« UNE FRATRIE PRINCIÈRE EN EUROPE » OU RAPPEL DU CONTEXTE HISTORIQUE.
Ce chapitre consacré au contexte historique de la seconde moitié du XVIIIe siècle est relativement court, car la plupart des événements de cette période ont déjà été commentés dans le chapitre précédent traitant de la biographie du prince Xavier de Saxe. D’autre part, il est essentiellement axé sur les situations historiques dans lesquelles le prince Xavier de Saxe et sa ‘’fratrie’’ ont pu être impliqués. Enfin, nous renvoyons le lecteur à la chronologie du XVIIIe siècle que nous avons rédigée et qui est jointe en annexe au présent chapitre164.
Un continuum spatiotemporel illustré par la distribution géographique de la fratrie de Saxe et ses alliances immédiates.
Dans un premier temps, il parut nécessaire de définir le domaine spatiotemporel de ce contexte historique. Il s’agissait essentiellement de l’Europe continentale, pour la période comprise entre 1730, date de la naissance du prince Xavier de Saxe et 1891, date de son départ pour l’exil (en réalité l’étude se limitea à la correspondance échangée entre 1770 et 1791). Pendant cette période, la fratrie du prince de Saxe, se distribua géographiquement dans les états et positions suivantes :
À cette fratrie un peu élargie, il convient de considérer les ascendants et collatéraux proches :
La fratrie ‘’étendue’’ du prince de Saxe fut donc distribuée dans des positions politiques de premier ordre, dans une bande géographique qui s’étendait de Varsovie et Budapest, à Madrid et Paris. Il n’y eut pas de relation familiale avec l’Angleterre et ses alliés, ni avec la Prusse ou la Russie.
Le Saint Empire germanique au XVIIIe siècle (carte).
Le Saint Empire Romain Germanique au XVIIIe siècle. Georges Duby,
Grand atlas historique, (op.cit.)
.
L’Europe centrale et la succession d’Autriche (carte).
L’Europe centrale et lasuccession d’Autriche. Georges Duby,
Grand atlas historique, (op.cit.)
.
Une fratrie initialement distribuée dans des blocs politiques opposés (1748-1756)
À la signature de la « Paix d’Aix-la-Chapelle » qui mit fin en 1748 à la guerre de « Succession d’Autriche », l’Europe se trouva une nouvelle fois divisée en deux blocs par le jeu des alliances et par une double opposition à la France. Il y avait d’une part, l’affrontement franco-anglais dans une « seconde guerre de cent ans » dit Jean Meyer165, une guerre qui aurait commencé en 1688 avec la « Glorieuse Révolution » et qui se serait terminée en 1818 à l’issue du « Congrès de Vienne ». Le second conflit opposait les Bourbons de France aux Habsbourg d’Autriche. Un conflit de deux siècles, voire de quatre cents ans si l’on fait remonter sa genèse à la création de l’apanage du duché de Bourgogne reçu par Philippe le Hardi166. Autour de ces trois superpuissances s’unissaient ou s’opposaient leurs alliés pour lesquels l’adage ‘’ les ennemis de mes ennemis sont mes amis ‘’ paraissait le principe directeur de leur politique étrangère. Ainsi se rassemblaient, côté anglais : le Hanovre, les Provinces-Unies, le Danemark et le Portugal, côté autrichien : les deux impératrices, Marie-Thérèse et Elisabeth de Russie, et côté français, la Prusse, la Suède, quelques princes ou électeurs allemands, et l’Empire ottoman. L’Espagne des Bourbons cherchait une certaine neutralité entre Versailles et Londres.
Depuis un an (1747), par le mariage du dauphin avec la fille de l’électeur (et roi de Pologne), la maison de Saxe s’était alliée au royaume de France. L’Électorat qui avait été opposé à Versailles pour la succession de la couronne de Pologne en 1733, et qui par alliances matrimoniales se trouvait étroitement lié à l’Autriche, changeait de camp ; le seul succès de la diplomatie du marquis d’Argenson dirent les historiens. Nous pensons avec Pierre Gaxotte que cette alliance fut en réalité, un premier pas vers la constitution d’un bloc allié solide à l’est de l’Europe167 ; un bloc qui aurait dû rapidement comprendre la maison d’Autriche168, condition nécessaire pour obtenir une paix durable en Europe. En effet, Louis XV n’aimait pas la guerre. S’il fut courageux sur les champs de bataille, il détesta verser le sang : « Voyez ce qu’il en coûte à un bon cœur de remporter des victoires » dit-il au Dauphin le soir de Fontenoy en lui montrant le champ de bataille jonché de morts, « le sang de nos ennemis est toujours le sang d’hommes ; la vraie gloire, c’est de l’épargner »169170.
Un tel bloc allié à l’Est aurait eu l’avantage de neutraliser Frédéric II, cet allié peu fiable et imprévisible et de faire hésiter l’Angleterre à reprendre les hostilités. Il faut noter cependant, que ce nouvel allié avec qui Louis XV souhaitait consolider la paix, ne rêvait que de récupérer, au besoin par les armes, la Silésie qu’elle venait de perdre. Ce projet d’alliance vit le jour, neuf ans plus tard (1756), et eut pour conséquence de rassembler toute la fratrie de Saxe, dans le même camp. Ce fut hélas sur les champs de bataille de la guerre de Sept ans.
Trois événements historiques majeurs : la guerre de Sept ans (1756), la succession de Pologne (1763) et l’administration de la Saxe (1763-1769).
Ces trois événements ont fait l’objet de développement dans le chapitre précédent traitant de la biographie du prince Xavier de Saxe. Nous nous contenterons de préciser les détails que nous avons obtenus sur la participation des quatre princes de Saxe au conflit.
L’armée de l’électorat de Saxe fut rapidement annihilée par les troupes de Frédéric II. Les combattants saxons furent incorporés de force dans les armées prussiennes avant de déserter (pour la plupart) et de rejoindre les troupes alliées de la Saxe. Aussi, le prince Xavier et son cadet immédiat, le prince Charles-Christian, servirent dans le corps saxon qui fut intégré à l’armée du maréchal de Broglie où il joua le rôle de réserve, puis d’aile droite. Les deux cadets, les princes Clément et Albert, servirent dans l’armée impériale. Le prince Clément combattit sous les ordres du maréchal comte de Daun pendant la campagne de 1760 avec le grade de lieutenant-général171. Nous avons à ce jour peu d’information sur les campagnes du prince Albert. Nous savons que le 21 mai 1760 Voir Fonds de Saxe, liasse E*1489, il rejoignait l’armée du général Laudon, commandant un corps de « 40 à 50 000 hommes » de l’armée autrichienne, et que le 27 octobre 1761, il donnait des nouvelles du front.
1764-1774, derniers événements européens majeurs du règne de Louis XV.
Le 16 mai 1770, les deux grandes maisons européennes, les Bourbons de France et les Habsbourg d’Autriche, scellèrent par une union matrimoniale, leur alliance militaire de 1756 ; Le dauphin de France, futur roi Louis XVI, épousait Marie-Antoinette, archiduchesse d’Autriche et fille de l’empereur germanique François 1er et de l’impératrice Marie-Thérèse. Parallèlement, « le pacte de famille, donc l’alliance franco-espagnole, était une donnée de la vie internationale, bien plus solide finalement que l’alliance franco-autrichienne172. » Ces deux pactes n’avaient qu’un objectif : « Le refus de la guerre [… ,] un choix de Louis XV [… exprimé à Choiseul en ces termes :] Monsieur, je vous ai dit que je voulais point la guerre173. »
Deux ans plus tard, à l’est de l’Europe, sur une suggestion de Catherine II et sous la pression du roi de Prusse, Marie-Thérèse, tout en reconnaissant que c’était un crime, accepta l’idée d’un partage de la Pologne. Il s’agissait de satisfaire les ambitions de Berlin et de Saint-Pétersbourg, tout en conservant l’équilibre entre les trois couronnes, « tout gain d’une puissance devait être équilibré par des gains pour les autres puissances. »174 Ce partage effectué le 5 août 1772, fut pour la fratrie de Saxe qui possédait une position morale importante à Varsovie175 et des intérêts fonciers nombreux dans les provinces polonaises occidentales, un événement politique majeur.
Alors que « la monarchie avait amorcé un sursaut politique – Louis XV ayant choisi des ministres compétents176, c'est-à-dire énergiques et persévérants pour conduire une réforme globale de la justice177 » - le roi mourrait brusquement de la variole, le 10 mai 1774.
1774-1791, Le règne de Louis XVI et un prince Xavier de Saxe résidant en France.
Le neveu du prince Xavier de Saxe, Louis XVI, arrivant au pouvoir, souhaita changer les ministres, peut-être, trop liés à la marquise du Barry. Maurepas, malgré ses 73 ans fut appelé comme ministre principal et chargé de mettre « en place un nouveau gouvernement. »178
Aux Affaires étrangères, le duc d’Aiguillon fut remplacé par le comte de Vergennes (1719-1787), « un diplomate de talent et d’expérience179 » qui avait, quelques mois auparavant comme ambassadeur de France en Suède, activement et brillamment soutenu le roi Gustave III, dans son « coup d’Etat » pour rétablir l’autorité royale. Armand Thomas Hue de Miromesnil (1723-1796) devint chancelier à la place de Maupeou dont il avait combattu la réforme en tant que président du parlement de Rouen. Turgot (1727-1781) un disciple des physiocrates, ami des philosophes qui avait beaucoup travaillé sur les questions économiques, auteurs de plusieurs essais, et qui avait appliqué avec succès, ses idées dans la généralité du Limousin dont il était l’intendant, fut nommé contrôleur général, poste qu’occupait avant lui, Terray. Le département de la Guerre revint au comte de Saint-Germain (1707-1778), qui avait mené une carrière militaire auprès des alliés de la France. Gabriel de Sartine, comte d’Alby (1729-1801), Lieutenant général de police à la mort de Louis XV, se vit confier la Marine en remplacement de Bourgeois de Boynes. Les nouveaux ministres ne manquaient pas de compétence ni d’expérience180Voir Fonds de Saxe, liasse E*1614. « Avec ce nouveau gouvernement, Louis XVI voulut rompre avec la politique de son grand-père, jugée trop rigoureuse et impopulaire. Il voulait une forme de consentement global pour son action. Il rappela les parlements, le Grand Conseil, les cours des aides, abolis par Louis XV181 ». Beaucoup d’historiens182 rappellent ce mot de Maupeou prononcé de sa retraite normande : « J’avais fait gagner au roi un procès qui durait bien depuis trois siècles. S’il veut le perdre, il est bien le maître ».
Ce « procès perdu » qui marquait un arrêt brutal de certaines réformes, ne fut pas le signe d’un immobilisme gouvernemental. D’autres réformes furent entreprises non sans une forte opposition des Français, nobles ou roturiers, dont elles changeaient les habitudes. Nous pouvons espérer les voir commenter dans la correspondance de la fratrie de Saxe, aussi citons-nous les principales. Ce fut d’abord les réformes décidées par Turgot dans un esprit de libéralisme économique très moderne en rupture avec le ‘’colbertisme’’ qui avait été appliqué en France depuis plus d’un siècle. Par ailleurs Lamoignon de Malesherbes (1721-1794), secrétaire à la Maison du Roi, tenta d’adoucir le régime des prisons et de la torture, et de généraliser l’état civil. Saint-Germain enfin transforma l’organisation militaire, favorisa la petite noblesse dans son accès aux grades militaires et privilégia les formations légères au détriment des unités prestigieuses mais très coûteuses appartenant à la maison militaire du roi.
En mai 1776, Turgot fut renvoyé et Malesherbes se retira. L’année suivante vit le départ de Saint-Germain. Sur les conseils de Maurepas, le roi fit appel au banquier genevois Necker (1732-1804) pour assurer la charge de contrôler général sans en avoir reçu le titre. Aucune de ses tentatives de réforme n’aboutit et il fut obligé de recourir à l’emprunt pour financer la guerre en Amérique dans laquelle la France avait décidé d’apporter son aide aux « rebelles ».
La guerre d’Amérique (1778-1783) et la fratrie de Saxe.
Si on exclut la nomination du prince Xavier de Saxe à la tête de la division de Bretagne, unité formée par le maréchal Victor-François, duc de Broglie, pour protéger les côtes françaises contre une intervention anglaise, aucun des membres de la fratrie de Saxe ne s’engagea dans ce conflit. À notre connaissance, personne ne fit le voyage aux Amériques. La division du prince Xavier ne fut engagée dans aucun combat.
La Ligue des Princes, der Fürstenbund, créée par Frédéric II (1785).
Au sortir de la guerre de Succession de Bavière (1778-1779) et après la mort de Marie-Thérèse (1780) qui permit à l’empereur germanique Joseph II d’ouvrirent des pourparlers avec la tsarine Catherine, le roi de Prusse Frédéric II se trouva une nouvelle fois isolé face aux deux empires d’Europe centrale et orientale. Deux tentatives d’alliance avec Londres et avec Paris tournèrent court. « Il ne restait à Frédéric qu’à chercher ses alliés à l’intérieur même de l’empire et […] à prendre le rôle de défenseur des petits états contre le ‘‘despotisme autrichien’’. [… Faisant] appel à l’indépendance des princes, au particularisme des pays [… ,] il forma une Ligue des Prince (Fürstenbund) (1785) dont les membres s’engageaient à se soutenir les uns les autres pour maintenir contre le César de Vienne l’intégrité de leurs possessions et de leurs droits183 ». Si l’électeur de Saxe adhéra à cette ligue, il semble qu’il fût le seul de la fratrie à s’allier à la Prusse. Une nouvelle fois, les frères et sœurs du prince Xavier se trouvèrent divisés dans deux blocs ennemis. La mort de Frédéric II, le 16 août 1786, évita que cette ligue ne débouchât sur un conflit armé.
« L’orage politique184 » créé par les États généraux du 5 mai 1789.
Entre 1783 et 1789, la France dut faire face à une crise financière permanente. Comme en 1648 ou en 1714, elle se trouvait dans l’impossibilité de payer les intérêts de ses emprunts. Mais cette fois les prêteurs étaient étrangers et « leurs exigences [...] plus rigoureuses et pressantes. [… Ils] ne pouvaient être soumis au chantage de la confiscation ou des procès185 ». Parallèlement, depuis leurs rappels en 1774, les parlements avaient repris conscience de leur rôle possible et de leur pouvoir. Toute reforme, y compris celle d’un impôt universel vers lequel s’orientaient les ministres Brienne et Calonne, ne risquait-elle pas de remettre en cause leurs privilèges et leurs statuts sociaux ? Des solidarités entre « le gentilhomme et les paysans » se reformèrent face au roi et aux réformes de ses ministres. Une fois de plus, l’aristocrate et le noble de robe s’engageaient dans la révolte au nom et pour la défense du peuple « face à une politique royale qui s’efforçait au contraire d’introduire plus de justice sociale186 ».
« Le 5 mai, 1789, les États généraux s’ouvrirent. Le 14 juillet, la Bastille fut prise. Dans la nuit du 4 août, l’Ancien Régime était balayé187 ». Il était espéré que la correspondance du prince Xavier de Saxe contiendrait des commentaires sur cette situation et ses événements.
Les grands événements dynastiques et la fratrie de Saxe.
L’intégration profonde de la fratrie de Saxe dans les différentes cours et maisons européennes avait pour conséquence que toutes les disparitions de souverain et plus particulièrement celles des empereurs germaniques, et des rois de France ou d’Espagne, entraînaient des changements majeurs dans le statut et la vie des membres de la fratrie188Voir Fonds de Saxe, liasse E*1500. Aussi a-t-il semblé utile de rappeler les dates de ces principales disparitions et de ces changements de titulaires sur les trônes européens :
Conclusion.
La fratrie (élargie) du prince Xavier de Saxe, se distribuait parmi les maisons souveraines et les grandes principautés de l’espace politico-géographique : empire germanique et maisons des Bourbons de France et d’Espagne. Toute nouvelle alliance, politique ou matrimoniale, avec ou contre ces maisons souveraines, affectait directement la fratrie. De même tout changement de souverain, avait un effet sur le statut et le ‘’pouvoir’’ de ses membres.
Le prince Xavier de Saxe avait choisi de résider en France. Les grands événements dynastiques du royaume, mort du dauphin, de la Dauphine et de Louis XV, influencèrent sa vie. De même, les tourmentes politiques de la France du dernier quart du XVIIIe siècle : de la réforme Maupeou à la nuit du 4 août, ne purent l’épargner. Elles finirent par le conduire à l’exil.
Tous ces événements devraient pouvoir se retrouver dans sa correspondance. C’est ce que nous tenterons de faire dans le développement qui est abordé après le tableau chronologique joint.
Chronologie de la vie du prince François-Xavier de Saxe (1730-1806).
Dans la version finale et imprimée de ce mémoire, la présente page est remplacée par le document Excel référencé :
« 03A. Pages 51 à 56. Chronologie du XVIIIe siècle. »