence à l’intérieur de la fratrie, d’un réseau d’approvisionnement, une lettre du prince Xavier à sa sœur Elisabeth en date du 30 septembre 1775342Voir Fonds de Saxe, liasse E*1518 :
« Quant à la proposition que vous me faites pour le vin de Chaumot343, […] je consens à la dernière, […] et je viens déjà de donner l’ordre pour qu’on arrange 6 feuillettes344 de vin de Chaumot que vous désirez. Je ne doute pas que mon commissionnaire à Paris, le Sr Laurent vous aura déjà averties en droiture de l’expédition du tabac et des gants que vous m’avez demandés et que dans peu vous les recevrez.[…] »
Enfin, à la lecture de cette correspondance, nous remarquâmes une nouvelle fois, le goût des princesses de Saxe pour la chasse, que ce fut à courre ou au tire. Très souvent, Elisabeth de Saxe comme ces sœurs parla tableaux de chasse dans ses lettres ; elle s’y vantait d’avoir tiré des lièvres, elle chassait le coq et le sanglier, et les chutes de cheval n’étaient pas rares. Être un bon compagnon de chasse, ne pouvait que faciliter vos entrées chez les Bourbons ; cela participait au fonctionnement du réseau.
Des questions plus sérieuses furent abordées dans ces lettres. En 1777, le prince Xavier confia à sa sœur Elisabeth, la réforme de la gestion et de l’administration de ses possessions en Saxe. Les différents pouvoirs et les longues discussions sur la qualité du service rendu par certains intendants du prince, firent l’objet de nombreuses lettres. Autre question beaucoup plus politique : dans une lettre datée du 28 août 1789 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1425, la princesse fit référence aux troubles en France. « Je crains » dit-elle « toujours qu’ils pourraient aller jusque chez vous […] » ; des craintes qu’elle renouvela dans une lettre datée du 31 août.
L’analyse statistique des lettres de la princesse Elisabeth identifia trente-trois mots-clefs différents représentant deux cent soixante-quatre occurrences. 86 % de ces occurrences furent totalisés par quatorze mots-clefs, soit moins de la moitié. Leur distribution en fréquence fit l’objet du graphique joint. Une nouvelle fois, le thème des « Mondanités » fut le plus souvent identifié. Deux autres grands thèmes apparurent dans deux lettres sur trois. Ce fut d’abord celui des nouvelles de cour, à savoir, les « Décès », « Mariage », « Fêtes », « Faits-divers » « Loisirs », qui fut présent dans 33 % des lettres ; et celui des « Réseaux » qui fut associé aux mots-clefs « Politique » et « Armée » qui représenta 32 % des occurrences. Le troisième thème le plus important fut celui de la « Famille » qui n’apparu que dans une lettre sur quatre. D’autres mots-clefs furent identifiés dans moins de cinq lettres, c’est-à-dire dans moins de 2 % de la correspondance : « Finance », « Accident », « Diplomatie », « Guerre », « Religion » etc.
Correspondance d'Elisabeth de Saxe. Distribution des mots-clefs.
En guise de conclusion, il fut noté que la correspondance de la princesse Elisabeth de Saxe par son volume, fut une source exceptionnelle pour cette étude. Elle résida principalement à Dresde, mais par ces contacts nombreux avec Vienne et Munich, elle apporta des informations sur « la société des princes » d’Europe centrale et de la partie est de l’Empire germanique.
Le dernier membre de la fratrie, la princesse Cunégonde de Saxe, par sa fonction de princesse abbesse d’Essen et par ses très nombreux séjours à la cour de son frère l’électeur de Trèves, nous fit aborder une autre partie de l’Empire germanique, les provinces rhénanes et les états allemands de l’ouest.
Correspondance de la princesse Cunégonde de Saxe.Voir Fonds de Saxe
Dernier membre de la fratrie, la princesse Cunégonde de Saxe naquit le 10 novembre 1740 ; elle décéda le 8 avril 1826. Sa vie se divisa en deux grandes phases. Elle fut d’abord une jeune princesse insouciante surveillée par ses frères aînés, partageant sa vie entre Munich, lors de l’exil de la cour de Dresde pendant l’occupation de la Saxe par les armées prussiennes, et les cours de Vienne et de Dresde après 1763. En 1776, elle fut élue à la tête de deux abbayes importantes, celle de Thorn dont elle devint princesse abbesse jusqu’en 1795345, puis quelques mois plus tard, celle de Essen qu’elle garda jusqu’en 1802. Pendant ces vingt-six ans, elle résida en permanence à Coblence, à la cour de son frère, l’archevêque électeur de Trèves.
Le Fonds de Saxe conserva deux cent cinquante-neuf lettres qu’elle écrivit à son frère Xavier. Quarante-six firent l’objet d’une analyse dans l’Inventaire de J.-J. Vernier et quarante-trois appartenant à la période de temps retenue pour la présente étude, entrèrent dans la « base de données » de l’analyse statistique. Dans sa correspondance, elle su utiliser les privilèges que lui donnait son rang « de petite dernière » de la fratrie, pour semer régulièrement quelques facéties dans sa correspondance. Ainsi elle commença sa lettre datée du 24 janvier 1779 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1529, par cette introduction originale : « Te Deum Laudamus ! Que vous êtes ressuscité […] » ; il s’agissait de faire remarquer à son frère Xavier, sa longue période de silence. Quelques mois plus tard, alors que le prince avait justifié un nouveau retard dans ses lettres par les « nombreuses affaires » dont il s’occupait, la réponse de la princesse commença par ces mots : « Mon très honoré Monsieur de mille affaires […] ». Son courrier ne commença pas toujours par de telles plaisanteries. Les premières années, la princesse s’adressa à son « cher frère Xavier » ; plus tard elle utilisa : « Très cher X. ». Elle terminait habituellement ses lettres par « Votre fidèle sœur », qu’elle modifia plusieurs fois pour des formules du type « la plus sage et fidèle sœur ». Lors d’un séjour du prince en Italie, elle utilisa une formule originale qui ne fut jamais renouvelée : « Adio Caro Carino fratello fratellino vano e d’abraccio con tulla le tederezzce de ♥ ». Dans les années soixante, ces premières lettres étaient particulièrement courtes et souvent vides d’intérêt ; c’était le courrier d’une jeune fille à sa famille ; elle écrivait par obligation, commençant toujours par une phrase d’excuse pour justifier ses silences ou les retards de sa correspondance. À partir de 1769, ses lettres furent numérotées346 et devinrent plus longues, généralement trois feuillets complets. Ce fut pour le prince, une source d’information sur de nombreux sujets : nouvelles familiales, évènements de la cour, interventions pour des membres de la fratrie et des personnes qui lui étaient liées. Elle signa ses lettres, d’abord de son prénom complet, puis utilisa le diminutif que lui avait donné la fratrie : « Cucu ». Elle écrivit à son frère plusieurs lettres par mois dans les années soixante-dix, puis le rythme se ralentit pour devenir mensuel, fréquence qu’adopta le prince Xavier pour lui répondre. Pendant toutes les années où elle résida à Coblence, elle repris périodiquement à son compte, la plaisanterie de son frère Clément, l’archevêque électeur, en l’appelant son mari.
Parmi les points remarquables de cette correspondance, il fut noté que la comtesse Spinucci fut mentionnée pour la première fois dans une lettre datée du 6 juin 1774 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1528 alors que le mariage secret datait de 1765. Autre sujet insolite, en décembre 1777 le prince Xavier commanda à Essen par l’intermédiaire de sa sœur, une « machine à couper les plumes ». Elle se chargea de trouver un moyen d’expédition et arrangea les conditions de paiement qui se firent à Paris à réception de l’équipement, le 4 mai 1778347Voir Fonds de Saxe, liasse E*1528. Autre point intéressant, la princesse Cunégonde s’impliqua avec son frère Xavier dans la recherche d’une solution financière en faveur des « gens de leur sœur Christine » restés sans ressource au décès de celle-ci. La solution exigea plusieurs mois ; elle impliqua des interventions auprès du ministre français Vergennes, de l’électeur de Saxe et de ses ministres 348 et de l’intendant d’Alsace. Une pension à vie égale au deux tiers des appointements fut versée par le trésor royal français « aux gens » de la princesse de nationalité française, et par l’électorat de Saxe pour les « pauvres saxons ». De plus le roi de France s’engagea à payer une demi-année de salaire « aux Saxons » pour couvrir leur frais de retour dans leur pays d’origine. Dans cette affaire, Versailles parut plus généreux et plus rapide dans ses décisions que Dresde ; nous y vîmes la preuve des très les bonnes entrées que possédaient le Prince Xavier, mais aussi sa sœur Cunégonde, à la cour de Versailles où ils furent plus efficacement et plus rapidement écoutés que par le gouvernement de Dresde. Ce fut une nouvelle fois la preuve qu’une partie de la fratrie de Saxe était définitivement attachée aux Bourbons de France. Pour illustrer cette affirmation, deux exemples sont proposés au lecteur : les transcriptions d’une lettre de la princesse Cunégonde en date du 14 juin 1774 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1528, adressée à son frère à la mort du roi Louis XV, et d’un court mot du futur roi Louis XVI349Voir Fonds de Saxe, liasse E*1535 à son oncle, Xavier de Saxe :
« Cher Frère, je fus bien assurée que la mort du Roy vous toucherait infiniment. C’est un événement qu’on aurait pu s’attendre d’être occasionné par une telle maladie à son âge. Cela prouve bien que Dieu sait trouver des moyens bien imprévus pour nous attirer à lui. Les sentiments chrétiens de charité et de vérité que fait paraître le nouveau Roy, donnent grandes espérances sur son règne si Dieu lui donne la grâce, vu son âge, il aura le temps d’effectuer de très bonnes choses […]. »
« À mon Oncle Monsieur le Prince Xavier de Saxe Prince Royal de Pologne. Mon cher Oncle, j’ai été bien fâché de vous voir partir l’année dernière. Je conserve toujours pour vous les mêmes sentiments d’amitié et de tendresse. J’ai [hâte]350 avec bien grande impatience, de vous revoir. Je [vous] embrasse de tout mon cœur, mon cher Oncle.
Louis Auguste.

À Versailles,
Le 1er octobre 1770351. »
L’étude statistique de la correspondance de la princesse souligne qu’à la différence des autres membres de la fratrie, ces lettres contenaient peu de « Mondanités » ou de nouvelles familiales.
Correspondance de Cunegonde de Saxe. Distribution des mots-clefs.
Vingt-sept mots-clefs furent identifiés dans la correspondance de la princesse Cunégonde, totalisant cent une occurrences. Dix de ces mots-clefs représentaient 67 % des identifications. En se limitant à ces dix thèmes qui apparaissent dans le présent graphique, et en analysant une nouvelle fois, les résultats autour de trois questions majeures, à savoir : le réseau de la fratrie, la vie de cour et les nouvelles familiales ; il apparut que le premier de ces thèmes, dans lequel furent associés « Réseaux », « Établissement » et « Politique », apparut dans 40 % des cas. La vie de cour, principalement les « Mondanités », « Décès », « Fêtes », « Tourisme », etc. totalisa 36 % des occurrences, soit un pourcentage bien inférieur à celui des autres correspondances. Enfin le dernier thème majeur, la vie familiale, ne fut identifié que dans 16 % des cas. Tous ces éléments seront confirmés et développés dans le chapitre suivant qui traite de l’étude statistique de la correspondance prise dans sa globalité.
Lettres chiffrées de « Madame Trente-quatre Voir Fonds de Saxe, liasse E*1556 ».
Parmi la correspondance de ses maîtresses, une liasse présenta un caractère particulier et unique ; toutes les lettres qu’elle contenait, étaient entièrement cryptées. Le code utilisé était d’une grande simplicité ; à chaque lettre (ou groupe usuel de lettres) correspondait un nombre de deux chiffres352 ; la clé était immuable et fut conservée pour l’ensemble de la correspondance entre le prince Xavier et cette personne que nous désignons sous le pseudonyme de « Madame Trente-quatre353 ». Après décryptage, dans leur version remise au prince, les lettres contenaient encore certains termes qui restaient chiffrés354. Il s’agissait des mots : « t’aimer », « t’adorer », « amant », « maîtresse » et des noms de personnages. Bien que très simple dans son secret, le code employé était extrêmement lourd dans son utilisation.
Le lecteur trouvera infra la transcription de trois documents originaux de cette liasse sous forme d’extrait : à savoir, la clé du chiffre permettant de lire l’ensemble de la correspondance, puis la première page d’une lettre355 dans sa version chiffrée et enfin, cette même lettre après décryptage. Nous avons enfin effectué une transcription de ce dernier document pour en faciliter la lecture. Cette transcription qui suit ci-dessous, fut volontairement réduite à quelques extraits356, dans lesquels ont été traduits les derniers éléments de cryptage, à savoir, les nombres « 33 » et « 34 » qui se remplaçaient indifféremment (semble-t-il) par « amour », « amant », « maîtresse ». Le lecteur doit se souvenir aussi, que la correspondante, dans un souci supplémentaire de confidentialité et pour augmenter la confusion chez un lecteur indiscret, utilisait le masculin pour parler d’elle-même, et le féminin pour parler de son amant.
« Les Chiffres de L jusqu’à M ne valent rien.
Mon amant. Je n’ai pas écrit à mon amour la semaine passé un billet par ce que ton amour est à présent d’une circonspection extrême sur cet article, par la crainte, où il est, de te causer quelque chagrin. […]
… Les chiffres de C jusqu’à D ne valent rien.
Mon amant, tu m’as dit dans une lettre et répété dans un billet que tu arrangerais tes affaires s’il ne survenait pas de dépenses extraordinaires.
Mon amour, je peux assurer ma maîtresse que son amant ne lui en causera plus ; il est prêt mon ange à vendre tout ce qu’il possède pour l’offrir à sa petite. Il ne veut que regarder son cœur, pour aimer et adorer jusqu’à la mort sa fidèle maîtresse qui seule fait son unique bonheur et ses désirs.
… Les chiffres de K jusqu’à I sont non-valeurs.
Ton amant n’a encore rien arrangé de fixe avec 202, sur sa pension, mais il est certain que ton amant partira dans le mois de juin et sera chez sa maîtresse dans le courant d’octobre pour y passer l’hiver dans les bras de celle qu’il honore et aime au suprême degré qui est son amour et sa maîtresse qui à couvé des baisers les plus vifs et les plus tendres.
… Le reste des chiffres sont non-valeurs. ».
Clé du chiffre357Voir Fonds de Saxe, liasse E*1556 permettant de lire l’ensemble de la correspondance.
Règles d’utilisation du chiffre358Voir Fonds de Saxe, liasse E*1556.
Première page de la lettre référencée « I » dans sa version chiffrée359Voir Fonds de Saxe, liasse E*1556
Lettre précédente après décryptage358Voir Fonds de Saxe, liasse E*1556.
La mystérieuse « Madame Trente-quatre ».
En 1874, Arsène Thévenot361 estima avoir identifié cette mystérieuse correspondante. Il s’agirait d’une fille de Stanislas Leszczynski, une sœur de la reine Marie Leszczynska. Nous pensâmes qu’il basa un peu rapidement, son identification sur certains passages de la correspondance faisant référence à la mort de son « bon papa » qu’il identifia comme le roi Stanislas ainsi qu’aux espoirs et aux démarches pressantes plusieurs fois mentionnés, de se voir attribuer le domaine de « Malgrange », un château qui appartenait au duché de Lorraine et donc à l’héritage de ce roi. En réalité, ses bibliographies ne lui reconnaissent qu’une fille unique, l’épouse de Louis XV. Si celle-ci chercha à plusieurs occasions mais sans succès, à remarier son père362, l’Histoire ne lui connaît pas de second enfant légitime ou naturel. Cette hypothèse fut rejetée et une autre identification363 fut recherchée.
Le courrier crypté.
Pour chaque lettre reçue, nous possédions le document chiffré ainsi que sa version décryptée. Elles furent toutes datées sans indication d’année, avec deux exceptions : une lettre référencée « A » sans date, que nous estimions avoir été écrite en début de l’année 1766, et, chance pour le chercheur, la mention de l’année apparaissant dans une autre lettre datée du 15 avril 1766. Cela nous permit de situer ce courrier dans le temps. Il exista, en effet, un continuum dans cette correspondance, et cette liaison amoureuse épistolière se déroula pendant les années 1765-1766. La lecture des documents fit apparaître que ni la première ni la dernière des lettres conservées, ne correspondaient au début et à la fin de cette liaison. La liasse contenait treize lettres datées entre les 19 mars et 21 juillet [1765], numérotées de I à XIII, et huit lettres référencées de A à H et datées entre les 12 mars et 12 mai [1766].
Pourquoi l’utilisation d’une correspondance chiffrée employant un code aussi simpliste ? Pourquoi cette femme cherchait-elle à berner un lecteur indiscret en utilisant le féminin pour parler du prince et le masculin pour parler d’elle-même (sans que cela ne fût une règle absolue) ? Elle indiqua dans plusieurs de ses lettres qu’ils étaient, l’un et l’autre, « libres et qu’ [ils n’avaient] pas de compte à rendre de [leurs] actions et que [le prince pouvait] venir chez sa maîtresse quand [il voulait] et pour aussi longtemps qu’ [il voulait], plut à Dieu que ce fût pour toujours et [elle] serait la plus heureuse personne du monde […]364 ». Dans une autre lettre, elle s’adressa au prince en ces termes : « [tu n’as nul besoin de] prétexte pour venir me voir avant la fin de l’automne, il n’en faut pas, tu es maître de tes actions, je le suis des miennes, ainsi tu n’as qu’à venir chez moi, je te recevrai mon adorable à bras ouverts, je tacherai de te rendre le séjour aussi agréable qu’il me sera possible […]365 ». C’était cependant oublier ou ignorer que depuis le 9 mars 1765, le prince Xavier était marié avec la comtesse de Spinucci.
Cette correspondance laisse le lecteur actuel perplexe. Ces cryptages et décryptages exigeaient l’intervention de secrétaires ; ce que confirma l’observation des écritures. Et quel plaisir, quelle tendresse, quelle poésie y avait-il à écrire ou à recevoir après décryptage par un tiers : « […] le Ciel enfin exaucera ses vœux, et ne dépendant plus que des volontés de sa 34, il n’aura d’autres soins que de lui prouver avec tendresse, à quel point il 32, 31, son 34 sa 33, qu’il croit incapable d’oublier son 33 […] ».
Ce qui se traduisait par « … à quel point il adore, il aime sa maîtresse son amant, qu’il croit incapable d’oublier son amant […]. »
La version avant décryptage était encore plus surprenante à recevoir : « […] 2495201410111612616143231711123372434951614226166161222 […]366 ».
Après toutes ces manipulations, et en faisant abstraction des derniers codes de camouflages que nous avons signalés, le contenu des lettres était « finalement » d’une grande tendresse et extrêmement passionné tout en étant exprimé en termes décents et avec pudeur ; ainsi, il ne fut jamais fait allusion à des gestes ou des situations intimes.
À ce jour, et malgré de nombreuses recherches, nous n’avons pas trouvé trace dans les minutes, des réponses que le prince eût adressées à cette personne. Restait donc à identifier cette mystérieuse « Madame Trente-quatre ».
Lorsque Madame Trente-quatre devient Madame Troisième.
De la lecture de ses lettres, nous pouvons déterminer que notre mystérieuse correspondante appartenait à la cour où elle était quotidiennement au contact de la reine et du roi. Nous avons compris qu’un certain personnage désigné sous le nombre « 205 » que nous pensons avoir identifié comme étant la Dauphine, informé ou soupçonnant cette liaison, avait montré sa désapprobation avec insistance. Cette « 205 » et «Madame Trente-quatre» devaient être socialement proches puisque celle-ci demanda une explication sur l’attitude de froideur et de reproche qu’elle avait remarquée chez celle là. Nous avons envisagé puis rejeté l’idée que « Madame Trente quatre » pût être la reine Marie Leszczynska ou une maîtresse du roi Louis XV. Au-delà de la différence d’âge, la simplicité du cryptage obliga à éliminer une telle hypothèse, les lettres n’auraient eu aucune chance de garder leur confidentialité face aux spécialistes du cabinet noir. Il est surtout difficilement concevable que la très sage Marie Leszczynska pût avoir une telle liaison. L’hypothèse d’une fille du roi Louis XV fut sérieusement envisagée puis dans un premier temps, rejetée ; en effet dans une lettre datée du 12 mars [1766], la mystérieuse « Madame Trente-quatre » indiqua qu’elle avait appris « la perte de [son] bon papa le mois précédent367 » ; elle insista dans cette lettre et les suivantes, sur la peine que cette mort lui causa. Il ne nous restait qu’un indice à exploiter : Qu’elle était cette princesse ou grande dame qui en 1766 espérait mais n’obtint pas le domaine de Malgrange ?
Tout s’éclaira à la lecture de Jacques Levron368. Celui-ci indique qu’il existait un profond amour filial entre le roi Stanislas Leszczynski et ses petites filles, que celles-ci vinrent plusieurs fois prendre les eaux à Plombières où elles aimaient retrouver leur grand-père, et qu’elles l’appelaient « notre bon papa », les termes mêmes que nous retrouvons dans la lettre du 12 mars [1766] : « J’ai si mal à la tête […] cela vient de ce que […] je me suis affligée de la mort de mon bon Papa, et que j’ai pleurée […] ». Cet indice, l’héritage espéré du domaine de Malgrange, le contact permanent avec le roi, la reine et la dauphine, tout indiquait que nous étions en présence d’une fille du roi Louis XV.
En 1766, quatre princesses royales vivaient à la cour de Versailles : Marie Adélaïde, Marie-Victoire, Sophie et Louise, âgées de trente-quatre à vingt-neuf ans. Michel Mourre n’en a retenu que trois dans son Dictionnaire Encyclopédique d’Histoire, oubliant Madame Victoire. La piété et la rigueur de leurs mœurs y furent louées pour Sophie et Louise. Restait Adélaïde pour qui il fit un commentaire sévère : « elle était de mœurs assez libres et se compromit avec un garde du corps ». Autre élément fourni par Michel Antoine369 et nouveau clin d’œil de l’Histoire : « Vers la fin de 1747, Madame Troisième Adélaïde, [fut] destinée au jeune prince de Conty ; quelque temps après, d’autres partis furent envisagés : les princes Xavier et Albert de Saxe, frères de la Dauphine, tous projets à peine ébauchés, et en outre irréalisables ». Ainsi, pour le lit de Madame Troisième comme pour le trône de Pologne, Xavier de Saxe suivait les traces de Conty. Il semble qu’à la différence de la Pologne, il parvint à ses fins avec la princesse et que secrètement « le projet ne fut pas qu’ébauché ».
Six mois après que les lignes précédentes furent écrites, nous découvrîmes dans le courrier de la Dauphine, quelques minutes des réponses que le prince Xavier lui fit. Dans deux de ces minutes Voir Fonds de Saxe, liasse E*1507 datées des 25 et 26 novembre 1762, le prince termina ses lettres en demandant expressément370 à sa sœur, « de faire [sa] cour à Torche », utilisant le surnom que Louis XV avait donné à sa fille Madame Adélaïde ce qui confirmait l’existence de liens étroits entre le prince et la princesse. Plus tard, nous étudiâmes la correspondance de Madame Adélaïde. L’ambiguïté était levée et nous fumes convaincu d’avoir identifié « Madame Trente-quatre ».
Conclusions sur les lettres de Madame Trente-quatre.
Avions-nous identifié la mystérieuse Madame Trente-quatre ? Nous le pensâmes. À défaut d’avoir pu le faire avec certitude, nous avions rassemblé quelques éléments nous permettant de construire une image des mœurs existantes dans l’entourage du prince Xavier. En juillet 1763, il avait eu, semble-t-il, une aventure (marivaudage ou passion) avec sa belle-sœur du vivant de son frère371 ; il s’était marié secrètement à la comtesse Spinucci en mars 1765 alors qu’à la même date il entretenait une liaison amoureuse avec la mystérieuse Madame Trente-quatre. Rien de tout cela ne doit nous surprendre. Il n’y avait aucune raison pour que les mœurs du roi Louis XV d’une part, et ceux de la sage Marie Leszczynska d’autre part, pour ne citer que ceux-là, ne se retrouvèrent pas dans leur entourage ; et en conséquence, que l’historien découvre une société composée simultanément, de personnages très libres dans leur comportement et d’autres extrêmement rigides dans leurs règles de vie.
Pourquoi le prince Xavier n’épousa-t-il pas Madame Troisième Adélaïde ? Dans un premier temps, nous pensâmes que seule un prince d’une famille souveraine majeure pouvait être jugé digne de lier son sang à la fille du roi de France. L’électorat de Saxe n’avait pas encore atteint le niveau requis372. Pour la noblesse française, à la différence des princes de culture allemande, le sang de l’homme était prépondérant dans un couple, il purifiait et élevait celui de sa compagne. Ainsi, le Dauphin pouvait épouser une princesse de Saxe et une fille naturelle de Louis XIV avait pu se lier à un prince du sang. Par contre de telles alliances n’étaient pas acceptées dans l’Empire, les quartiers de noblesses se comptabilisant à la fois dans les lignes paternelles et dans les lignes maternelles. Ceci expliquait la colère de la princesse Palatine à l’annonce du mariage de son fils ; cela expliqua aussi, les difficultés du prince Xavier pour trouver dans l’Empire un établissement, après sa mésalliance avec la princesse Spinucci, et enfin ceci ne fut peut-être pas étranger à sa décision de garder ce mariage secret pendant douze ans et à résider en France où une telle mésalliance posait moins de problème.
Conclusions sur l’ensemble du chapitre V.
L’étude qualitative de la correspondance reçue par le prince Xavier permit de faire connaissance avec chaque membre de la fratrie. Il fut possible de découvrir quels étaient les éléments de leur vie quotidienne, leurs distractions, leurs soucis, leurs ambitions et aussi leurs deuils ; les mots utilisés par Madame Adélaïde pour parler du décès de la Dauphine et pour exprimer sa peine et sa sympathie au prince Xavier, furent d’une grande tendresse.
Certaines questions que nous espérions y trouver, furent absentes. D’autres que nous n’attendions pas, occupèrent une grande place ; nous pensons en particulier aux démarches du prince Clément pour obtenir le siège épiscopal de Liège, ou l’utilisation du prince Xavier comme intermédiaire entre deux sœurs pour obtenir la coadjutorerie de Remiremont. Nous y découvrîmes une Dauphine inattendue. Une grande amitié entre celle-ci, Christine de Saxe et Madame Adélaïde. La société des princes était parfois une grande famille.
Ce réseau d’amitié permis d’esquisser le réseau de la fratrie. Pour le compléter, nous comptâmes beaucoup sur l’étude statistique qui fit l’objet du chapitre suivant.