« MONSIEUR ET TRÈS CHER FRÈRE… » COMMENT SE PRÉSENTAIT LA CORRESPONDANCE ADRESSÉE AU PRINCE XAVIER DE SAXE ?
Le prince Xavier de Saxe reçut un peu plus de quatre mille quatre cents lettres de ses frères et sœurs. Trois cent seize furent
sélectionnées sur lesquelles fut
effectuée une analyse statistique par recherche de mots-clefs. Mais avant tout traitement analytique,
il a semblé nécessaire de présenter qualitativement, le
courrier envoyé par chaque correspondant
206.
Les relations épistolières à l’intérieur de la fratrie ne furent pas identiques dans leurs volumes ; il n’était pas surprenant
que les différences d’âge
entraînassent des relations plus étroites entre certains frères et sœurs ; ainsi, un solide attachement
fraternel unissait le prince Xavier et la Dauphine, mais
aussi à ses sœurs Elisabeth et Christine. À partir du tableau joint au chapitre IV
207 indiquant la distribution des
lettres reçues de chaque correspondant, il fut possible par le simple examen du volume de la correspondance
adressée, de deviner les courants d’amitiés
principaux et les relations privilégiées qui existaient entre les princes et princesses de Saxe. Ainsi,
le prince Xavier ne conserva dans ses archives, aucune
trace d’une correspondance qu’il aurait reçue de sa sœur Marie-Amélie, la future reine d’Espagne, et seules
quelques lettres qu’il lui avait écrites, furent
retrouvées dans ses archives. Par contre, il fut possible de consulter mille cinq cent vingt-sept lettres
qu’il reçut de sa sœur Elisabeth, mille treize lettres
que lui adressa sa sœur Marie-Anne, l’épouse de l’électeur de Bavière et trois cent cinq lettres que lui
envoya la Dauphine
208. De ses frères, il reçut quatre cent soixante-dix-huit lettres
de Clément de Saxe, l’archevêque-électeur de Trèves, cent quatre-vingt-dix-huit de son frère Albert, le
lieutenant-gouverneur de Hongrie, devenu plus tard
vice-roi des Pays-Bas autrichiens. Par contre, les archives ne contenaient que trente-cinq lettres de
son frère Charles avec lequel il semblait pourtant très
proche ; c’est-à-dire, un peu moins que les trente-neuf lettres qu’il conserva de ses échanges avec le
dauphin Louis de France, et de ses sœurs, les filles du
roi Louis XV.
Dans la présentation du courrier de chaque frère et sœur, un peu plus de temps fut consacré à décrire les lettres des premiers
correspondants, car il parut
souhaitable que le lecteur se familiarisât avec la forme que prenait cette correspondance de la fin du
XVIIIe siècle, une présentation
peu différente de celle en usage dans l’aristocratie française ou la haute bourgeoisie de la première
moitié du XXe siècle. C’est dans
ce chapitre que furent exposées les remarques et les hypothèses retenues lorsque furent rencontrées des
lettres au contenu particulier qui laissait deviner des
événements ou des situations exceptionnelles. Pour présenter ces lettres, il fut décidé de suivre l’ordre
adopté par J.-J. Vernier et son équipe.
Correspondance du prince Frédéric-Christian-Auguste, électeur de Saxe (1763).Voir Fonds de Saxe
Aîné de la fratrie, le prince électeur de Saxe, Frédéric-Christian-Auguste, fils du roi de Pologne Auguste III, disparut le
12 décembre 1763, soit quelques
semaines après son père décédé le 5 octobre
209. Sa correspondance se situant hors de la sélection retenue, elle ne fit pas l’objet d’une
étude statistique détaillée. Elle commença en 1756. Les archives ont conservé cent une lettres contenues
en une seule liasse cotée E*1486
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1486.
Vingt-sept de ces lettres sont citées dans
l’Inventaire de J. J. Vernier. Le prince Frédéric-Christian adressait souvent
plusieurs lettres par mois à son frère, les réponses du prince Xavier étaient moins fréquentes, généralement
mensuelles et presque toujours écrites dans les
derniers jours du mois
210.
L’adresse écrite sur le verso de la feuille, pliée pour former enveloppe, était toujours identique :
« À Monsieur
Monsieur le Prince Xavier
Mon très cher frère
211 ».
L’en-tête était toujours la même :
« Monsieur et très cher frère ». Toutes les lettres se terminaient par des formules extrêmement affectueuses. Deux
furent transcrites en respectant scrupuleusement la présentation et l’orthographe
212
:
« […] et n’oubliez jamais un frère qui vous prouvera combien il vous aime sincèrement à toutes les occasions qui pourront
se présenter. Je finis en vous
embrassant tendrement et suis,
Monsieur et très cher frère,
Dresde,
Votre très affectionné frère
le 5 nov
bre 1756 »
« […] Je vous embrasse de tout mon cœur et suis à jamais, avec la plus sincère tendresse,
À
Nimphenbourg
213,
Votre très affectionné frère
ce 9 août 1760. »
Fridéric.
Toutes les lettres furent rédigées en français de la même main qui compte tenu du handicap physique du prince pourrait être
celle d’un ou plusieurs
secrétaires. Il ne fut relevé aucune construction grammaticale anormale, encore moins germanisante.
Le papier utilisé était filigrané : un homme et femme,
en costume d’époque. Les feuilles mesuraient trente-cinq par vingt cinq centimètres et étaient utilisées
pliées par la moitié, écrites recto verso.
Périodiquement quelques-unes furent rédigées sur papier bordé d’une bande noir lorsque le prince était
touché par la disparition d’un proche. Ce fut le cas
en décembre 1756, lors du décès de sa belle-mère, l’impératrice Marie-Amélie d’Autriche, épouse de
l’empereur Charles VII. Le bord supérieur de certaines
lettres fut coupé (bande de cinq millimètres sur toute la largeur de la lettre) par, semble-t-il,
le destinataire, sans que l’on puisse trouver une
explication. À compter du printemps 1758, la plupart des lettres portaient inscrits en haut à gauche,
un numéro d’ordre, la date de réception et la date de
réponse
214. Certaines (une lettre sur quatre) contenaient des paragraphes écrits à l’encre sympathique
215 qui avec le temps se sont
partiellement effacés et ne sont plus toujours compréhensibles. Dans ce cas, les lettres n’avaient
ni en-tête, ni signature. Les paragraphes non
confidentiels étaient rédigés par une main différente et étaient d’une grande banalité. L’un de ces
paragraphes confidentiels est resté lisible ; on peut y
lire écrit de la main du prince électeur
216 :
« Vous me ferès plaisir, mon très cher frère de donner les nouvelles que vous sauvès et de vous servir, à cette fin de l’ancre
blanche. Ecrivès nous
aussi souvent que vous voudrès mais pour que vos lettres m’arrivent sûrement, adressès les à Munich
[… le reste de la lettre n’est plus compréhensible]
».
À plusieurs occasions, des minutes des réponses du prince Xavier furent retrouvées entre certaines lettres reçues
217. Elles étaient écrites sur un papier filigrané de
format différent : feuilles de trente-six par vingt-trois centimètres, utilisées pliées en deux, recto
verso. Leur calligraphie avait été extrêmement
soignée ; comme pour toutes les minutes, il fut conclu qu’elles avaient été écrites par un secrétaire.
Par contre, on nota dans les états récapitulatifs des
minutes, que les lettres adressées à sa famille ou à de grands personnages : le roi Louis XV, le Dauphin,
la famille impériale, étaient mentionnées «
manuscrites » par différence avec la mention « signées » pour la plupart des autres lettres. Dans
le cas présent, ces minutes furent adressées « Au P.
ce Electoral. » et ne comportaient pas de signature.
Toutes les lettres du prince électeur qui furent citées dans l’Inventaire de J. J. Vernier, étaient directement liées aux
opérations militaires de la guerre de Sept ans : mouvements de troupes alliées ou ennemies, succès
ou défaites encourues. Sept événements non militaires y
apparurent sans pour cela être nécessairement le sujet unique ni même principal : la mort de l’impératrice
sa belle mère (lettre du 20 décembre 1756), deux
recommandations pour des gentilshommes à des postes militaires ( 28 avril et 4 juillet 1758), la grossesse
de la princesse électorale (13 octobre 1758), le
décès de la duchesse de Courlande, belle-mère de leur jeune frère Charles (1er février 1760), l’espoir
d’une guérison du duc de Bourgogne, fils de la
Dauphine (12 avril 1760), la mort du cardinal de Bavière, ouvrant un établissement pour leur frère
Clément (28 février 1763).
Dans les vingt-sept lettres de l’
Inventaire, aucun sujet politique ne fut abordé, aucun personnage allié militaire ou civil ne fut
critiqué dans ses décisions. Aucun événement mondain autre que les sept mentionnés plus haut, ne fut
abordé. Trois lettres sur les vingt-sept
218, traitèrent de
recommandations ou de recherches d’établissement pour un membre ou pour un gentilhomme proche de cette
fratrie.
Restait la correspondance de guerre de ces deux princes. Malgré son volume limité (une centaine de lettres et leurs réponses)
elle pourrait être une source
historique nouvelle donnant accès à des informations politiques et stratégiques intéressantes, voire
originales, que le prince électoral, par la position
centrale qu’il occupait, aurait pu rassembler.
Marivaudage ou liaison amoureuse entre Xavier de Saxe et sa belle-soeur Marie Antoinette de Bavière ?Voir Fonds de Saxe
Les lettres de Marie-Antoinette de Bavière
219Voir Fonds de Saxe, liasse E*1487,
épouse du prince Frédéric Christian-Auguste, l’électeur de Saxe, étaient contenues en une seule liasse
cotée E*1487
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1487.
Cette correspondance fut étudiée dans le but de prolonger celle du prince électeur après sa disparition.
Elle comportait sept lettres dont quatre firent
l’objet d’un commentaire dans l’
Inventaire de J.-J. Vernier et donc, de l’analyse statistique. À l’exclusion d’une lettre de
félicitations pour la prise de Cassel par le prince en 1760, elles traitèrent toutes, de l’obtention
« d’une place de dame de clef » pour la comtesse
Spinucci (datées de mai à novembre 1770).
Vérifiant dans les minutes du prince
220Voir Fonds de Saxe, liasse E*1452,
la nature du courrier rédigé en réponse, il fut découvert que, d’une part, les minutes de ces lettres
bénéficiaient d’un classement particulier
221, et qu’il existait
d’autre part, une anomalie dans la fréquence de ce courrier. Que se passa-t-il entre le prince Xavier
et sa belle-sœur à l’été 1763 ? Entre le 5 et le 27
juillet, le prince Xavier lui adressa neuf lettres lorsqu’il s’éloigna de Dresde pour accompagner
le roi de Pologne, son père, et son frère aîné, aux eaux à
Töplitz. Ces lettres étaient affectueuses, voire très tendres tout en conservant une grande décence
dans leurs formes et dans les termes utilisés. L’idée
d’une liaison amoureuse vint rapidement à l’esprit. Elle avait quarante et un ans. Elle était mariée
à l’héritier de l’électorat de Saxe depuis seize ans.
Elle lui avait donné sept enfants, tous espacés de deux ans ; la dernière fille, Marie-Anna, était
née en février 1761 ; elle n’eut plus d’autre enfant.
Elle avait perdu son troisième fils Joseph âgé de neuf ans, au début du printemps. Lui avait trente-trois
ans. Il était au sommet de sa gloire, l’un des
rares vainqueurs chez les alliés dans la guerre de Sept ans et candidat du roi de France pour le trône
de Pologne si celui-ci devenait vacant. On lui
connaissait des maîtresses pour cette période, mais étonnamment, toutes sa correspondance amoureuse
s’arrêta durant cette année 1763 (elle reprit plus
tard). La cour de Dresde passait pour très libre dans ses mœurs
222 ; et dans d’autres cours d’Europe,
un flirt ou une liaison amoureuse entre un prince et sa belle-sœur, voire sa fille, avaient été soupçonnés
à plusieurs occasions. L’historien ne peut jamais
sonder « les cœurs et les reins » des personnages qu’il étudie. Aussi pour permettre au lecteur de
se faire une opinion, pour qu’il puisse trancher entre
les différentes options : badinage mondain, flirt, ou liaison amoureuse, quelques extraits de ces
lettres ont été joints ; la présentation et l’orthographe
d’origine furent volontairement conservées.
5 juillet 1763 :
Lettre envoyée de Töplitz où le prince Xavier était arrivé la vieille :
« J’use de la permission que vous m’avès donnée de Vous écrire pour m’informer de votre chère santé […] je me bornerai de
vous prier de me continuer
toujours vos bontés que j’ose dire, je mérite un peu par le plus tendre et respectueux attachement
avec lequel je ne cesserai d’être toute ma vie ».
7 juillet 1763 :
« Töplitz. […] Les marques de bonté que vous me témoignès par votre chère lettre du 5 d. c.
223Voir Fonds de Saxe, liasse E*1487
m’ont comblé de joie, […]. La consolation de m’entretenir le plus souvent par écrit avec une personne
que si je ne devois respecter, je m’émanciperai à dire
que j’aime et embrasse avec toute la tendresse possible ».
13 juillet 1763 :
« Töplitz. […] je désirerai bien pouvoir rapprocher encore davantage le moment de Vous revoir, chère Sœur, et de vous assurer
de bouche
224 du plus tendre et respectueux attachement avec lequel je
ne cesserai d’être toutte ma vie ».
14 juillet 1763 (un fac-similé de cette lettre est joint, page suivante) :
« Töplitz. Vous dire que je suis homme insupportable de vous importuner si souvent par mes lettres n’ayant à peine encore
24 heures que je vous ai écrit,
j’avoue que c’est une indiscrétion de ma part, mais que vous devès attribuer qu’aux bontés dont Vous
m’avès comblé, lesquelles m’étant toujours présentès,
m’emporte à n’écouter que les mouvements de mon cœur qui ne souffre que trop déjà de se voir si longtemps
éloigné de vous et ne serois–je pas répréhensible
si je lassa partir d’ici Made de Lodron sans la charger de quelques lignes pour vous, chère sœur, et je suis trop intéressé de
saisir avec empressement touttes les occasions qui se présentent pour laisser échapper une si belle
de me rappeler dans votre cher souvenir et vous
renouveller les assurances les plus tendres et les plus sincères de l’inviolable et respectueux attachement
avec lequel je ne cesserai d’être tans que je
vivrai. »
17 juillet 1763 :
« Töplitz. [… vous présentant mes con]gratulations sur l’anniversaire du jour où vous êtes venue dans le meilleur des Mondes
possibles comme dit Maître
Pangloss dans Candide
225, […] la satisfaction de vous revoir et de vous renouveller de
bouche que je cesserai plutôt de vivre que de vous respecter et aimer ».
Fac-similé de la lettre du prince Xavier du 14 juillet 1763, cote E*1452.
A cette lettre du 17 juillet 1763 (page 69), suivait une seconde lettre datée du même jour, plus officielle, puisqu’il s’agissait
d’obtenir une affectation
dans un régiment de cavalerie pour un officier blessé ne pouvant plus servir dans l’infanterie. La
formule finale employée était très différente :
« Je suis avec le plus inviolable et respectueux Attachement. »
Trois autres lettres datées des 21, 23 et 27 juillet furent conservées. Avec amusement le lecteur pourra remarquer que la
dernière commençait par cette
formule :
« Quoique j’espère avoir le plaisir de vous revoir demain
226, je ne puis cependant
m’empêcher de vous écrire encore ces lignes pour profiter du départ du Cap
e Wintzingerode et ne laisser échapper aucune occasion
de vous réitérer les assurances de mon plus tendre attachement pour vous, très chère sœur, qui ne
finira qu’avec ma vie. […] je finis celle cy en vous
embrassant, chère sœur, avec toutte la tendresse et respect possible ».
Il faut maintenant, dire un mot des réponses de la princesse. Trois lettres de cette période, datées des 5, 10, 21 juillet
furent retrouvées. L’écriture de
la princesse fut très difficile à déchiffrer. Les lettres furent partiellement détériorées par l’humidité
et de larges passages sont devenus illisibles. On
peut penser que le lecteur serait intéressé de se voir proposer quelques extraits de la lettre que
la princesse lui écrivit le 5 juillet, le lendemain du
départ du prince, c’est-à-dire, de leur séparation ; cette lettre fut écrite bien avant que l’électrice
n’eût reçu la première lettre que le prince Xavier
lui adressa depuis Töplitz :
« Mon très cher frère comme je suis privé du plaisir de vous voir je veux au moins avoir celuy de m’entretenir avec vous.
J’espère que vous serès
heureusement arrivé et vous assure que vous me manquès […] ».
La suite est partiellement illisible. On nota cependant les expressions suivantes qui pourraient confirmer l’hypothèse d’une
liaison :
« [… ce] frère me manque cruellement et je ne puis m’habituer d’être sans vous […] que cette absence est une cruelle chose
[…] ».
Ce fut peut-être une belle aventure amoureuse pour ces deux adultes qui auraient retrouvé des émois d’adolescent. Une aventure
qui ne dura que quelques mois.
En effet, le
Fonds de Saxe ne contient pas de lettres pour la période 23 juillet 1763 au 1er juillet 1769
227. La princesse devint veuve cinq mois plus
tard. Le prince Xavier fut désigné comme régent de la Saxe. Il décida d’associer sa belle-sœur à l’administration
de l’Électorat. La liaison entre les deux
corégents était elle terminée ? On peut le penser. En effet, au printemps 1764, le prince Xavier entreprit
une démarche épistolière étonnante auprès de son
frère cadet, le prince Albert qui résidait à Vienne ; une démarche qui pourrait ressembler à la manœuvre
ultime mais ridicule d’un amant éconduit. Pour
permettre au lecteur de se faire sa propre opinion, le document correspondant a été transcrit ci-dessous.
Il ne comportait ni en-tête, ni adresse, ni date,
ni signature, mais fut écrit de la main du prince Xavier :
« L’amitié que vous m’avès toujours témoigné et l’attachement que je vous connais pour notre chère Belle-sœur, m’engagent
à vous prier de m’écrire dans
votre privée
228, soit en clair ou en encre blanche
mais comme de vous-même et sans qu’il paroisse que je vous aie écrit
« qu’on tenoit à Vienne des discours qui par l’attachement que vous aviès pour elle,
vous faisoit bien de la peine et dont vous vouliès me prévenir pour chercher à les détruire quoique
vous n’y ajoutiès pas foi, qu’on disoit que
Fleming229 ‘‘ (que vous
ne nominès pas Ourse) ’’ lui faisoit la cour, qu’elle le voioit avec plaisir, faisoit continuellement
sa partie de jeu avec lui, lui parloit des yeux et
gestes et qu’a touttes les parties de plaisir et autres, il en étoit toujours et assis auprès
d’elle, que je sentirois aisément combien ces discours
quoique peut être mal fondés faisoit du tort à l’Electrice et que je saurois les moiens propres
de l’en prévenir pour son bien sans vous
compromettre ». Vous sentirès par ce que je vous mande, les raisons qui m’ont engagé à vous prier de m’écrire en ces termes sans que j’ai
besoin de
vous l’expliquer
Voir Fonds de Saxe,
liasse E*1489 »
En janvier 1765, soit un an plus tard, le prince Xavier tomba amoureux de l’une des filles d’honneur de la corégente, la comtesse
Claire-Marie Spinucci,
« une italienne d’une grande beauté230 ». Il semble, à la lecture de Casimir
Stryienski
231 que l’électrice favorisa cette
idylle qui se termina par un mariage morganatique célébré le 9 mars 1765
232.
Pour terminer ce voyage dans l’intimité de deux amoureux, mais surtout pour illustrer ce mémoire et pour donner un exemple
de la présentation des lettres
échangées, il a été joint la copie d’une lettre que le prince Xavier adressa à sa belle-sœur, dix
ans plus tard pour lui présenter ses vœux de nouvel an. Le
lecteur jugera que les formules de politesse étaient différentes.
La lecture de la correspondance de l’électrice apporta peu informations historiques nouvelles. Il fut amusant de découvrir
ce marivaudage ou cette liaison
amoureuse. Sous réserve qu’elle ait réellement existé, elle confirmerait que la liberté de mœurs qui
existait dans une partie de la population
aristocratique masculine, se retrouvait chez leurs équivalents féminins. Ne fallait-il pas être deux
pour former un couple, qu’il fût légitime ou non ?
Copies de lettres du prince Xavier à sa belle-sœur.
Copie d'une lettre que le prince Xavier envoya à sa belle-soeur en décembre 1773, pour lui présenter ses voeux de nouvel an.
Les archives du prince Xavier contenaient trente-cinq lettres
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1488 de
son frère Charles, duc de Courlande, deuxième cadet de la fratrie. Elles furent toutes écrites entre
1770 et 1790 et douze furent citées dans l’
Inventaire de J.-J. Vernier et donc reprises dans le tableau d’analyse. Elles étaient signées
« Charlot233 ». Leur fréquence et les réponses du prince Xavier furent généralement mensuelles. Les douze lettres étudiées traitèrent des
sujets principaux suivants :
- Débordement de la Seine à Paris.
- Visite Basilique Saint-Denis.
- Fêtes données à Dresde.
- Condoléances à la mort de Louis XV.
- Paiement d’arrérages d’origine polonaise (deux lettres).
- Représentation du Déserteur.
- Grossesse de la comtesse de Courlande.
- Mort de l'Impératrice Marie-Thérèse.
- Vœux à l’occasion du mariage de la princesse Elisabeth (fille du prince Xavier).
- Félicitations pour la naissance d'une petite fille.
- Avis de décès du roi d'Espagne.
Dans cette correspondance, seize mots-clefs furent identifiés représentant trente-trois occurrences
234. Leur analyse n’apporta pas de renseignements significatifs, les lettres se limitant à donner des
nouvelles familiales ou à rapporter des événements de cour :
Mots-clefs apparaissant dans les lettres de Charle de Saxe.
La lecture des lettres laissa cependant apparaître quelques éléments intéressants d’inégale importance. C’est ainsi qu’en
janvier 1770, le prince Charles de
Saxe effectuant un voyage en France, fut reçu à Marly ; c’est l’indication que trois ans après le
décès de la Dauphine, la maison de Saxe avait toujours ses
entrées à la cour de France et appartenait au cercle des intimes du roi. Autre événement remarquable,
en janvier 1789 le décès du roi d’Espagne, Charles
III
235, entraîna à la cour de Vienne, l’interruption pendant quinze jours de toutes les fêtes et réjouissances du carnaval ; ainsi,
le descendant
de celui qui avait « usurpé » aux Habsbourg, le trône d’Espagne, appartenait malgré tout à la grande
famille des princes souverains et l’Autriche devait
pleurer sa disparition. Dans cette famille de princes couronnés, la fratrie de Saxe avait sa place,
que ce fût à Marly, à Vienne ou à Madrid.
Correspondance du prince Albert de Saxe, lieutenant-gouverneur de Hongrie, marié à la fille236 de l’empereur François Ier et de l’impératrice Marie-Thérèse.Voir Fonds de Saxe
La correspondance du prince Albert, duc de Teschen, comprenait cent quatre vingt dix-huit lettres reçues, contenues dans deux
liasses cotées E*1489 et E*1490
Voir Fonds de Saxe, liasses E*1489 et
E*1490. Quarante-quatre de ces lettres firent l’objet d’une analyse dans l’
Inventaire de J.-J. Vernier, mais seulement
deux entraient dans les limites temporelles retenues.
La fréquence d’envoi fut très variable, elle était d’une lettre par semaine pendant la guerre de Sept ans, mais fut beaucoup
plus espacée dans les années
soixante-dix et après
237. L’en-tête et la formule finale furent toujours identiques :
« Monsieur et très cher frère »,
« Votre très humble et très affectionné serviteur et frère ».
Elles étaient signées « Albert ». Le papier était filigrané, un blason formé d’un olifant
238 surmonté d’une couronne royale, le tout complété par l’inscription « C. & I. Honig ».
Toutes les lettres furent écrites de la main du prince qui possédait une très belle écriture d’une
grande régularité
239. Les constructions de phrases et
certains termes utilisés ont semblé très français et très contemporains ; il fut noté que le prince
Albert (comme la Dauphine), à la différence de ses
frères, utilisait le « z » dans la conjugaison des verbes à la seconde personne du pluriel. La présence
d’accents et une ponctuation correcte firent penser
que le prince avait reçu une excellente éducation. Les lettres furent toutes cachetées avant expédition
par un sceau armorié de cire rouge (noire en période
de deuil). Aucune ne fut numérotée, mais toutes portaient les indications des dates de réception et
de réponse. Plusieurs lettres traitaient de questions
confidentielles et furent écrites à l’encre sympathique.
Deux lettres seulement firent l’objet du traitement statistique. La première
240Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489
annonçait la mort de l’impératrice Marie-Thérèse, survenue la veille ; la seconde
241Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489
était une réponse relative au mariage prochain d’Elisabeth de Saxe, fille du prince Xavier. Ces deux
lettres n’apportèrent aucun élément remarquable à cette
étude. Aussi, fut-il décidé de sortir de la sélection retenue et d’étudier les vingt-et-une lettres
de la période 1770-1790. Là encore, il apparut que ces
lettres contenaient principalement des témoignages d’amitié fraternelle, des nouvelles familiales,
et des remerciements après des visites effectuées chez
l’autre correspondant
242. L’étude devenue
qualitative, fut étendue à toute la correspondance que le prince Albert adressa à son frère Xavier
entre 1760 et 1770, soit cent soixante-treize documents
plus un cahier de vingt-trois feuillets
243. Il y fut découvert quelques éléments méritant d’être notés : Dans les lettres écrites pendant la guerre de Sept ans (période
1760-1762), le prince Albert relata essentiellement les faits militaires de l’armée autrichienne avec
la volonté d’informer son frère sur le déroulement des
opérations. Dans près d’une lettre sur deux, il y fit des recommandations pour des officiers souhaitant
être mutés et voulant rejoindre le corps saxon
commandé par le prince Xavier. Il est apparu qu’il s’agissait toujours d’officiers subalternes connus
des deux frères, les ayant déjà servis dans d’autres
circonstances. C’était la confirmation de l’existence d’une clientèle
244 autour de la famille
de Saxe, clientèle qui bénéficiait du réseau de la fratrie, un réseau qui se dessine peu à peu.
Cette correspondance du prince Albert adressée à Xavier de Saxe, fit découvrir l’existence d’une grande complicité entre les
deux frères
245. Une complicité qui ne fut pas retrouvée chez le prince Charles, pourtant plus proche en âge, ni chez le prince Clément.
Ainsi, pendant les
années d’administration de l’électorat de Saxe, Albert résida hors de Dresde, principalement à Vienne.
Il avait vingt-cinq ans, une vie sentimentale de
jeune prince, et dans de nombreuses lettres à l’encre sympathique, il demanda à son frère Xavier,
d’effectuer des démarches auprès d’une certaine personne
ou de lui remettre des courriers, voire à une occasion, une somme d’argent importante
246. Dans des
circonstances identiques, la relation du prince Xavier avec sa belle-sœur, Albert rendit un service
similaire en retour. Cette correspondance très libre,
entre ces deux complices, fut souvent amusante ; ainsi, dans une lettre datée du 27 décembre 1764
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489,
Albert annonçant le décès d’une dame de Vienne, ancienne maîtresse du prince Xavier, la recommanda
aux prières de son frère dans ces termes :
« À propos d’une ancienne connaissance, ne manquez pas de dire un De profondis et Memento pour certaine dame dont la liaison
intime vous fit si fort maudire les courses nocturnes qu[e] vous entreprîtes jadis à son honneur et
gloire et qui (à ce que dit la médisance), par une suite
de ces douceurs funeste que vous vous communiquâtes, alors, abandonna ce monde dont elle ne faisait
plus l’ornement ».
Autre élément de cette correspondance méritant un commentaire : les deuils familiaux. Le décès d’Auguste III, leur père, entraîna
un deuil ‘‘épistolier’’ de
trois mois, à savoir, utilisation d’un papier à lettre bordé de noir et d’un sceau de cire noir. Par
contre, la mort de leur frère aîné, l’électeur
Frédéric-Christian, ne fit apparaître aucune marque extérieure sur les lettres du prince Albert. Il
fut même remarquable que cette disparition ait été à
peine marquée dans le contenu de la correspondance. Ainsi, dans une lettre du 24 décembre 1763
247, le prince Albert renouvela ses marques de sympathie à celui qui est devenu l’aîné de la fratrie :
« Je vous écris, cher frère, que ce couple de lignes, vous sachant si occupé à présent, et pouvant assez imaginer vos douleurs,
pour ne pas les augmenter
par mes jérémiades. Le coup qui vient de nous frapper est d’ailleurs si terrible que tout ce que je
pourrai vous dire là-dessus, ne pourroit exprimer ce que
je ressens. […] »
Mais vingt jours plus tard, dans deux lettres datées des 15 et 16 janvier 1764, il ne fut plus question ni de la disparition
ni de douleurs, mais, dit le
prince :
« [des] occupations que j’ai depuis quelque tems ici, jointes aux divertissements du carnaval, me laissant peu de moments
libres, je ne [peux] que vous
écrire cher frère quelques lignes à la hâte pour vous assurer de ma tendre et constante amitié. […]
» (Lettre du 15 janvier).
« Comme les divertissements du Carnaval, ne me laissent que très peu de tems pour écrire, je veux au moins mettre à profit
les moments libres que je
trouve à l’heure qu’il est pour vous griffonner à la hâte ce couple de lignes. Je vois par votre dernière,
cher frère, que vous avez commencé votre carnaval
à peu près de la même façon que nous. Je souhaite seulement que vous soyez toujours en état de le
soutenir de même. […] » (Lettre du 16 janvier).
Cette lettre continua sur le même thème et sur le même ton pendant sept autres lignes. Un post-scriptum de quatorze lignes
rappela un problème de paiement
d’arrérages impayés, dans les termes suivants :
« [...] outre les anciens, il me reste encore [les] derniers mois de l’année 63 dont il ne m’a été rien payé comme à vous
autre l’année passée. Je
souhaiterois [qu’ils me soit payées] le plus tôt possible, d’autant plus que les noces du roi, m’engagent
à de toutes sortes de dépenses extraordinaires.
Vous me rendrez un grand service cher frère, en me les procurant, et j’en ai vrayment besoin. »
Dernière remarque sur ces deux lettres, aucune ne fut scellée d’un cachet noir, signe de deuil, mais du sceau rouge aux armes
du prince.
Autre élément intéressant, le mariage et l’établissement du prince Albert. Dès 1763, la rumeur courut à la cour autrichienne
sur un mariage à venir entre le
prince Albert et l’archiduchesse Christine
248Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489249. Deux ans plus tard, Albert demanda à son frère devenu
l’aîné de la fratrie, de solliciter pour lui, la main de l’archiduchesse Marie
250Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489251. Cela changea sa vie :
« […] S. M. l’Impératrice m’a fait entrer à présent dans une carrière […] ; et elle m’a mis à la tête du gouvernement du royaume
[de Hongrie] dont la
forme et les constitutions sont tout à fait différentes des autres états […] »
252Voir Fonds de Saxe, liasse
E*1489.
Certaines lettres contenaient des passages à l’encre sympathique. Ce fut le cas à l’automne 1763, les deux frères échangèrent
des informations relatives à
succession à la couronne de Pologne. Il y fut mention de la venue à la cour de Vienne de personnages
253
liés à cette succession, et qui souhaitaient rencontrer l’impératrice. Le prince Albert était lui
aussi, très proche de Marie-Thérèse
254, au point de recevoir ses confidences sur cette succession. Aussi, fut-il en mesure
d’écrire au prince Xavier
255Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489
:
« […]. Ce que vous me mandez touchant la Muiszech
256 ne me surprend pas du tout, ayant appris ici des choses encore bien plus fortes sur le compte d’elle et de son mary. D’ailleurs
les
nouvelles que l’on [a] ici de Pologne ne sont pas aussi favorables,
que l’on compte257 ici des choses [deux mots illisibles], à ce qu’il paroit que la cour de Prusse et de
Russie sont décidés à s’opposer aux vues de l’électeur sur la couronne selon ce que l’impératrice
elle-même m’a dit ».
Dans une autre lettre
258Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489,
le prince rapporte que l’impératrice lui aurait parlé des ambitions du duc de Courlande, leur frère
Charles de Saxe, pour la couronne de Pologne, elle lui
aurait commenté une
« déclaration du roi de Prusse en faveur de l’électeur dans laquelle il disoit vouloir s’opposer au démembrement de la Pologne ».
Suivent des commentaires que l’impératrice aurait fait sur
« une déclaration de France […] disoit vouloir s’intéresser pour un de la famille de Saxe. Qu’au
reste elle ne s’attendait à rien de bon de la Russie puisque Woronzow avait dit assez clairement
que l’impératrice s’intéressoit apparemment pour les
Czartoryski. […] . »
La correspondance du prince Albert contenait un cahier
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1490 de
vingt-trois feuillets dans lequel était rassemblées les copies des lettres envoyées et reçues entre
février et mai 1767, à l’occasion de la naissance du
premier enfant du couple princier Albert de Saxe – archiduchesse Marie Christine. Leur lecture apporta
des informations sur le protocole suivit dans une
famille princière dans une telle occasion. Le prince Albert choisit son frère Xavier, le jeune électeur
son neveu, l’empereur, l’impératrice et l’électrice
de Saxe comme parrains et marraines du nouveau-né. Si la rédaction des demandes de parrainage fut
particulièrement soignée dans leur présentation et dans le
respect des titulatures, le texte lui-même surprit par son côté familier :
« Du Prince Albert à Monseigneur le Prince Administrateur. Du 13 février 1767. Permettès, mon cher frère que je prenne la
liberté de m’adresser
aujourd’hui à Vous […] Ma chère petite femme approchant peu à peu du temps où elle doit mettre bas
le paquet que je me suis avisé de lui faire, je crois ne
pouvoir mieux faire que de prier notre jeune Electeur de vouloir bien servir de parrain avec LL.MM.
l’Empereur et l’Impératrice-Reine et Madame l’Electrice
[…]
259 ».
Ces demandes de parrainage créèrent un incident entre les deux frères. Dans un premier temps, le prince Albert s’adressa dans
deux lettres séparées à
l’administrateur de l’électorat et au jeune électeur pour ne demander que le parrainage de son jeune
neveu en tant que chef de famille. Le prince Xavier fit
répondre par son ministre le comte de Flemming à l’aide de camp du prince Albert, le général Miltitz,
que considérant le jeune âge de l’électeur, c’était
lui en tant qu’administrateur de l’électorat et aîné de la fratrie, qui était le chef de famille et
qui devait remplir ce rôle de parrain. Plusieurs lettres
entre le ministre et l’aide de camp furent échangées
260. Le prince Albert s’excusa et justifia son erreur par son ignorance du protocole tout en faisant des reproches à son frère
pour avoir
traité cette affaire par la voie ministérielle et non pas par une simple lettre à caractère familial.
L’erreur fut réparée ; le jeune enfant eut deux
parrains de la maison de Saxe au lieu d’un. Le prince administrateur et le jeune électeur furent représentés
à la cérémonie de baptême, par l’archiduc
Ferdinand, frère de l’empereur Joseph II. Cette demande de représentation fit l’objet de plusieurs
lettres et réponses entre les princes et l’archiduc mais
aussi, entre leurs ministres ou secrétaires. Là encore, ces lettres furent particulièrement soignées
en ce qui concernait le respect des préséances.
Ce cahier contenait en annexe aux copies de lettres, un « extrait des exemples trouvés dans les livres de Titulatures, pour
pouvoir régler celles dont on
pourroit se servir, tant de la part de Monseigneur l’Électeur, que de celle de S. A. Royal Monseigneur
l’Administrateur, dans les lettres à écrire de leur
part à un Archiduc […]
261 ». Un fac-similé et la transcription de ce document ont été joints au présent
mémoire.
Transcription de l’ « Extrait des exemples trouvés dans le livres des Titulatures ».
« Extraits des exemples trouvés dans le Livre de Titulatures pour pouvoir régler celles dont on pourrait se servir, tant de
la part de Monseigneur
l’Électeur, que de celle de S. A. Royale Monseigneur l’Administrateur dans les lettres à écrire
de leur part à un Archiduc.
Le feu roi a lui-même donné au grand Duc de Russie : Kaiserliche Hoheit, et aux Princes de Prusse et de Suède : Koenigliche Hoheit, et le défunt Électeur n’a pas manqué de s’y conformer.
Il semble ainsi qu’il serait convenable, de donner aussi l’Altesse Royale à l’Archiduc Ferdinand dans l’attente qu’il rendra
le même titre à S. A.
Monsgr. l’Administrateur, et celui d’Altesse Royale à Monseigneur l’Électeur.
D’autant plus que dans la lettre de notification que nous venons de demander pour S. A. Royale Mgr l’Administrateur de la part
du Grand Duc de Toscane, on a expressément prévenu Mr de Petzold que le titre d’Altesse Royale
n’y soit pas oublié, ce que Monsieur le Baron de Binder a
voulu insinuer en même temps.
On pourrait ainsi se servir de l’Étiquette qui suit :
- Allocutio.Monsieur mon Cousin.
- In contextu.Votre Altesse Royale
et Vous alternativement.
- In fine.De Votre Altesse Royale
le très affectionné Cousin.
- Inscriptio.À S. A. R. Monsieur mon Cousin
l’Archiduc Ferdinand. »
La démarche de parrainage avait créé un incident entre les deux frères ; le prince Xavier insistant pour que son rang dans
la fratrie et la préséance que
cela impliquait, fussent respectés. « Le livre des Titulatures » participait à la même démarche. Il
fallait utiliser le bon titre pour s’adresser à un autre
prince avec un double objectif : lui reconnaître le rang qui était le sien, mais aussi faire en sorte
qu’en retour, la bonne titulature fût employée : « Il
serait convenable, de donner aussi l’Altesse Royale à l’Archiduc Ferdinand dans l’attente qu’il
rendra le même titre à S. A. Monseigneur
l’Administrateur [… ] », et d’ajouter : « on a expressément prévenu Mr de Petzold que le titre d’Altesse Royale n’y soit pas oublié […] ».
Il est possible de conclure que la correspondance du prince Albert apporta peu de données à l’analyse statistique. Par contre,
l’étude qualitative de ses
lettres permit de concevoir un début de réseau pour la fratrie de Saxe. Le prince Albert bien avant
son mariage, eut accès à l’impératrice, il en devint,
peut-être, un confident politique pour les affaires touchant l’Électorat et la Pologne. Il aida le
prince Xavier dans sa tentative de conquête de la
couronne de Pologne. Son mariage le fit entrer dans le cercle central de la famille des Habsbourg.
Il lui ouvrit un établissement de premier ordre, la
lieutenance du royaume de Hongrie. Cette présence au cœur de la maison d’Autriche, lui permettait
d’assurer discrètement le rôle d’agent et de représentant
de la fratrie. Il était déjà l’oncle du roi Louis XVI, par ce mariage il devint le beau-frère de la
reine Marie-Antoinette. Les liens entre les maisons de
Saxe et les Bourbons de France, créés par la présence de la Dauphine puis du prince Xavier, se resserraient
262. Enfin, le baptême de sa première fille lui permit d’établir de nouvelles liaisons dans la famille impériale et préparer
ainsi l’avenir de son enfant. D’autres lettres indiquèrent la présence en tant que dame de compagnie
de leur sœur Cunégonde à la cour de Vienne ; une
présence dont toute la fratrie ne pouvait espérer que des retombées favorables. Enfin, il fut indiqué
ci-dessus que les liens amicaux existant entre les
deux frères, leur permirent de résoudre des situations sentimentales délicates.
Correspondance du prince Clément de Saxe, archevêque-électeur de Trèves (1768).Voir Fonds de Saxe
Xavier de Saxe conserva dans ses archives quatre cent soixante dix-huit lettres reçues de son frère Clément, lieutenant-général
pendant la campagne de 1760
sous les ordres du maréchal comte Daun, devenu après 1768, archevêque-électeur de Trèves. Ces lettres
écrites entre 1760 et 1790 furent conservées dans
quatre liasses cotées E*1491 à E*1494
Voir fonds de Saxe, liasses E*1491 à E*1494. Pour la période de temps sélectionnée pour cette étude, cette correspondance se réduisit à deux
liasses et à deux cent six lettres dont trente-six firent l’objet d’un commentaire dans l’
Inventaire de J. J. Vernier.
La carrière du prince Clément se divisa entre trois grandes étapes : né en 1739, il fut officier général dans les armées autrichiennes
à compter du 5 mars
1760. Le 28 avril 1761, il décida de devenir prêtre et fut ordonné en mai 1764. Nommé rapidement évêque
de Freisingen et de Ratisbonne, puis coadjuteur
d’Augsbourg (5 novembre 1764), il fut élu
« unanimement263Voir Fonds de Saxe, liasse
E*1492 » à l’Électorat de Trèves le 10 février 1768. Il occupa la charge jusqu’à sa « sécularisation » par le Consulat en 1802. Il
mourut le
27 juillet 1812.
La fréquence de sa correspondance avec son frère Xavier était d’une lettre par mois. Les réponses d’abord bimensuelles pendant
la guerre de Sept ans,
devinrent ensuite mensuelles (toujours datées du dernier jour du mois). Les lettres étaient écrite
sur des feuilles de vingt par trente centimètres, pliées
en deux, à tranche dorée et filigranées : « C. & I. HONIG » avec pour blason un olifant non couronné.
Dans les années soixante, l’en-tête et la formule finale furent toujours identiques :
« Monsieur et très cher Frère »,
« Votre très affectionné serviteur et frère ».
Avec les années, cette formule changea et devint plus affectueuse. Elle resta la même pendant vingt ans :
« […] un frère qui vous aime et embrasse de tout son cœur ».
À partir du 10 août 1769, le prince Clément prenant exemple sur son frère Xavier, numérota ses lettres. Il cessa après quelques
années. Jusqu’au 19 décembre
1770, les lettres furent signées « Clément ». Après cette date, la signature changea pour « CWenzel
», c'est-à-dire, qu’il utilisa l’un de ses prénoms
allemands : « Klemens Wenzel »
264.
Une anomalie fut détectée en mars 1774 et continua pendant plus de dix ans ; Pour la première fois, il était fait mention
de « sa femme » et à la formule
finale vint s’ajouter la phrase
« Ma femme vous embrasse … » ; Plusieurs mois furent nécessaires pour trouver une explication
265
quant à un éventuel mariage qui eut été incompatible avec l’ordination puis la consécration épiscopale
du prince. En fait, il s’agissait d’une plaisanterie
du prince Clément, sa sœur la princesse Cunégonde de Saxe venait régulièrement demeurer pour de longues
périodes à la cour de l’archevêque électeur qui,
semble-t-il, lui faisait tenir le rôle de maîtresse de maison.
Les archives des lettres du prince Clément contenaient un cahier de 16 feuillets
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1492
sur lequel furent recopier les lettres qu’il adressa tous les jours à son frère le prince Xavier ou
à sa belle-soeur l’électrice de Saxe dans des
circonstances dramatiques. Cette correspondance fut rédigée alors qu’il effectuait un séjour à Vienne
entre le 20 juin et le 4 juillet 1767, elle décrivait
les différentes phases de la maladie de leur frère le prince Albert qui avait contracté la variole
266. L’évolution de la maladie y fut décrite jusqu’au jour où le prince Clément put annoncer :
« Enfin cher frère, je me trouve en état par la bonté infinie du TOUT PUISSANT de vous donner de bonnes nouvelles de notre
cher frère qui n’a presque
plus de fièvre, de sorte que nous le pouvons dire hors de danger de la cruelle maladie qu’il a soufferte.
Il n’y a plus rien à appréhender […] ».
Dans les trente-six lettres qui furent sélectionnées pour leur appliquer le traitement statistique, dix-neuf mots-clefs furent
identifiés représentant
soixante et onze occurrences. Neuf de ces mots-clefs sont apparus trois fois où plus, et quatre totalisèrent
53 % des occurrences. Il s’agissait des mots :
« Famille », « Mondanités », « Établissement » et « Clients » avec environ dix apparitions chacun
soit 15% des occurrences. Le graphique joint indique la
distribution en fréquence des mots-clefs identifiés.
Mots-clefs apparaissant dans les lettres de Clement de Saxe
Dix mots-clefs furent regroupés sous la rubrique « autres mots-clefs » avec une occurrence totale de quinze. Il s’agissait
de : « Éducation », « Enfants », «
Finance », « Tourisme » et « Voyage » qui apparurent deux fois, et des mots « Armées », « Emprunt
», « Fête », « Mariage » et « Voltaire » qui ne furent
sélectionnés qu’une fois.
En conclusion, La correspondance du prince Clément pourrait se définir autour de trois grands thèmes : Pendant la guerre de
Sept ans, il communiqua à son
frère des nouvelles du front autrichien. À leur lecture il fut noté que, en complément aux informations
purement militaires, la quasi-totalité des lettres
contenait des demandes de mutation ou des recommandations pour des officiers de leur connaissance.
Une fois de plus, le réseau des princes de Saxe était
utilisé au bénéfice de leur clientèle. Dès son ordination et jusqu’aux années 80, le prince Clément
fut à la recherche permanente de nouveaux
établissements. Lui qui était devenu archevêque-électeur de Trèves, et qui avait obtenu la crosse
ou était coadjuteur de plusieurs autres sièges épiscopaux,
rechercha et demanda avec insistance l’intervention de son frère Xavier pour se voir choisir et élire
à d’autres fonctions ecclésiastiques. Ce thème sera
développé dans le chapitre VI, lors de l’analyse statistiquement les lettres par utilisation de mots-clefs.
Dans la dernière décennie de la période étudiée, le prince Clément se limita dans sa correspondance à donner des nouvelles
familiales ou mondaines
267. Lui qui avait souvent cherché
les interventions de la fratrie à son bénéfice, se vit souvent solliciter en faveur de la clientèle
de ses frères. À titre d’exemple et pour terminer ce
sous-chapitre sur le prince Clément, il a été joint la transcription d’une lettre qu’il reçut du prince
Xavier, sollicitant un établissement pour le comte
Spinucci ; cette lettre a semblé très représentative de ce genre d’intervention : Un personnage était
malade ; le poste qu’il occupait, convenait
parfaitement à un client du cercle de la fratrie ; une intervention semblait possible ; Pourquoi attendre
le décès de ce personnage pour assurer sa
succession
268 ?
« À l’Électeur de Trèves.
Pont ce 23 Nov. 1782.
Les bontés que vous avès toujours témoignées au C
te Thomas de Spinucci, votre chambellan, m’engagent à vous le recommander
dans une occasion où vous pouvès les lui témoigner sans que cela ne vous coûte rien. Le Marquis d’Antici,
ministre de l’électeur de Cologne à Rome y est
très dangereusement malade, si vous daignés écrire un mot à l’électeur pour lui demander d’accorder
cette place au C
te Spinucci à
la mort de M
gs d’Antici, vous lui rendriès un très grand service, et je vous en aurai en mon particulier de l’obligation. Ma femme
joint ses prières à moi pour vous recommander son frère dans cette occasion intéressante pour lui.
»
269Voir Fonds de Saxe, liasse
E*1494.
La correspondance de Marie-Anne de Saxe, épouse de l’électeur de Bavière.Voir Fonds de Saxe
Marie-Anne de Saxe était la seconde fille d’Auguste III. Deux ans exactement la séparaient du prince Xavier dont elle était
l’aînée. Le 13 juin 1746, elle
épousa Maximilien III Joseph, électeur de Bavière. Celui-ci disparut sans laisser d’enfant en 1777.
La princesse lui survécut pendant vingt ans avec le
titre d’électrice douairière, l’électorat revint à Charles-Théodore, électeur palatin
270.
Le prince Xavier conserva dans ses archives, mille treize lettres de sa sœur la princesse Marie-Anne auxquelles s’ajoutent
huit lettres écrites par
Maximilien III Joseph. Sept cent soixante-cinq lettres furent reçues pendant la période de temps sélectionnée
pour l’étude, dont soixante-huit firent
l’objet d’une analyse dans l’Inventaire de J.-J. Vernier et donc furent retenues pour le traitement statistique. La princesse
écrivait très fréquemment à son frère, souvent plusieurs fois par semaine. Ainsi, le prince Xavier
reçut neuf lettres de sa sœur en janvier 1772 et huit en
février, soit cinquante-trois lettres pour l’année 1772 (année pour laquelle les archives ne contiennent
aucune lettre pour la période juillet à décembre) ;
l’année suivante, elle lui adressa quatre-vingt dix-neuf lettres, cent quatre en 1774 ; la correspondance
ne devint plus espacée qu’à partir des années
1779.
La princesse signait ses lettres Marisia ou Maruscha
271 et utilisait le diminutif Varerl (ou Vaser) pour désigner le prince. Les lettres furent numérotées ; la numérotation
recommençant au 1er janvier de chaque année. Elles étaient écrites sur des feuilles de vingt-deux
centimètres par dix-huit, pliées en deux. La tranche du
papier était dorée ; le papier était filigrané « J. HONING & ZOONEN » associé au blason déjà rencontré
: un olifant couronné. Il fallait entre dix
et vingt jours pour que les lettres expédiées de Munich fussent reçues en France. Le prince Xavier
répondait habituellement, les 15 et 31 de chaque
mois.
Les lettres étaient adressées au « Prince Xavier, Mon très cher Frère ». L’en-tête et la formule finale furent identiques ou toujours très voisins pendant
de nombreuses années : « Mon très cher Varerl », « Je vous prie d’aimer toujours celle qui vous aime et embrasse de tout son cœur, Votre très fidèle
Marisia ». Le 1er juillet 1769, apparut pour la première fois après la signature, la formule : « compliments à la chère Chiaretta », une formule
qui fut présente très souvent après cette date.
Au début des années soixante, les princesses de Saxe, c'est-à-dire, Christine, Elisabeth et Cunégonde, se réfugièrent à la
cour de Bavière avec leur frère
année, au grand plaisir de Marie-Anne de Saxe. Malgré ses trente-deux ans et ses quatorze années de
mariage, la princesse laissa apparaître dans son
courrier, le plaisir qu’elle avait de se retrouver avec ses sœurs. Les plaisanteries furent nombreuses
dans les lettres. Certains personnages de la cour
reçurent des surnoms qu’il ne fut pas possible de décrypter ; ainsi, il fut question de « Charbon
» une jeune fille amoureuse de « Feu » un officier servant
au front ; « Caffé au lait » autre jeune femme, fut l’objet des facéties des princesses. Une phrase
extraite d’une lettre du 28 mai 1760
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1495
illustra parfaitement le ton de la correspondance de cette période, il s’agissait de commenter la
mort et les obsèques du général Maindress :
« Notre
douleur sur cette perte est aisée à comprendre ; comme on n’a pas pu trouver d’oignon, mes larmes
n’ont pu couler ».
Des soixante-six lettres analysées statistiquement, vingt-neuf mots-clefs différents furent identifiés totalisant cent soixante-quatorze
apparitions ;
environ un tiers de ces mots représentant 80 % des occurrences. Le graphique et le tableau ci-dessous
indiquent leur distribution et leur fréquence. Il
apparut que les cinq mots-clefs les plus rencontrés furent dans l’ordre de leur fréquence : « Mondanités
» trente fois, « Famille » vingt-deux fois, «
Réseaux » vingt et une fois, « Etablissement »treize fois et « Armées » douze fois. Les mots-clefs
furent regroupés en trois grands thèmes, le premier : «
Réseaux » avec lequel furent associés « Etablissement », « Armées », « Successions », « Décès », Voyage
272 » et « Politique » représenta 40 % des occurrences ; Le second thème, celui de la vie de cour, à savoir, «
Mondanités », « Fêtes », « Loisirs », « Opéra », « Théâtre », « Chasse », mais aussi « Ragots », «
Incendie » et « Catastrophes », totalisa 33 % des
identification. Enfin le dernier, celui des nouvelles familiales pures, c’est-à-dire, le mot-clef
« Famille » associé à « Enfants » et « Santé » ne
représenta que 16 % des apparitions.
Correspondance de Marie-Anne de Saxe. Distribution des mots-cleds.
Distribution des 19 « autres » mots-clefs représentant 40 occurrences.
Catastrophe |
4 |
Loisirs |
4 |
Santé |
4 |
Enfants |
3 |
Finance |
3 |
Incendies |
3 |
Opéra |
3 |
Chasse |
2 |
Politique |
2 |
Ragots |
2 |
Théâtre |
2 |
Six autres |
6 |
Pour conclure sur la correspondance de cette princesse, il est possible d’avancer que près de la moitié de ses lettres impliquait
soit le réseau de la
fratrie, soit faisait référence à la vie de cour et à la vie familiale. Dans le chapitre suivant qui
traite de l’analyse statistique de la correspondance
dans sa globalité, les lettres de la princesse Marie-Anne servirent souvent pour illustrer les conclusions
tirées de cette analyse.
En complément à la correspondance de Marie-Anne de Saxe, l’étude fut étendue aux lettres adressées par son époux Maximilien-Joseph,
électeur de Bavière. Les
archives contiennent huit documents
273Voir Fonds de Saxe, liasse E*1506;
ils furent écrits entre 1761 et 1776, et trois de ces documents étaient des minutes de lettres du
prince Xavier. Il y fut question d’une demande
d’autorisation d’achat de chevaux dans l’électorat de Bavière destinés à la remonte du régiment de
cavalerie du corps Saxon (1761), des condoléances ou
réponses de sympathie après le décès du prince Frédéric-Christian-Auguste, électeur de Saxe (1763)
et celui de la sœur de l’électeur de Bavière, de
remerciements relatifs aux interventions de l’électeur en faveur du prince Clément de Saxe pour sa
nomination à la fonction de coadjuteur d’Augsbourg, et
enfin d’une réponse de l’électeur assurant le prince Xavier, de l’intérêt qu’il portait au comte Spinucci
qu’il lui avait recommandé pour un poste devenu
vacant. Deux de ces documents entraient dans la sélection temporelle retenue et furent inclus dans
les lettres faisant l’objet de l’étude statistique.
Lorsqu’en 1746, Il fallut trouver une épouse au Dauphin devenu veuf sans héritier mâle, trois maisons pouvaient offrir une
fiancée. La Saxe l’emporta ; elle
possédait deux avantages sur les familles concurrentes : un représentant très en cour à Versailles
en la personne de Maurice de Saxe, et un sang réputé
vigoureux et fécond. La princesse Marie-Josèphe de Saxe fut retenue, elle avait quinze ans, elle était
moyennement belle, mais avait la taille bien faite,
une bonne éducation et parlait cinq langues. L’avenir prouva qu’elle était intelligente, qu’elle su
faire oublier à la reine qu’elle était la fille de
‘’l’usurpateur’’ du trône de Pologne, qu’elle su se faire apprécier du roi Louis XV
274, qu’elle su remplacer dans le cœur du Dauphin son premier amour Thérèse d’Espagne et finalement, elle donna trois rois au
trône de
France
275. Elle ne fut jamais reine, demeura « la Dauphine » pendant vingt ans et décéda d’une longue infection pulmonaire, le 13 mai
1767.
« Madame la Dauphine n’aime réellement que le prince Xavier276 »écrivait le roi Louis XV à son ambassadeur à Varsovie en 1758, aussi n’est-il pas surprenant que les
archives du
Fonds de Saxe contiennent trois cent cinq lettres que
Pépa277 adressa à son frère entre le 5 mai 1756 (première lettre
conservée) et le 13 mai 1767 (date de son décès).
Dans son
Inventaire, J.-J. Vernier indiqua que cette correspondance était constituée de
« lettres ou billets autographes, dont
une seule est signée, la presque totalité [est] sans date et sans souscription, [elles] sont adressés
au général de Fontenay, ambassadeur de Pologne à
la cour de France278. » La présente étude conduisit à confirmer et à compléter cette remarque.
En effet, seules quelques lettres furent datées et signées. De nombreuses pièces se limitèrent à quatre
ou cinq lignes sur un billet manuscrit sans en-tête,
ni formule de salutation ou signature. Très vite, une étude attentive des liasses fit soupçonner l’existence
d’une anomalie dans l’archivage de ces lettres.
En effet, aucune ne portait d’indication de date de réception ou de réponse, ni de numéro chronologique
; une caractéristique unique dans les archives du
prince Xavier. De plus, il existait un manque de cohérence dans le contenu des documents conservés
; en effet, il était difficile de croire que la même
personne eût rédigé de longues lettres traitant de questions politiques et que, quelques jours plus
tard, elle pût adresser un court billet de quelques mots
sans véritable intérêt. Enfin, il fut découvert que l’ordre chronologique des documents avait été
bouleversé, autre fait unique dans les archives du
Fonds de Saxe ; ainsi une lettre datée du 8 décembre 1763 était localisée quelques pièces avant deux autres lettres datées des
1
er février et 15 juillet 1758. Autre exemple, la prise de Schweidnitz du 19 novembre 1757, apparaît dans deux
correspondances
279Voir Fonds de Saxe, liasses E*1507 et
E*1508 de la Dauphine séparées par une centaine de lettres, dont une mentionnant la Tsarine et le départ de Moscou de Monsieur de
Poniatowski, qui
fut probablement écrite à l’automne 1763. Enfin dans les dernières pièces archivées, supposées avoir
été écrites dans les années 1766-1767, il a été trouvé
une lettre datée de l’année 1758.
Toutes ces anomalies trouvèrent un début d’explication lorsque qu’il fut envisagé que certaines lettres ou parties de lettre
auraient pu être éliminées des
archives. Ceci fut confirmé quand deux ‘’minutes’’ furent retrouvées entre les lettres reçues de la
Dauphine, des minutes qui étaient les copies des
réponses écrites par le prince Xavier. Elles étaient datées de Frankfort, les 25 et 26 novembre 1762.
Il y était par deux fois, fait référence aux
« deux
lettres [de la Dauphine] du 14 et 19 d.c. [courant], N° 40 et 41 », alors qu’aucune lettre
« numérotée280 » ne fut retrouvée dans les
archives. Ces deux minutes traitaient pourtant d’une question importante : le rattachement envisagé
du corps saxon à l’armée autrichienne
281, qui eut justifié un soin particulier dans leur archivage. Cette hypothèse de la destruction ou élimination d’une partie
des
archives, permit d’avancer l’idée que les messages manuscrits sans en-tête ni signature, auraient
pu accompagner des lettres écrites à « l’encre blanche »
comme cela fut souvent le cas pour d’autres correspondants. On eut la confirmation de l’utilisation
de cette « encre blanche » entre le prince Xavier et la
Dauphine, lorsque fut examinée la première des deux minutes citées ci-dessus. En effet, après une
formule de salutation finale :
« Je vous prie, de mes plus tendres respects M. le Dauphin et Torche
282, et faite[s] mes compliments les plus tendres à Christine
283
n’ayant pas le tem[p]s de lui écrire. »
et un post-scriptum relatif à la réception de deux lettres, le document se termina par :
« En encre blanche. J’ai relu votre lettre du 6, très chère sœur, et je ne puis encore concevoir par quelle raison le Duc
284 veut
me priver du bonheur de vous voir, et de la permission d’aller à Versailles ; je ne puis croire que
ce soit par esprit ou air d’épargne, puisque Christine y
étant, la dépense pour moy n’est rien, et que je l’aurois encore diminuée volontiers en y venant avec
le moins de monde ; la considération que le corps
pourroit s’offrir, ne peut pas être la véritable raison, puisque les premiers arrangements une fois
faits, je ne puis lui être vraiment utile qu’en
travaillant pour les intérêts à Versailles : Il seroit affreux que ce fut pour me priver des occasions
de solliciter en sa faveur qu’on m’interdit un voyage
duquel je me suis fait tant de fête, et dont je souffrirois tant d’être privé, le vicomte
285 nourrit toujours mon espoir, et me flatte que je finirai par y
aller, si luy même y va, mais si par hazard de Duc ne me permet pas de l’y envoyer, alors, je ne pourrois
m’empêcher de regarder comme une mauvaise volonté
marquée, un refus, qui m’écarteroit, et écarteroit, l’homme dans lequel j’ai mis ma confiance, d’être
à portée de veiller à mes intérêts. »
286Voir Fonds de Saxe, liasse
E*1507
Cette hypothèse que des lettres traitant de questions sensibles auraient pu être éliminées ou auraient fait l’objet d’un archivage
spécial, reçut un nouveau
début de confirmation lorsque fut trouvée la lettre que la Dauphine adressa au prince Xavier quelque
temps avant l’un de ses accouchements
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1507
:
« La peur d’accoucher d’un moment à l’autre fait que je vous renvoie vos lettres, ne voulant pas les laisser dans ma poche,
à la discrétion de tout le
monde ».
Enfin, la lecture attentive des courts messages, fit apparaître que si certains s’adressaient à un prince Xavier qui se trouvait
présent à Versailles ou à
Compiègne, et à qui on faisait passer une information ou une instruction du genre « Pouvez vous venir cette après-midi à Compiègne », des messages qui ne
nécessitaient ni date ni signature ; d’autres accompagnaient des documents, voir des « paquets » que,
semble-t-il, la Dauphine faisait passer à son frère
par le courrier diplomatique, généralement celui du duc de Choiseul, pour être distribués à d’autres
correspondants.
Dernière explication possible quant à une « élimination » de certaines lettres, la prise en compte de la position de la Dauphine,
elle était la future reine
de France, quel qu’ait pu être son engagement en faveur de sa nouvelle patrie, elle resta toujours
attaché à la maison de Saxe. Ainsi dans une de ses
lettres, elle rappela sa double allégeance :
« Je suis également bonne française et bonne saxonne ». Pouvait-elle laisser traîner des documents qui
eussent marqué de trop grands engagements en faveur de sa patrie d’origine, surtout si de tels engagements
différaient, voire s’opposaient, à ceux
qu’auraient pris les ministres français ? Et cela ne pourrait-il pas expliquer l’absence de date et
de signature et l’utilisation d’un moyen d’acheminement
particulier, l’ambassadeur du roi de Pologne à Paris ? Ceci fut confirmé lorsque fut trouvé le message
suivant
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1509
qu’elle adressa à son frère et qui est transcrit à l’identique et dans sa totalité (un fac-similé
de ce message est donné en illustration à la page
suivante) :
« Écrivez à Martange que ce qu’il m’écrira ne soit pas en forme de lettre, c’est dire, qu’il n’y ai point de Madame en haut
et dans la lettre, ni de très
humble serviteur, ni de signature mais que ce soit simplement comme un récit qui n’est adressé à personne.
Le journal que vous avez commencé est très bien
et je vous serai très obligée de les faire continués. [Sans signature, ni date, ni en-tête] ».
« Bonne française et bonne saxonne », elle le fut. Plus que celles d’aucun autre membre de la fratrie, y compris ses frères
engagés dans des fonctions
militaires ou politiques, ses lettres traitèrent ou firent référence à des sujets politiques. À leur
lecture, il fut possible de deviner que la Dauphine
agissait comme un véritable agent de l’électorat de Saxe à la cour de Versailles. Son action ne se
limitait pas à des opérations d’intervention ou de
pression qui auraient visé le souverain et ses ministres, mais, il semblerait qu’elle participa par
l’intermédiaire de sa fratrie, à une diplomatie secrète
comme pourraient l’indiquer plusieurs documents au contenu mystérieux. Ce fut le cas de ce message
de trois lignes archivé dans la liasse E*1508
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1508
:
« La lettre au Roy où il y [a] une petite croix en haut celle du Duc de Courlande
287 et celle de M
e de Brühl
288 sont pour le Comte de Brühl
289290. »
« Mon père
292 ayant écrit au Comte de Broglie
293, je ne vois nulle difficulté qu’il luy réponde mais je crois qu’il doit envoyer sa
lettre au Comte de Choiseul
294 pour la faire passer à Varsovie. »
Transcription :
« Écrivez à Martange que ce qu’il m’écrira ne soit pas en forme de lettre, c’est-dire, qu’il n’y ai point de Madame en haut
et dans la lettre, ni de très
humble serviteur, ni de signature mais que ce soit simplement comme un récit qui n’est adressé à personne.
Le journal que vous avez commencé est très bien
et je vous serai très obligée de les faire continués. [Sans signature, ni date, ni en-tête] ».
Dernière illustration de l’implication politique de la Dauphine, un extrait de l’une des minutes du prince Xavier dont il
fut déjà question ci-dessus :
« À la Dauphine. N° 27.
Francforth ce 25 nov. 1762.
« Il eut peut être été mieux, très chère sœur, qu’on eut daigné me faire entrer pour quelque chose dans le projet de cession
du corps saxon, dont Mrs
les comtes de Brühl et de Fleming m’instruisent par les deux lettres que je viens de recevoir, et
dont je vous envoye les extraits : Comme j’écris en
conséquence au Comte, et que ma lettre vous sera communiquée je prend le parti de m’y référer, pour
que vous voyiès et jugiès les observations que je fais
sur un plan dont les suittes me paroissent très dangereuses pour l’avenir, et dont l’espèce d’utilité
présente est également sujette à beaucoup
d’inconvénients ; L’éloignement où sera le corps saxon de ses ressources et de la Saxe, en les distribuant
dans les places prussiennes de Westphalie, est un
mal nécessaire sans doutte, puisque je pense comme le Duc de Choiseul, qu’il seroit dangereux de le
porter en Saxe, tant qu’elle ne seroit pas évacuée,
qu’il seroit avilissant de le réunir à l’armée de l’Empire, et que de le disperser dans les places
de Bohème et de Moravie, seroit encore plus désagréable
que d’être placé en garnison du pays prussien sur le Bas-Rhin. Ce n’est donc pas contre la destination
que je voudrois pouvoir m’élever, mais contre cette
destination en tant que nous y serions aux ordres, à la solde et au service de l’Autriche, puisque
cela me paroit devoir nous éloigner de tout ce que nous
avons espéré depuis si longtems, et de ce que M. le Duc de Choiseul, vous a fait espérer en dernier
lieu à vous-même ainsi que vous me l’avès marqué dans
votre lettre du 6, car une fois remis à l’Autriche, il n’y aura plus raison, pour que la France, à
la paix, nous donne un subside [suivent quatre pages].
Voilà, très chère sœur, ce que je vous prie de faire entendre comme de vous au Duc, en essayant par
amitié pour moi de tirer parole de lui » […].
Dans une lettre datée : « Ce 30. [ ?] » et marquée d’une croix dans la partie supérieure, la dauphine répond :
« [Sans en-tête] Je n’ai encore fait aucune démarche auprès du Duc de Choiseul pour parer la menace qu’il m’a fait au sujet
du corps saxon parce
qu’auparavant il faut voir si cette paix de Varsovie se fera et comment car tant que les Saxons resteront
à l’armée il n’y a rien à craindre. C’est lui qui
m’a appris le mémoire de Mr Saul [ ?] mais il m’a seulement dit qu’on y demandoit à l’Angleterre des
subsides à la paix à quoy il [a] ajouté qu’on aimoit
mieux ceux d’Angleterre que ceux de la France. [… sans formule finale ni signature] ».
D’autres exemples de l’implication politique de la Dauphine furent nombreux et fréquents. Il en sera donné encore quelques-uns
ci-dessous :
« Il ne m’importe pas que les autres ministres aient mandé à leur cour le mariage prétendu de Victoire. […] quoique vous m’affirmiez
par cette belle
nouvelle […] la petite histoire du dégoût de Victoire pour la personne de S.M.C.
295 […] et je doute fort que le comte de Choiseul
296 l’approuve ».
« […] Mr de Paulmy
297 m’a fait dire que la manière dont Martange
s‘était conduit et la gloire qu’il s’était acquise faisait exception […] et qu’il comptait demander
la croix de S. Louis pour lui. […] ».
« […] de savoir ma pauvre famille hors des griffes du vautour qui nous dévore serait assurément une grande consolation pour
moi. Mais j’en doute et je
tremble des premières nouvelles que nous aurons de ce malheureux pays. […] ».
« Mon père
298 me paraît fort content de
la nomination de M. de Paulmy. Vous pouvez le dire à votre dîner de demain […] ».
« Je souhaite que le prince Charles
299 se conforme aux ordres qui lui ont été donnés de suivre
les avis du maréchal Daun
300. Mais malgré cela, je suis fâchée que celui-ci n’ait pas le commandement en chef, car je crains les
jalousies ordinaires entre deux chefs. Je voudrais que les paysans vengeassent bien sur le roi de
Prusse les horreurs qu’il vient de faire en sortant de
Bohême […] ».
« Accablée de chaud, de fatigue et d’incom[m]odités, je n’ai que la force de vous dire que j’ai lu tous vos paquets, que ce
n’est pas de moy que vous
apprendrez ce que le C
te de Broglie fait dire au C
te de Brühl, que je trouve les réflexions du C
te de Fleming
301 à un ami très justes et très bonnes, que je
voudrai[s] que le P. Charles
302 eût un ami qui luy en fit faire de pareilles, que je crains les
sottises de ce dernier qui gâtera tout ce que M
al de Daun a fait, que je crains beaucoup que le changement des Maréchaux
d’E[s]trées
303 et de Richelieu
304 ne retarde horriblement les secours des François que je me flattois
de voir bientôt en Saxe, que les lettres que j’ai reçu[es] m’ont fait grand plaisir, que je vous prie
de m’avertir 2 ou 3 jour avant que vous renvoyez un
des courriers et si vous le renvoyez avant que d’avoir présenté le mémoire à l’abbé de Bernis
305 et avoir reçu réponse. Je suis fort contente du héros des petites [mot illisible : marisas ?]
M
r de Cartellanitz fait très bien ses commissions mais il écrit bien mal, j’ai pensée prendre des lunettes pour lire sa
lettre. La lettre que j’ai reçu[e] du C
te de Brühl me fait beaucoup d’honneur mais elle m’embarrasse pour la réponse, je vous la
montrerai quand vous viendrez. »
Pour conclure ce survol des lettres de la Dauphine, il doit être noté que cette correspondance fut écrite en dehors de la
période de temps retenue pour
l’étude principale et donc ne fit pas l’objet d’une analyse statistique. On peut le regretter ; la
distribution des thèmes traités eut été différente de
celle des lettres des autres membres de la fratrie. Ainsi et contrairement à ses frères et sœurs,
les fêtes, les ragots de cour, les nouvelles familiales et
les autres sujets légers ou mondains étaient totalement absents de ses lettres, et des mots comme
« carnaval », « bals », « recommandation » n’y furent
jamais employés. En contre partie, il est apparu que les mots les plus fréquemment présents, étaient
: « Duc de Choiseul », « C
te
de Broglie » « C
te de Brühl », « C
te de Fleming », « R. de Prusse » et « le Vicomte
306 ». Dans cette période de guerre européenne que fut la guerre de Sept ans, guerre pendant laquelle sa «
patrie
307 » d’origine
servait de champs de bataille, la Dauphine s’impliqua dans les questions politiques et militaires
au point de faire penser qu’elle fut pour la Saxe et la
Pologne, un représentant actif à la cour de Versailles, voire un agent de pression. Il est possible
de soupçonner que son engagement l’ait conduit à
participer à une diplomatie directe et secrète entre le roi de France ou le duc de Choiseul et l’entité
Saxe Pologne ; une diplomatie dans laquelle son
frère Xavier aurait peut-être joué un rôle important.
L’impression finale laissée par ce ‘’survol’’ donne à penser que la correspondance de la Dauphine mériterait une nouvelle
étude qui pourrait apporter un
éclairage complémentaire à la biographie rédigée par Casimir Stryienski
308 en 1901 ; c’est-à-dire à un moment où J.-J.
Vernier et son équipe débutaient leurs travaux sur l’inventaire du
Fonds de Saxe309. On peut penser que Stryienski qui cita rarement cette source,
n’eut pas accès aux lettres de la Dauphine avec la facilité qui fut la notre
310. Cette nouvelle étude pourrait se construire à partir des sources utilisées par Stryienski
311 auxquelles seraient associées la correspondance contenue dans le
Fonds de Saxe et les minutes
des réponses que lui fit le prince Xavier, minutes qui seraient à localiser et à rapprocher des lettres
auxquelles elles se référaient.
Correspondance du dauphin Louis de France, de Madame Adélaïde et de ses sœurs.Voir Fonds de Saxe
Les archives du
Fonds de Saxe contenaient quatre lettres
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1510 du
Dauphin. La première en date du 13 septembre 1759, annonça au prince Xavier que le maréchal de Belle-Isle
avait décider d’envoyer le corps de Saxe combattre
dans son pays d’origine. Une autre lettre exposait la nécessité de faire sortir de Dresde occupée
par les Prussiens de Frédéric II, Marie-Antoinette de
Bavière, l’électrice de Saxe. Les autres lettres furent relatives à des événements familiaux : la
naissance d’une fille de France, ou des condoléances à la
suite de deuils dans l’une ou l’autre famille. La même liasse comprenait trois lettres de la princesse
Louise-Marie de France, quatre lettres de sa sœur, la
princesse Sophie, et quatre lettres de la princesse Victoire. Elles furent toutes relatives à des
deuils, condoléances ou remerciements, survenus dans la
maison de Saxe.
Restaient dans cette liasse quatorze lettres de la princesse Adélaïde et dix copies des réponses du prince Xavier
312. Cette correspondance
fut échangée dans les années 1761 1768. Leur lecture confirma qu’il existait pendant cette période,
des sentiments amoureux très forts entre la fille du roi
et le prince. Les formules de salutations sont sans ambiguïté.
Lettre de la princesse Adélaïde :
Reçue : le 4 août.
Rep : le 12 ----
313« À Compiègne, Ce 21 juillet 1763.
« J’ai reçu votre lettre du 29 du mois passé mon cher frère, avec un plaisir sensible. Je désire que les bains de Töplitz
vous fassent du bien, si
j’avais été à Plombières cette année j’aurais été bien fâchée qu’on vous en eut ordonnée d’autres.
Christine
314 m’en paroit toujours toute contente, elle doit y retourner pour prendre sa seconde saison aujourd’hui. Victoire à qui j’ai
fait part de tout ce que vous me dites pour elle, est bien sensible à votre souvenir, elle me charge
de vous dire bien des choses de sa part. Elle a encore
eu une attaque de colique assez vive, mais courte
315, elle se porte très bien aujourd’hui.
Adieu Xavier, Torche
316Voir Fonds de Saxe, liasse E*1511
vous aime, et vous embrasse de tout son cœur. »
[Sans signature].
Réponse du prince Xavier.
« Dresde ce 12 août 1763.
« À Madame,
« J’ai bien reçu, ma chère sœur, avec la plus vive reconnaissance la lettre dont vous avès bien voulu m’honorer du 21 d.p.
[mois
précédent]. La part que vous voulez bien prendre à ma santé, m’est encore plus salutaire que les bains
de Töplitz dont j’ai tout lieu d’être satisfait, ceux
de Plombières m’auroient sûrement été plus saines, par le plaisir que je goûterois de séjourner dans
la même climat que Torche, mais nos médecins ne sont
pas assez expérimentés pour deviner aussi bien les désirs du cœur comme les faiblesses du corps. Je
suis enchanté d’apprendre le meilleur état de Mad
e Victoire, je suis assez vain pour croire d’avoir contribué un peu à sa guérison par les vœux ardents que je faisois journellement
pour Elle. J’en fais aussi pour la conservation de Torche pour qu’elle n’oublie jamais son tendre
et respectueux frère. X... »
La dernière lettre de cette liaison fut, peut-être, datée du 11 février 1764. La princesse y écrivit :
« Je vois avec peine mon cher frère qu’il faut que vous ayez oublié Torche, puisque vous ne vous servez plus de ce nom là
pour lui écrire, la dernière
lettre que j’ai reçu de vous m’auroit fait grand plaisir par toute l’amitié que vous my marquez si
vous n’en aviez pas retranché la plus grande preuve que
vous puissiez m’en donner et que je reçois toujours avec tant de joye. N’oubliez pas Torche, servez-vous
de ce nom et soyez persuadé du plaisir qu’elle a de
voir vos vœux accomplis. Combien elle souhaitoit de pouvoir vous en donner les preuves et vous convaincre
de toute l’étendue de son amitié pour vous.
Je vous remercie des soins que vous avez pris pour mon […un mot illisible…] et vous prie si l’occasion s’en trouvait de ne
pas l’oublier. » [Sans
signature].
Cette liaison continua-t-elle ou reprit-elle entre mars 1765 et mai 1766
317 ? La correspondance tout en restant d’une grande pudeur dans
les mots employés, changea de ton et devint plus directe :
« […] tu n’as qu’à venir chez moi, je te recevrai mon adorable à bras ouverts […] »318Voir Fonds de Saxe, liasse E*1556.
Les lettres étaient cryptées. On a pu deviner que les fiancés étaient devenus amants. Cette correspondance
fit l’objet d’une étude spécifique qui a été
jointe au présent chapitre.
Le Fonds de Saxe contenait encore trois lettres que Madame Adélaïde adressa à Xavier de Saxe après 1766. C’était à chaque fois la
réponse à une lettre de condoléance que le prince lui avait adressées. Chacune contenait une formule
dans laquelle transperçaient encore les sentiments
profonds qui avaient existé entre les deux fiancés, voire les deux amants :
« Je n’oublierai jamais le bonheur que j’ai eu de vous connaître et les sentiments de l’amitié que je vous ai voué, seront
éternellement gravés dans mon
cœur ; […] ». Lettre du 26 août 1768, (mort de la reine Marie Leszczynska).
« […] Adieu mon cher Xavier, je vous aime et vous embrasse mille et mille fois de tout mon cœur. » Lettre de janvier 1767,
(vœux de nouvel an et maladie
de la Dauphine).
« […] Continuez toujours votre amitié, elle me devient plus chère si cela est possible encore, qu’elle n’était. Soyez bien
persuadé que ma tendresse pour
vous est sans égale. […] ». Lettre du 7 avril 1767 (mort de la Dauphine).
Ainsi, la fratrie de Saxe, profitant de la présence de leur sœur Marie-Josèphe, avait à compter des années 1760, leurs entrées
dans l’intimité du sommet de
la maison de France. Lorsque Albert ou Clément vinrent en France, le premier fut reçu à Marly et quant
au second, la Dauphine recommanda à son frère Xavier
« d’aller au devant de lui pour le mettre à sa toilette d’abbé pour qu’il n’arrive pas comme un marquis de Franchimont […] »Voir Fonds de Saxe, liasse E*1508.
Deux membres de cette fratrie profitèrent plus que les autres de cette intimité royale, le prince
Xavier d’une part et la princesse Christine d’autre part
dont la correspondance fit l’objet des paragraphes qui suivent.
« Melle de la Gueuserie », surnom que la fratrie de Saxe donna à la princesse Christine et qu’elle utilisa souvent dans sa
correspondance, était la seconde
sœur cadette du prince Xavier dont elle avait cinq ans de moins. Comme pour la Dauphine, le prince
Xavier sembla avoir été son frère préféré. Elle ne se
maria jamais malgré une tentative de la reine Marie Leszczynska de lui faire épouser le roi Stanislas.
De ces « fiançailles » naquit une amitié solide entre
le vieux roi et celle qu’il considérait comme trop laide
319 pour en faire la belle-mère de la reine de France
320. En 1764, elle devint coadjutrice de l’abbaye de Remiremont dont
la princesse Charlotte de Lorraine était la princesse abbesse à qui elle succéda en 1773. Elle conserva
cette fonction jusqu’à son décès le 19 novembre
1782.
Le prince Xavier conserva dans ses archives, quatre cent quarante-neuf lettres de sa sœur la princesse Christine. Deux cent
soixante-six furent reçues
pendant la période de temps sélectionnée pour l’étude, dont quarante-quatre firent l’objet d’une analyse
dans l’Inventaire de
J.-J. Vernier et donc, furent retenues pour le traitement statistique. Dans les années soixante, la
princesse écrivait très fréquemment à son frère, souvent
plusieurs fois par semaine. Ainsi, le prince Xavier reçut d’elle, quatre lettres en janvier, cinq
lettres en février et cinq en mars 1766. Dans la décennie
suivante, la fréquence diminua, mais resta d’environ deux lettres par mois, et cela, jusqu’à sa disparition.
La princesse signa ses lettres « Christine », puis changea pour « Christl » à compter du milieu des années soixante. Elle
se désigna souvent par son surnom
et utilisa ceux de Jean sans terre (JST), Cucu et Pépa pour désigner son frère Xavier et ses sœurs
Cunégonde et la Dauphine
321. Dès janvier 1760, elle numérota ses lettres. Elles
étaient adressées à
« Monsieur Mon très cher Frère », puis à compter du milieu des années soixante, elle utilisa les formules :
« Mon cher X. » ou
« Mon cher frère ». Les lettres très formelles dans leur présentation jusqu’au début des années soixante, devinrent plus fraternelles ensuite.
Ainsi
la formule finale se transforma et de :
« Adieu mon cher frère, aimez toujours un peu celle qui sera toute sa vie avec le plus parfait attachement
Monsieur Mon très cher Frère
Votre plus fidèle Sœur
et Servante
Christine »
devint par la suite, (lettre du 2 mai 1765 dont nous avons conservé la présentation) :
« […] voilà le détail de ma fameuse chasse au coq, si je peux aller tirer demain des sangliers et si je suis plus heureuse,
je vous le manderai encore,
en attendant je vous embrasse avec la plus parfaite tendresse vous priant d’aimer toujours un peu
celle qui sera toute sa vie
Votre
fidèle sœur
Christl
Le 3 Mai je n’ai pas été
plus heureuse hier à la
chasse au sanglier qu’a
celle du coq. Nauendorf a pourtant tiré un solitaire. »
Les lettres de Christine de Saxe pourraient être divisées en deux catégories. Jusqu'à sa nomination à la tête de l’abbaye
de Remiremont, c’étaient les
lettres d’une princesse, voyageant en Europe et se partageant plus particulièrement entre la cour
du roi Stanislas ou celle de Versailles. Devenue princesse
abbesse, le fonctionnement de son établissement lui pris tout son temps ; des événements matériels
dramatiques
322 exigèrent et occupèrent toutes ses pensées. L’analyse
statistique de ses lettres identifia vingt-quatre mots-clefs différents représentant au total cent
quatorze occurrences. Les huit mots-clefs les plus
fréquents représentent plus de 75 % de ces occurrences
323. Ce pourcentage atteint 86 % si le cumul est
élargi aux douze mots-clefs les plus fréquents.
Correspondance de Christine de Saxe. Distribution des mots-clefs.
Les autres mots-clefs identifiés furent « Armées », « Bienfaits », « Famille », et « Politique » qui apparurent trois fois
; « Carnaval », « Mariage », et «
Religion » avec une fréquence de deux ; et « Bal », « Diplomatie », « Disgrâce », « Fêtes », « Inondations
», « Loisirs », « Naissance », « Rumeurs », et «
Tremblement de terre » qui ne furent identifié qu’une fois.
Une nouvelle fois le mot-clef « Mondanités » par lequel était identifié les commentaires sur les les événements et les particularités
de la vie mondaine »,
c'est-à-dire, ceux de la vie de cour, fut celui qui apparut le plus souvent dans la correspondance
de cette princesse. Les sept autres mots-clefs identifiés
par l’importance de leur fréquence et qui apparaissent dans le présent graphique, le furent à un niveau
de fréquence très supérieur à celui qui était le
leur dans les lettres de Charles ou de Clément de Saxe. En particulier les mots : « Santé », « Catastrophes
», « Incendie » et « Finances » étaient absents
des graphiques établis à partir des lettres de ces deux princes. En contre partie, les mots « Famille
» et « Clients » ne furent pas identifiés avec une
fréquence notable dans le courrier de la princesse. Il était évident que les questions traitées dans
leurs lettres par chaque membre de la fratrie, étaient
différentes et dépendaient de la personnalité de chacun. Une étude comparative faisant apparaître
les différences statistiques qui furent décelées entre les
correspondances des principaux membres de la fratrie, fut conduite et fera l’objet d’un paragraphe
spécifique en fin du présent chapitre. On s’apercevra que
les thèmes traités dans leurs lettres étaient relativement similaires.
Avant-dernière fille de la fratrie, Elisabeth de Saxe naquit le 9 février 1736 et décéda le 24 décembre 1818. Elle était l’aînée
de trois enfants, les
princes Albert et Clément et la princesse Cunégonde. Elle ne fut jamais mariée et n’obtint jamais
d’établissement. Elle résida le plus souvent à Dresde où
l’on peut supposer qu’elle occupa une fonction à la cour. Elle écrivit très fréquemment à son frère
Xavier, généralement tous les trois jours dans les
années soixante-dix ; ainsi, elle lui envoya cent quatre lettres en 1770
324. Les lettres furent numérotées par la princesse à partir de janvier 1769. Toutes les lettres envoyées ne furent pas
conservées en archives. Le
Fonds en contient mille cinq cent vingt-sept. Cent treize furent citées dans l’
Inventaire de J.-J. Vernier, et cent dix-huit furent retenues pour notre étude statistique. De 1762 au 17 avril 1769, la princesse rédigea
ses
lettres en Allemand. Après cette date, elle utilisa uniquement le français
325Voir Fonds de Saxe, liasse E*1516.
Aucune explication ne fut trouvée quant à ce changement de langage. La princesse utilisait un bon
français
326 (avec cependant une orthographe particulière) comme le prouve l’extrait
327 suivant de la première lettre qu’elle rédigea dans cette
langue, le 20 avril 1769 :
« Mon très cher frère, j’ai reçue avec bien du plaisir votre lettre du 13. Je suis charmé que l’opéra vous ai plu, je n’étois
pas encore au théâtre, j’ai
eue jusqu’ici rien que des comédies chez moi, puisque je n’aime pas du tout les tragédies, mais depuis
mardi, les spectacles on cessé, et il ne règne que de
l’ennuie chez moi, je ne loge pas même dans mes chambres pour quelques jours ; [… suivent des nouvelles
sur des enfants que nous supposons être ceux du
prince Xavier]. Je souhaite pouvoir vous donner une autre fois de meilleurs nouvelles de mes chers
petits, je vous prie de faire mes Salamaleck à la mama,
et aimez toujours je vous prie, une Sœur dont la tendresse ne finira jamais.
Elisabeth ».
La formule finale évolua peu dans le temps :
« […] voila toutes les nouvelles que je peu vous donner. On se met à vos pieds et moi je vous prie d’aimer toujours un peu
celle qui sera toute sa vie
avec la plus parfaite tendresse
Votre fidèle Sœur
Le prince Xavier utilisait parfois, le diminutif de « Liszka », voire « Chérissime Lisel » pour lui répondre. Il semble qu’il
fût pour cette sœur comme pour
la Dauphine et Christine de Saxe, le frère préféré
329Voir Fonds de Saxe, liasse E*1519,
et qu’il lui rendit son amour, n’écrivait-il pas
« que pour [sa] chérissime Lisel, [il] saura même faire de la fausse monnaie […] »330Voir Fonds de Saxe, liasse
E*1518.
Lorsque les lettres comportaient une adresse, elles étaient envoyées :
« Au Prince Xavier
Mon très cher Frère. »,
et étaient cachetées
par un sceau de cire rouge combinant les armes de la couronne de Pologne et celles de l’électorat
de Saxe.
Au gré de la lecture des lettres, nous découvrîmes l’existence d’un sous-réseau dans le réseau fraternel : Dans une lettre
datée du 22 février 1774
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1518,
Elisabeth de Saxe, se porta candidat à la coadjutorerie de l’abbaye de Remiremont. Elle ne s’adressa
pas directement à sa sœur Christine, mais fit
intervenir son frère Xavier. La demande fut rédigée à l’encre sympathique à la fin d’une lettre au
contenu très routinier, dans les termes suivants :
« Je vous prie de parler à la Christl
331 à cause de la
coadjutorerie, vous pouvez lui dire que je vous en ai prié et que je ne lui en ai pas écrit pour ne
pas l’embarrasser. Mais entre nous soit dit, je sais que
la cour palatine la recherche pour la princesse de Deux-Ponts, puisqu’elle s’est désistée de l’autre
en faveur de Cucu
332 et qu’elle voudra peut-être aussi engager la cour d’ici de s’intéresser pour elle. Tachez
donc d’empêcher qu’elle ne nous prévienne pas, et je me flatte que ma sœur, si vous lui en parlé,
ne lui promettra rien et que vous et elle pourriez
peut-être faire quelque chose pour moi comme je vous ai déjà proposé par la Dauphine sur les économats
où on dit que cela ne coûte rien au Roy. Mais il faut
se dépêcher sans cela Madame la Palatine nous préviendra. »
Le prince Xavier, répondit le 10 mars
333 :
« Vous verrez par ce que j’écris à la Christl, que pour ma chérissime Lisel je saurai même faire de la fausse monnaie car
j’y mens bien et j’ai cherché
tous les moyens qui pouvaient le plus l’engager à vous être utile. Ce que j’y ai mis du Duc est à
cause de Miltitz
334
car peut-être croyant lui faire une niche, l’engagera t il à le faire ; et je lui ai aussi fait sentir
finement tout ce qu’elle vous doit pour avoir arrangé
et remis ses affaires en Saxe. Si je n’y parle point de la pension ; je l’ai fait par réflexion car
pourvu que nous soyons sûr, une fois que cette cour
veuille s’y intéresser, j’en fais après mon affaire et j’ai à présent des canaux où je suis presque
sûr sur ce point. Je lui ai rien marqué que vous ne lui
en écriviez rien pour ne la point embarrasser car cela aurait pu lui donner un échappatoire pour me
marquer que je fasse en sorte que vous ne lui écriviez
pas. Au contraire j’ai marqué que je vous avais déjà répondu pour la mettre au pied du mur et qu’elle
recevra dans peu votre lettre. J’aurai désiré que vous
lui en eussiez écrit tout de suite, mais j’ai cherché à le réparer. Aussitôt que j’aurais sa réponse,
je vous l’enverrai. Je ne puis croire que l’Électrice
Palatine le cherche pour sa nièce car elle m’a parlé encore le jour de mon départ qu’elle avait aussi
cherché pour sa nièce la coadjutorerie de la Cucu, se
plaignant même du silence que la Cucu lui gardait sur cette affaire. Et s’il avait été question pour
Remiremont, elle me l’aurait sûrement dit. Et même dans
les lettres qu’elle m’a écrites depuis que je suis ici, elle ne m’en dit rien quoiqu’elle me parle
de Cucu qu’elle retrouvera bientôt chez Clemens
335 et me fait des remerciements de l’Electrice Platine sur les compliments que
je lui avais priés de lui faire de ma part. Je vous prie de ne pas oublier ce que je vous ai marqué
dans une de mes lettres de chercher à savoir les
intentions de Belle
336, s’il amènera sa femme avec ou non et dans le dernier cas,
vous voudrez bien prendre les arrangements sur la Favier comme nous sommes convenus de bouche ensemble
avant mon départ. Je n’ai rien marqué non plus de la
Dauphine
337 car elle n’a pas beaucoup de crédit et ma sœur n’est
pas trop liée avec elle, mais beaucoup avec le duc d’Aiguillon
338 qui peut tout, et si nous nous
adressons à la Dauphine cela pourrait le choquer ainsi que Madame Du Barry et gâter nos affaires.
»
Toujours sur cette affaire, le 15 mars, Christine écrivit à son frère une très longue lettre
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514
dans laquelle elle expliqua l’engagement qu’elle avait déjà pris d’offrir la coadjutorerie à la princesse
Marie-Anne de Deux-Ponts de manière à obtenir son
« désistement de ses prétentions sur Essen et Thorn et qu’elle ne soit plus un obstacle à Cucu […] mais qu’ [elle] ne désespérait
pas de faire pourtant
encore, ce que Lisel désire […] ».
Et d’expliquer dans la suite de la lettre, la stratégie qu’elle comptait suivre pour obtenir ce désistement mais aussi l’accord
du roi et du chapitre.
« Mon bien cher frère, j’ai reçu votre lettre du 10 d.c. N° 10 [lettre ci-dessus]. Je ne vous ai point écrit la dernière poste,
puisque nous étions à la
chasse, qui a assez bien réussi, j’ai tiré trois coqs, ma sœur 1, Casimir a tiré un brocard, le temps
était très beaux et la nuit il faisait bien frais […]
Je vous remercie de la lettre que vous avez écrit à Christl, elle m’a justement répondu à la même.
Je n’ai pas tort de craindre la Palatine mais elle me
promet de faire ce qu’elle pourra. […] Adieu je vous embrasse de tout mon cœur et suis avec la plus
parfaite tendresse.
Votre fidèle
Sœur.
Lisel. ».
« Ma très chère Christl, j’ai reçu 3 de vos lettres presqu’à la fois, et je commencerai par répondre à la dernière. Je serai
bien fâchée de vous
embarrasser avec la demande que je vous ai faite ; surtout si vous avez donné votre parole ; comme
vous croyez que vous pouvez vous dégager, je vous laisse
le soin d’arranger tout cela. Vous m’avez mal compris ou je me suis mal expliquée, je n’ai pas pensé
à avoir une pension de la cour de Vienne, j’ai cru que
la Dauphine pourrait peut-être me la faire avoir de la cour de France ; mais comme vous êtes si bien
avec le duc d’Aiguillon, peut-être pourrait-il, et
voudrait-il m’en procurer ; qu’elle vienne de France, d’Espagne, d’où elle voudra, je vous en aurai
des obligations. Vous savez comment vous y prendre pour
faire vite réussir les choses ainsi je vous en laisse tout le soin. […] Je ne vous dis rien de nos
chasses, Cucu vous en a déjà fait la description ; mais
elle a oublié de vous dire que mon petit Casimir a tiré un brocard qui lui a fait bien plaisir. […]
Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur et suis
Votre fidèle Sœur
Lisel ».
La correspondance triangulaire sur cette affaire continua pendant plusieurs semaines. Les archives contenaient une lettre
de la princesse Christine à son
frère Xavier en date du 2 avril
Voir
Fonds de Saxe, liasse E*1514. On y apprit que la vielle duchesse de Deux-Ponts était décédée et que cela
« chipotait aussi pour [le] projet [de
coadjutorerie] mais qu’ [elle] ne perdait pas courage et ne désespérait pas de la réussite. […] ». Cette lettre fut suivie par une autre
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514 en
date du 6 avril qui contenait une copie de la lettre du 26 mars dont un extrait fut donné ci-dessus.
Christine de Saxe espérait toujours pouvoir se libérer
de sa promesse auprès de l’Electrice Palatine, mais le ton y était moins affirmatif. Le 23 avril,
la princesse Christine adressait une nouvelle lettre
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1514 à
son frère. L’espoir d’être libérée de son engagement s’amenuisait au point de
« souhaiter [à la princesse Anne-Marie de Deux-Ponts] promptement un mari, ce
serait la meilleur façon de [la] dégager de [sa] promesse. » Quelles semaines plus tard, Christine devait renoncer à obtenir la coadjutorerie pour sa
sœur.
De cette correspondance croisée dont nous n’eûmes qu’une partie des lettres, il fut possible de retenir plusieurs enseignements.
D’une part, la fratrie de
Saxe, par l’intermédiaire de la princesse Christine, avait accès au plus hauts personnages de la cour
de Versailles : Aiguillon, la dauphine
Marie-Antoinette
339, la Du
Barry. D’autre part, à l’intérieur même de la fratrie, il existait des réseaux : Elisabeth espérait
que l’intervention de son frère permit l’engagement de
sa sœur Christine en sa faveur. Enfin, ce projet de nomination au sommet d’une abbaye impliquant l’électrice
de Deux Ponts, la fratrie de Saxe, une promesse
de désistement en faveur de leur soeur Cunégonde pour une autre abbaye, l’intervention possible du
secrétaire d’État aux affaires étrangères dans un projet
de coadjutorerie dépendant de l’Empire, permit d’entrevoir ces réseaux d’influences croisées, de dons
et contre-dons, d’obligations mutuelles, qui
existaient dans la société des petits princes qui gravitaient au second rang dans les grandes cours
européennes.
L’analyse qualitative de la correspondance de la princesse Elisabeth permit aussi de faire d’autres découvertes plus insolites
ou à caractère plus léger.
Ainsi, les princes de Saxe s’adressaient des cadeaux de victuailles ou se commandaient des vins. Cela
apparut dans plusieurs lettres. Celle du 18 janvier
1777
Voir Fonds de Saxe, liasse
E*1518 est un premier exemple :
« Mon très cher frère nourricier, je vous remercie des deux pâtés qui sont arrivés très heureusement, j’en ai tout de suite
mangé un à votre santé, ils
sont excellents […] ».
« J’ai envoyé de l’excellent pâté au Duc
340, les autres
années il m’a toujours envoyé des fromages de la poste de Meaux, mais cette année pas, mais à peine
que j’avais envoyé le pâté, en revanche il m’a tout de
suite envoyé un fromage, il est parti cette nuit pour Munich […] ».
« Mon très cher frère, je dois vous remercier d’un pâté qu’on m’a envoyé de votre part, que je croyais de Périgueux, et qui
se trouve de foye d’oye
341 où je retrouve les truffes excellentes, mais le foye je ne mange pas […] ».
Bon exemple de l’existence à l’intérieur de la fratrie, d’un réseau d’approvisionnement, une lettre du prince Xavier à sa
sœur Elisabeth en date du 30
septembre 1775
342Voir Fonds de Saxe, liasse E*1518
:
« Quant à la proposition que vous me faites pour le vin de Chaumot
343, […] je consens à la dernière, […] et je viens déjà de donner l’ordre pour qu’on
arrange 6 feuillettes
344 de vin de Chaumot que vous désirez. Je ne doute pas
que mon commissionnaire à Paris, le Sr Laurent vous aura déjà averties en droiture de l’expédition
du tabac et des gants que vous m’avez demandés et que
dans peu vous les recevrez.[…] »
Enfin, à la lecture de cette correspondance, nous remarquâmes une nouvelle fois, le goût des princesses de Saxe pour la chasse,
que ce fut à courre ou au
tire. Très souvent, Elisabeth de Saxe comme ces sœurs parla tableaux de chasse dans ses lettres ;
elle s’y vantait d’avoir tiré des lièvres, elle chassait
le coq et le sanglier, et les chutes de cheval n’étaient pas rares. Être un bon compagnon de chasse,
ne pouvait que faciliter vos entrées chez les Bourbons
; cela participait au fonctionnement du réseau.
Des questions plus sérieuses furent abordées dans ces lettres. En 1777, le prince Xavier confia à sa sœur Elisabeth, la réforme
de la gestion et de
l’administration de ses possessions en Saxe. Les différents pouvoirs et les longues discussions sur
la qualité du service rendu par certains intendants du
prince, firent l’objet de nombreuses lettres. Autre question beaucoup plus politique : dans une lettre
datée du 28 août 1789
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1425, la
princesse fit référence aux troubles en France.
« Je crains » dit-elle
« toujours qu’ils pourraient aller jusque chez vous […] » ; des craintes
qu’elle renouvela dans une lettre datée du 31 août.
L’analyse statistique des lettres de la princesse Elisabeth identifia trente-trois mots-clefs différents représentant deux
cent soixante-quatre occurrences.
86 % de ces occurrences furent totalisés par quatorze mots-clefs, soit moins de la moitié. Leur distribution
en fréquence fit l’objet du graphique joint.
Une nouvelle fois, le thème des « Mondanités » fut le plus souvent identifié. Deux autres grands thèmes
apparurent dans deux lettres sur trois. Ce fut
d’abord celui des nouvelles de cour, à savoir, les « Décès », « Mariage », « Fêtes », « Faits-divers
» « Loisirs », qui fut présent dans 33 % des lettres ;
et celui des « Réseaux » qui fut associé aux mots-clefs « Politique » et « Armée » qui représenta
32 % des occurrences. Le troisième thème le plus important
fut celui de la « Famille » qui n’apparu que dans une lettre sur quatre. D’autres mots-clefs furent
identifiés dans moins de cinq lettres, c’est-à-dire dans
moins de 2 % de la correspondance : « Finance », « Accident », « Diplomatie », « Guerre », « Religion
» etc.
Correspondance d'Elisabeth de Saxe. Distribution des mots-clefs.
En guise de conclusion, il fut noté que la correspondance de la princesse Elisabeth de Saxe par son volume, fut une source
exceptionnelle pour cette étude.
Elle résida principalement à Dresde, mais par ces contacts nombreux avec Vienne et Munich, elle apporta
des informations sur « la société des princes »
d’Europe centrale et de la partie est de l’Empire germanique.
Le dernier membre de la fratrie, la princesse Cunégonde de Saxe, par sa fonction de princesse abbesse d’Essen et par ses très
nombreux séjours à la cour de
son frère l’électeur de Trèves, nous fit aborder une autre partie de l’Empire germanique, les provinces
rhénanes et les états allemands de l’ouest.
Dernier membre de la fratrie, la princesse Cunégonde de Saxe naquit le 10 novembre 1740 ; elle décéda le 8 avril 1826. Sa
vie se divisa en deux grandes
phases. Elle fut d’abord une jeune princesse insouciante surveillée par ses frères aînés, partageant
sa vie entre Munich, lors de l’exil de la cour de
Dresde pendant l’occupation de la Saxe par les armées prussiennes, et les cours de Vienne et de Dresde
après 1763. En 1776, elle fut élue à la tête de deux
abbayes importantes, celle de Thorn dont elle devint princesse abbesse jusqu’en 1795
345, puis quelques mois plus tard, celle de Essen qu’elle garda jusqu’en 1802. Pendant ces
vingt-six ans, elle résida en permanence à Coblence, à la cour de son frère, l’archevêque électeur
de Trèves.
Le Fonds de Saxe conserva deux cent cinquante-neuf lettres qu’elle écrivit à son frère Xavier. Quarante-six firent l’objet d’une
analyse dans l’
Inventaire de J.-J. Vernier et quarante-trois appartenant à la période de temps retenue pour la présente étude,
entrèrent dans la « base de données » de l’analyse statistique. Dans sa correspondance, elle su utiliser
les privilèges que lui donnait son rang « de petite
dernière » de la fratrie, pour semer régulièrement quelques facéties dans sa correspondance. Ainsi
elle commença sa lettre datée du 24 janvier 1779
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1529,
par cette introduction originale :
« Te Deum Laudamus ! Que vous êtes ressuscité […] » ; il s’agissait de faire remarquer à son frère Xavier, sa longue
période de silence. Quelques mois plus tard, alors que le prince avait justifié un nouveau retard
dans ses lettres par les « nombreuses affaires » dont il
s’occupait, la réponse de la princesse commença par ces mots :
« Mon très honoré Monsieur de mille affaires […] ». Son courrier ne commença pas toujours
par de telles plaisanteries. Les premières années, la princesse s’adressa à son
« cher frère Xavier » ; plus tard elle utilisa :
« Très cher X. ».
Elle terminait habituellement ses lettres par
« Votre fidèle sœur », qu’elle modifia plusieurs fois pour des formules du type
« la plus sage et fidèle
sœur ». Lors d’un séjour du prince en Italie, elle utilisa une formule originale qui ne fut jamais renouvelée :
« Adio Caro Carino fratello
fratellino vano e d’abraccio con tulla le tederezzce de ♥ ». Dans les années soixante, ces premières lettres étaient particulièrement courtes et
souvent vides d’intérêt ; c’était le courrier d’une jeune fille à sa famille ; elle écrivait par obligation,
commençant toujours par une phrase d’excuse
pour justifier ses silences ou les retards de sa correspondance. À partir de 1769, ses lettres furent
numérotées
346 et devinrent plus longues, généralement trois feuillets complets. Ce fut pour le prince, une source
d’information sur de nombreux sujets : nouvelles familiales, évènements de la cour, interventions
pour des membres de la fratrie et des personnes qui lui
étaient liées. Elle signa ses lettres, d’abord de son prénom complet, puis utilisa le diminutif que
lui avait donné la fratrie :
« Cucu ». Elle écrivit à
son frère plusieurs lettres par mois dans les années soixante-dix, puis le rythme se ralentit pour
devenir mensuel, fréquence qu’adopta le prince Xavier
pour lui répondre. Pendant toutes les années où elle résida à Coblence, elle repris périodiquement
à son compte, la plaisanterie de son frère Clément,
l’archevêque électeur, en l’appelant son mari.
Parmi les points remarquables de cette correspondance, il fut noté que la comtesse Spinucci fut mentionnée pour la première
fois dans une lettre datée du 6
juin 1774
Voir Fonds de Saxe, liasse
E*1528 alors que le mariage secret datait de 1765. Autre sujet insolite, en décembre 1777 le prince Xavier commanda à Essen par
l’intermédiaire de
sa sœur, une « machine à couper les plumes ». Elle se chargea de trouver un moyen d’expédition et
arrangea les conditions de paiement qui se firent à Paris
à réception de l’équipement, le 4 mai 1778
347Voir Fonds de Saxe, liasse E*1528.
Autre point intéressant, la princesse Cunégonde s’impliqua avec son frère Xavier dans la recherche
d’une solution financière en faveur des « gens de leur
sœur Christine » restés sans ressource au décès de celle-ci. La solution exigea plusieurs mois ; elle
impliqua des interventions auprès du ministre français
Vergennes, de l’électeur de Saxe et de ses ministres
348 et de l’intendant d’Alsace. Une pension à vie égale au deux tiers des appointements fut versée par le trésor royal français
« aux
gens » de la princesse de nationalité française, et par l’électorat de Saxe pour les « pauvres saxons
». De plus le roi de France s’engagea à payer une
demi-année de salaire « aux Saxons » pour couvrir leur frais de retour dans leur pays d’origine. Dans
cette affaire, Versailles parut plus généreux et plus
rapide dans ses décisions que Dresde ; nous y vîmes la preuve des très les bonnes entrées que possédaient
le Prince Xavier, mais aussi sa sœur Cunégonde, à
la cour de Versailles où ils furent plus efficacement et plus rapidement écoutés que par le gouvernement
de Dresde. Ce fut une nouvelle fois la preuve
qu’une partie de la fratrie de Saxe était définitivement attachée aux Bourbons de France. Pour illustrer
cette affirmation, deux exemples sont proposés au
lecteur : les transcriptions d’une lettre de la princesse Cunégonde en date du 14 juin 1774
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1528,
adressée à son frère à la mort du roi Louis XV, et d’un court mot du futur roi Louis XVI
349Voir Fonds de Saxe, liasse E*1535
à son oncle, Xavier de Saxe :
« Cher Frère, je fus bien assurée que la mort du Roy vous toucherait infiniment. C’est un événement qu’on aurait pu s’attendre
d’être occasionné par une
telle maladie à son âge. Cela prouve bien que Dieu sait trouver des moyens bien imprévus pour nous
attirer à lui. Les sentiments chrétiens de charité et de
vérité que fait paraître le nouveau Roy, donnent grandes espérances sur son règne si Dieu lui donne
la grâce, vu son âge, il aura le temps d’effectuer de
très bonnes choses […]. »
« À mon Oncle Monsieur le Prince Xavier de Saxe Prince Royal de Pologne. Mon cher Oncle, j’ai été bien fâché de vous voir
partir l’année dernière. Je
conserve toujours pour vous les mêmes sentiments d’amitié et de tendresse. J’ai [hâte]
350 avec bien grande impatience, de vous revoir. Je [vous] embrasse de tout mon cœur, mon
cher Oncle.
Louis Auguste.
À Versailles,
Le 1er octobre 1770
351. »
L’étude statistique de la correspondance de la princesse souligne qu’à la différence des autres membres de la fratrie, ces
lettres contenaient peu de «
Mondanités » ou de nouvelles familiales.
Correspondance de Cunegonde de Saxe. Distribution des mots-clefs.
Vingt-sept mots-clefs furent identifiés dans la correspondance de la princesse Cunégonde, totalisant cent une occurrences.
Dix de ces mots-clefs
représentaient 67 % des identifications. En se limitant à ces dix thèmes qui apparaissent dans le
présent graphique, et en analysant une nouvelle fois, les
résultats autour de trois questions majeures, à savoir : le réseau de la fratrie, la vie de cour et
les nouvelles familiales ; il apparut que le premier de
ces thèmes, dans lequel furent associés « Réseaux », « Établissement » et « Politique », apparut dans
40 % des cas. La vie de cour, principalement les «
Mondanités », « Décès », « Fêtes », « Tourisme », etc. totalisa 36 % des occurrences, soit un pourcentage
bien inférieur à celui des autres correspondances.
Enfin le dernier thème majeur, la vie familiale, ne fut identifié que dans 16 % des cas. Tous ces
éléments seront confirmés et développés dans le chapitre
suivant qui traite de l’étude statistique de la correspondance prise dans sa globalité.
Parmi la correspondance de ses maîtresses, une liasse présenta un caractère particulier et unique ; toutes les lettres qu’elle
contenait, étaient entièrement
cryptées. Le code utilisé était d’une grande simplicité ; à chaque lettre (ou groupe usuel de lettres)
correspondait un nombre de deux chiffres
352 ; la clé était immuable et fut conservée pour
l’ensemble de la correspondance entre le prince Xavier et cette personne que nous désignons sous le
pseudonyme de « Madame Trente-quatre
353 ».
Après décryptage, dans leur version remise au prince, les lettres contenaient encore certains termes
qui restaient chiffrés
354. Il s’agissait des mots :
« t’aimer »,
« t’adorer »,
« amant »,
« maîtresse » et des noms de personnages. Bien que très simple dans son secret, le code employé était
extrêmement lourd dans son utilisation.
Le lecteur trouvera
infra la transcription de trois documents originaux de cette liasse sous forme d’extrait : à savoir, la clé du
chiffre permettant de lire l’ensemble de la correspondance, puis la première page d’une lettre
355 dans sa version chiffrée et enfin, cette même lettre après décryptage. Nous avons enfin effectué une transcription de ce
dernier document
pour en faciliter la lecture. Cette transcription qui suit ci-dessous, fut volontairement réduite
à quelques extraits
356, dans lesquels ont été traduits les derniers éléments de cryptage, à savoir, les nombres « 33 » et « 34 » qui se
remplaçaient indifféremment (semble-t-il) par « amour », « amant », « maîtresse ». Le lecteur doit
se souvenir aussi, que la correspondante, dans un souci
supplémentaire de confidentialité et pour augmenter la confusion chez un lecteur indiscret, utilisait
le masculin pour parler d’elle-même, et le féminin
pour parler de son amant.
« Les Chiffres de L jusqu’à M ne valent rien.
Mon amant. Je n’ai pas écrit à mon amour la semaine passé un billet par ce que ton amour est à présent
d’une circonspection extrême sur cet article, par la crainte, où il est, de te causer quelque chagrin.
[…]
… Les chiffres de C jusqu’à D ne valent
rien.
Mon amant, tu m’as dit dans une lettre et répété dans un billet que tu arrangerais tes affaires s’il ne survenait pas de dépenses
extraordinaires.
Mon amour, je peux assurer ma maîtresse que son amant ne lui en causera plus ; il est prêt mon ange à vendre tout ce qu’il
possède
pour l’offrir à sa petite. Il ne veut que regarder son cœur, pour aimer et adorer jusqu’à la mort sa fidèle maîtresse qui
seule fait son unique bonheur et ses désirs.
… Les chiffres de K jusqu’à I sont non-valeurs.
Ton amant n’a encore rien arrangé de fixe avec 202,
sur sa pension, mais il est certain que ton amant partira dans le mois de juin et sera chez sa maîtresse
dans le courant d’octobre pour y passer l’hiver
dans les bras de celle qu’il honore et aime au suprême degré qui est son amour et sa maîtresse qui
à couvé des baisers les plus vifs et les plus tendres.
… Le reste des chiffres sont non-valeurs. ».
La mystérieuse « Madame Trente-quatre ».
En 1874, Arsène Thévenot
361 estima avoir identifié cette mystérieuse correspondante. Il s’agirait
d’une fille de Stanislas Leszczynski, une sœur de la reine Marie Leszczynska. Nous pensâmes qu’il
basa un peu rapidement, son identification sur certains
passages de la correspondance faisant référence à la mort de son « bon papa » qu’il identifia comme
le roi Stanislas ainsi qu’aux espoirs et aux démarches
pressantes plusieurs fois mentionnés, de se voir attribuer le domaine de « Malgrange », un château
qui appartenait au duché de Lorraine et donc à l’héritage
de ce roi. En réalité, ses bibliographies ne lui reconnaissent qu’une fille unique, l’épouse de Louis
XV. Si celle-ci chercha à plusieurs occasions mais
sans succès, à remarier son père
362, l’Histoire ne lui connaît pas de second enfant légitime ou naturel. Cette hypothèse fut rejetée et une autre
identification
363 fut recherchée.
Le courrier crypté.
Pour chaque lettre reçue, nous possédions le document chiffré ainsi que sa version décryptée. Elles furent toutes datées sans
indication d’année, avec deux
exceptions : une lettre référencée « A » sans date, que nous estimions avoir été écrite en début de
l’année 1766, et, chance pour le chercheur, la mention
de l’année apparaissant dans une autre lettre datée du 15 avril 1766. Cela nous permit de situer ce
courrier dans le temps. Il exista, en effet, un
continuum dans cette correspondance, et cette liaison amoureuse épistolière se déroula pendant les
années 1765-1766. La lecture des documents fit apparaître
que ni la première ni la dernière des lettres conservées, ne correspondaient au début et à la fin
de cette liaison. La liasse contenait treize lettres
datées entre les 19 mars et 21 juillet [1765], numérotées de I à XIII, et huit lettres référencées
de A à H et datées entre les 12 mars et 12 mai
[1766].
Pourquoi l’utilisation d’une correspondance chiffrée employant un code aussi simpliste ? Pourquoi cette femme cherchait-elle
à berner un lecteur indiscret en
utilisant le féminin pour parler du prince et le masculin pour parler d’elle-même (sans que cela ne
fût une règle absolue) ? Elle indiqua dans plusieurs de
ses lettres qu’ils étaient, l’un et l’autre,
« libres et qu’ [ils n’avaient] pas de compte à rendre de [leurs] actions et que [le prince pouvait] venir
chez sa maîtresse quand [il voulait] et pour aussi longtemps qu’ [il voulait], plut à Dieu que
ce fût pour toujours et [elle] serait la plus heureuse
personne du monde […]364 ». Dans une autre lettre, elle s’adressa
au prince en ces termes :
« [tu n’as nul besoin de] prétexte pour venir me voir avant la fin de l’automne, il n’en faut pas, tu es maître de tes actions,
je le suis des miennes, ainsi tu n’as qu’à venir chez moi, je te recevrai mon adorable à bras
ouverts, je tacherai de te rendre le séjour aussi agréable
qu’il me sera possible […]365 ». C’était cependant oublier ou ignorer que depuis
le 9 mars 1765, le prince Xavier était marié avec la comtesse de Spinucci.
Cette correspondance laisse le lecteur actuel perplexe. Ces cryptages et décryptages exigeaient l’intervention de secrétaires
; ce que confirma l’observation
des écritures. Et quel plaisir, quelle tendresse, quelle poésie y avait-il à écrire ou à recevoir
après décryptage par un tiers : « […] le Ciel enfin
exaucera ses vœux, et ne dépendant plus que des volontés de sa 34, il n’aura d’autres soins que
de lui prouver avec tendresse, à quel point il 32, 31,
son 34 sa 33, qu’il croit incapable d’oublier son 33 […] ».
Ce qui se traduisait par « … à quel point il adore, il aime sa maîtresse son amant, qu’il croit incapable d’oublier son amant […]. »
La version avant décryptage était encore plus surprenante à recevoir :
« […] 2495201410111612616143231711123372434951614226166161222 […]366 ».
Après toutes ces manipulations, et en faisant abstraction des derniers codes de camouflages que nous avons signalés, le contenu
des lettres était «
finalement » d’une grande tendresse et extrêmement passionné tout en étant exprimé en termes décents
et avec pudeur ; ainsi, il ne fut jamais fait allusion
à des gestes ou des situations intimes.
À ce jour, et malgré de nombreuses recherches, nous n’avons pas trouvé trace dans les minutes, des réponses que le prince
eût adressées à cette personne.
Restait donc à identifier cette mystérieuse « Madame Trente-quatre ».
Lorsque Madame Trente-quatre devient Madame Troisième.
De la lecture de ses lettres, nous pouvons déterminer que notre mystérieuse correspondante appartenait à la cour où elle était
quotidiennement au contact de
la reine et du roi. Nous avons compris qu’un certain personnage désigné sous le nombre « 205 » que
nous pensons avoir identifié comme étant la Dauphine,
informé ou soupçonnant cette liaison, avait montré sa désapprobation avec insistance. Cette « 205
» et «Madame Trente-quatre» devaient être socialement
proches puisque celle-ci demanda une explication sur l’attitude de froideur et de reproche qu’elle
avait remarquée chez celle là. Nous avons envisagé puis
rejeté l’idée que « Madame Trente quatre » pût être la reine Marie Leszczynska ou une maîtresse du
roi Louis XV. Au-delà de la différence d’âge, la
simplicité du cryptage obliga à éliminer une telle hypothèse, les lettres n’auraient eu aucune chance
de garder leur confidentialité face aux spécialistes
du cabinet noir. Il est surtout difficilement concevable que la très sage Marie Leszczynska pût avoir
une telle liaison. L’hypothèse d’une fille du roi
Louis XV fut sérieusement envisagée puis dans un premier temps, rejetée ; en effet dans une lettre
datée du 12 mars [1766], la mystérieuse « Madame
Trente-quatre » indiqua qu’elle avait appris
« la perte de [son] bon papa le mois précédent367 » ; elle insista dans cette lettre et les suivantes, sur la peine que cette mort lui causa. Il ne nous
restait qu’un indice à exploiter : Qu’elle était cette princesse ou grande dame qui en 1766 espérait
mais n’obtint pas le domaine de Malgrange ?
Tout s’éclaira à la lecture de Jacques Levron
368. Celui-ci indique qu’il existait un profond
amour filial entre le roi Stanislas Leszczynski et ses petites filles, que celles-ci vinrent plusieurs
fois prendre les eaux à Plombières où elles aimaient
retrouver leur grand-père, et qu’elles l’appelaient
« notre bon papa », les termes mêmes que nous retrouvons dans la lettre du 12 mars [1766] :
« J’ai
si mal à la tête […] cela vient de ce que […] je me suis affligée de la mort de mon bon Papa,
et que j’ai pleurée […] ». Cet indice, l’héritage espéré
du domaine de Malgrange, le contact permanent avec le roi, la reine et la dauphine, tout indiquait
que nous étions en présence d’une fille du roi Louis
XV.
En 1766, quatre princesses royales vivaient à la cour de Versailles : Marie Adélaïde, Marie-Victoire, Sophie et Louise, âgées
de trente-quatre à vingt-neuf
ans. Michel Mourre n’en a retenu que trois dans son Dictionnaire Encyclopédique d’Histoire, oubliant
Madame Victoire. La piété et la rigueur de leurs mœurs
y furent louées pour Sophie et Louise. Restait Adélaïde pour qui il fit un commentaire sévère :
« elle était de mœurs assez libres et se compromit avec un
garde du corps ». Autre élément fourni par Michel Antoine
369 et nouveau
clin d’œil de l’Histoire :
« Vers la fin de 1747, Madame Troisième Adélaïde, [fut] destinée au jeune prince de Conty ; quelque temps après, d’autres partis
furent envisagés : les princes Xavier et Albert de Saxe, frères de la Dauphine, tous projets à
peine ébauchés, et en outre irréalisables ». Ainsi,
pour le lit de Madame Troisième comme pour le trône de Pologne, Xavier de Saxe suivait les traces
de Conty. Il semble qu’à la différence de la Pologne, il
parvint à ses fins avec la princesse et que secrètement
« le projet ne fut pas qu’ébauché ».
Six mois après que les lignes précédentes furent écrites, nous découvrîmes dans le courrier de la Dauphine, quelques minutes
des réponses que le prince
Xavier lui fit. Dans deux de ces minutes
Voir Fonds de Saxe, liasse E*1507 datées des 25 et 26 novembre 1762, le prince termina ses lettres en demandant expressément
370 à sa sœur,
« de faire [sa] cour à Torche », utilisant le surnom que Louis XV avait donné à sa fille Madame Adélaïde ce qui confirmait l’existence de liens
étroits entre le prince et la princesse. Plus tard, nous étudiâmes la correspondance de Madame Adélaïde.
L’ambiguïté était levée et nous fumes convaincu
d’avoir identifié « Madame Trente-quatre ».
Conclusions sur les lettres de Madame Trente-quatre.
Avions-nous identifié la mystérieuse Madame Trente-quatre ? Nous le pensâmes. À défaut d’avoir pu le faire avec certitude,
nous avions rassemblé quelques
éléments nous permettant de construire une image des mœurs existantes dans l’entourage du prince Xavier.
En juillet 1763, il avait eu, semble-t-il, une
aventure (marivaudage ou passion) avec sa belle-sœur du vivant de son frère
371 ; il s’était marié secrètement à la comtesse Spinucci en mars 1765 alors qu’à la même date il entretenait
une liaison amoureuse avec la mystérieuse Madame Trente-quatre. Rien de tout cela ne doit nous surprendre.
Il n’y avait aucune raison pour que les mœurs du
roi Louis XV d’une part, et ceux de la sage Marie Leszczynska d’autre part, pour ne citer que ceux-là,
ne se retrouvèrent pas dans leur entourage ; et en
conséquence, que l’historien découvre une société composée simultanément, de personnages très libres
dans leur comportement et d’autres extrêmement rigides
dans leurs règles de vie.
Pourquoi le prince Xavier n’épousa-t-il pas Madame Troisième Adélaïde ? Dans un premier temps, nous pensâmes que seule un
prince d’une famille souveraine
majeure pouvait être jugé digne de lier son sang à la fille du roi de France. L’électorat de Saxe
n’avait pas encore atteint le niveau requis
372. Pour la noblesse française, à la différence des princes de culture allemande, le sang de
l’homme était prépondérant dans un couple, il purifiait et élevait celui de sa compagne. Ainsi, le
Dauphin pouvait épouser une princesse de Saxe et une
fille naturelle de Louis XIV avait pu se lier à un prince du sang. Par contre de telles alliances
n’étaient pas acceptées dans l’Empire, les quartiers de
noblesses se comptabilisant à la fois dans les lignes paternelles et dans les lignes maternelles.
Ceci expliquait la colère de la princesse Palatine à
l’annonce du mariage de son fils ; cela expliqua aussi, les difficultés du prince Xavier pour trouver
dans l’Empire un établissement, après sa mésalliance
avec la princesse Spinucci, et enfin ceci ne fut peut-être pas étranger à sa décision de garder ce
mariage secret pendant douze ans et à résider en France
où une telle mésalliance posait moins de problème.
Conclusions sur l’ensemble du chapitre V.
L’étude qualitative de la correspondance reçue par le prince Xavier permit de faire connaissance avec chaque membre de la
fratrie. Il fut possible de
découvrir quels étaient les éléments de leur vie quotidienne, leurs distractions, leurs soucis, leurs
ambitions et aussi leurs deuils ; les mots utilisés
par Madame Adélaïde pour parler du décès de la Dauphine et pour exprimer sa peine et sa sympathie
au prince Xavier, furent d’une grande tendresse.
Certaines questions que nous espérions y trouver, furent absentes. D’autres que nous n’attendions pas, occupèrent une grande
place ; nous pensons en
particulier aux démarches du prince Clément pour obtenir le siège épiscopal de Liège, ou l’utilisation
du prince Xavier comme intermédiaire entre deux sœurs
pour obtenir la coadjutorerie de Remiremont. Nous y découvrîmes une Dauphine inattendue. Une grande
amitié entre celle-ci, Christine de Saxe et Madame
Adélaïde. La société des princes était parfois une grande famille.
Ce réseau d’amitié permis d’esquisser le réseau de la fratrie. Pour le compléter, nous comptâmes beaucoup sur l’étude statistique
qui fit l’objet du chapitre
suivant.